Zazie dans le métro : lecture méthodique, l'incipit
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Mettre en perspective l'incipit et le reste du roman.
- Mieux cerner les caractéristiques scripturales du roman.
- On trouve également la précision du cadre temporel. On sait, à la façon de parler, que le langage représente le Paris des années 1950.
Le décor est donc réaliste et ancre l’action dans une vérité qui lui donne, en apparence, plus de crédibilité aux yeux du lecteur.
- La présentation de l’un des protagonistes : Gabriel. S’il n’y a pas de description physique et morale à proprement parler, le lecteur averti trouve des éléments qui lui permettront de faire son portrait, au moins partiellement. On sait qu’il est grand, costaud (L. 35), raffiné et délicat (L. 15). Son caractère, s’il n’est pas ouvertement violent, il ne se laisse pas faire lorsqu’il estime être dans son bon droit (L. 44)
- On remarque parallèlement que l’intégralité du premier paragraphe est la retranscription en focalisation interne de la progression du raisonnement de Gabriel pour expliquer l’odeur nauséabonde qui l’entoure. Il avance plusieurs arguments dont un d’autorité grâce au dire d’un journal « on dit ». Cette universalisation des propos, renseigne sur l’éthos de Gabriel qui cherche à comprendre mais se laisse manipuler par les rumeurs (L. 40).
Cet incipit permet donc de construire l’ethos partiel du personnage ou, du moins, les éléments fondamentaux pour comprendre ce qui va arriver dans la suite du roman.
Parallèlement, il met en place son esthétique scripturale avec l’originalité du langage notamment. On réalise, dès la première lecture, que le niveau de langue n’est pas approprié pour un roman (L. 37)
L’auteur décide également de mettre en avant le dynamisme du récit. Tout d’abord, on trouve une entrée in medias res. Il s’agit d’un procédé qui propose d’entrer dans le roman alors que l’action est déjà commencée. Ce procédé s’est généralisé dans les romans afin de leur donner plus de crédibilité et de dynamisme au récit, captant ainsi l’attention du lecteur et l’invitant à poursuivre l’exploration de l’œuvre.
Par ailleurs, cette volonté de dynamisme se retrouve dans l’importance donnée au monologue (« se demanda ») (L. 1) ou au dialogue. Les personnages expriment directement leurs pensées et c’est l’une d’elles qui ouvre le récit.
Enfin, on note qu’il y a de nombreux dialogues au présent qui utilisent un présent d’énonciation, permettant ainsi de dramatiser le récit et donc de le rendre plus vivant également
L’auteur joue avec les codes traditionnels du roman. Depuis les siècles précédents, on représentait le langage du peuple de manière réaliste avec ses erreurs, mais la langue du narrateur restait, elle, irréprochable. Queneau amorce donc un détournement de l’attendu en littérature et modernise l’incipit. À terme, outre la notion de jeu et de modernité du roman, l’auteur tente surtout de faire oublier au lecteur la présence du narrateur. Le lecteur a du mal à identifier celui qui parle. Est-ce le personnage ? Est-ce le narrateur ? (L. 18 à 20). Ainsi, l’action paraît spontanée et non pas le résultat d’une planification par l’auteur.
Pour ce faire, Gabriel est placé dans le contexte quasi théâtral d’une scène d’agôn (scène de dispute). Cela permet à l’auteur de mettre en avant la dualité intrinsèque du personnage. Son apparente bonhommie, sa stature imposante, son franc parler (L. 21-22) et de l’autre côté son raffinement, son élégance et une forme de féminité assumée. C’est toute l’ambiguïté du personnage qui est suggérée dès cet incipit mais c’est au lecteur à faire l’effort de chercher les informations.
Si l’on étudie l’onomastique de Gabriel, on se rend compte qu’il devrait être connoté très positivement. Archange est un prénom biblique et angélique. Or, le personnage est grossier « probablement celui qui avait le droit de la grimper légalement. » (L. 31).
Par ailleurs, s’il n’est pas ouvertement bagarreur, il n’entend pas laisser le mari de la vieille dame avoir le dernier mot. Gabriel n’est donc pas l’archange attendu. Le petit homme s’attend, d’ailleurs, lui aussi à ce que ce « malabar » ne relève pas et que l’affaire se résolve sans problème : « mais les malabars, c’est toujours bon, ça profite jamais de leur force, ça serait lâche de leur part. » (L. 35)
Autre détournement du stéréotype, celui de la rose. Depuis le 16e siècle, cette fleur est associée à la féminité, comme en témoigne les œuvres de Ronsard. Or, la remarque de Gabriel vient rompre cette association en suggérant avec sa phrase : « Tu fais la pige aux rosiers » (L. 28) que contrairement aux roses, elle sent mauvais.
L’auteur décide donc de détourner les stéréotypes et des topoï séculaires (= thèmes et d'arguments en rhétorique antique) afin de surprendre son lecteur notamment sur l’éthos (= les habitudes, la manière d'être) des personnages.
L’auteur joue avec un langage libéré des contraintes sociales, un langage efficace sans être correct. C’est un langage du quotidien dans une œuvre littéraire appliqué à tous les niveaux de la narration, dans le but d’être plaisant.
Ce choix crée une connivence entre le lecteur et les personnages, ainsi que le narrateur dont il se sent plus proche s’il parle cette langue, ou bien qu’il connaît pour l’avoir entendu parler. Il s’agit donc d’un jeu littéraire une langue nouvelle.
La dame incarne la société dans ce qu’elle a de stéréotypé, attendue et conventionnelle. Au contraire, Gabriel semble être un marginal, un original qui détourne toutes les attentes auquel il est confronté. On peut donc penser que Gabriel représente symboliquement le roman de Queneau, intrinsèquement original et plein d’humour tandis que la dame représenterait les attendus littéraires, quelque peu hypocrite et dont il ne faut pas bousculer le bon goût et les habitudes.
D’ailleurs, Gabriel s’impose dans l’extrait, comme Queneau imposera son œuvre lors de sa publication. Quoi qu’il en soit l’auteur critique ouvertement le comportement de cette dame hypocrite et lâche devant l’originalité, la modernité et plus généralement ce qui est différent grâce à l’ironie dont il fait preuve.
→ le comique de situation : selon le principe de l’arroseur arrosé, puisque Gabriel, qui se plaint de l’odeur, porte lui-même un parfum qui dérange. Ou bien encore lorsque le petit homme se retrouve confronté à l’imposant Gabriel dans une joute verbale qui pourrait devenir physique.
→ Le comique de mot : avec la parodie du parfum de chez Dior qui devient Fior, dont la paronomase avec fiente peut être remarquée.
→ Le comique de geste : lorsque l’homme imposant qu’est Gabriel sort son mouchoir mauve.
Cette esthétique scripturale ludique rend ce début de roman plaisant et engage le lecteur à poursuivre la découverte de l'œuvre. S'il paraît simple d'accès, cet incipit n'en est pas pour autant évident et regorge de références littéraires qui mettent en avant la subtilité de l'écriture sous un langage, d'apparence, négligé. C'est là toute la dualité caractéristique du roman.
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