Zazie dans le métro : la diversité du langage
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Mettre en perspective l'originalité du langage cinématographique.
- Étudier la portée symbolique du langage dans les deux œuvres.
- Étudier la portée critique de la communication dans les deux œuvres.
Queneau utilise un langage délibérément fautif, mimétique du langage populaire parisien. Il omet volontairement le morphème « ne », caractéristique de l'oralité du discours : « ils se rendent pas compte de ce qui les attend » (p.120). La syntaxe est malmenée dans le but de recréer, le plus fidèlement possible, le réalisme de la parole populaire.
• Sur le plan sémantique
Queneau mélange les niveaux de langue afin de donner un nouveau souffle à son écriture. Traditionnellement, si les romanciers miment le parler populaire, le retour à la narration marque une frontière car le narrateur s'exprime syntaxiquement correctement. Aussi, est-on surpris, mais non dérouté, en entendant Zazie confier qu'elle veut devenir institutrice : « Pour faire chier les mômes [...] dans mille ans toujours des gosses à emmerder ». On remarquera la forme chiasmique de ce propos, les enfants étant au centre de son projet. Il y a un paradoxe flagrant entre la construction étudiée et fine de la phrase et le niveau de langue adopté. On concilie subtilité de l'écriture et langage populaire à l'image du roman.
• La transgression narrative fait son apparition lorsque Queneau s'affranchit de la frontière entre le niveau de langue utilisé par le personnage et celui du narrateur : « Charles et Gabriel bossaient tous les deux de nuit » (p. 22). Ici, le narrateur donne des informations sur la vie des personnages dans un langage familier, rompant avec les canons de l'écriture romanesque et surprenant les attentes du lecteur. L'effet de contraste naît lorsque le narrateur utilise un langage soutenu :
« Une dame de la haute société qui passait d'aventure dans le coin en direction des bibelots rares daigna d'arrêter. Elle s'enquit auprès de la populace à la cause de l'algarade et, lorsque, non sans peine, elle eut compris, elle voulut faire appel aux sentiments d'humanité... » (p. 59)
On remarque que si le narrateur utilise un langage familier pour parler de Gabriel et Charles, il choisit, pour donner des renseignements sur cette dame de la haute société, un niveau de langue beaucoup plus châtié. Tout comme pour le chiasme, le choix de la rupture des canons de la narration a une signification symbolique incarnée par la finesse de l'écriture. De fait, l'auteur entreprend un travail de fond sur les paradoxes apparents et les contrastes pour renouveler la langue, à la fois syntaxiquement, sémantiquement et sur les procédés narratifs.
Louis Malle, ne pouvant bouleverser davantage la grammaire française, va donc bouleverser celle du cinéma. À la fantaisie scripturale de Queneau, Malle fait correspondre des excentricités cinématographiques :
→ des accélérations : lorsque Charles fuit Zazie à la Tour Eiffel,
→ une accélération de la bande son lorsque Zazie, de retour de sa fugue, court autour de son oncle,
→ des incohérences dans les raccords de plans : lors de la rencontre avec la veuve Mouaque depuis une rue embouteillée jusqu'aux quais de Seine,
→ des excentricités comiques : un violoniste qui joue sans instrument au marché aux puces,
→ un muscadet qui apparait comme par magie devant Trouscaillon au bar, un ours qui mange au restaurant ou le perroquet changé en chien (1'21'14).
Tout comme Queneau, Louis Malle entreprend, avec les moyens que son Art, un renouvellement du langage cinématographique.
• Les jeux phonétiques
On remarque que pour mimer l'accent des personnages, Queneau remplace les « x » par les « s » comme par exemple « espliquer » → « esprès ». On retrouve également les retranscriptions phonétiques du parler « dmanddzi », « vlà », « koua » et son dérivé scandé par les touristes «kouavouar »
• Les jeux sur la conjugaison
« - M'autorisez- vous donc à de nouveau formuler la proposition interrogative qu'il y a quelques instants j'énonça devant vous ?
- J'énonçai, dit l'obscure.
- J'énonçais, dit Trouscaillon.
- J'énonçai sans esse.
- J'énonçai, dit enfin Trouscaillon. Ah ! la grammaire c'est pas mon fort. » (p. 163)
Ici les personnages s'entendent pour aider Trouscaillon à corriger son erreur, poussant le comique jusqu'à corriger une faute qui ne s'entend pas à l'oral !
• Néologismes
Enfin, il crée des néologismes amusants comme « bloudjinnzes » ou « tévé » pour désigner des appareils récents. La veuve Mouaque créera un mot spécialement pour Gabriel lorsqu'il se fera enlever par des touristes «guidenapper ». Ce néologisme est d'autant plus drôle qu'il utilise une paronomase.
Queneau crée une langue nouvelle, alimentée par le comique, les jeux et l'humour. Il libère ainsi la langue, facilite la multiplicité du « dire » et assimile, dans un langage simple, les nouveautés du monde.
Le perroquet devient une sorte de garant de la langue car il empêche les personnages de la malmener, et ainsi de lui faire perdre son statut d'outil de communication. Il invite au silence quand on n'a rien à dire. Queneau ajoutera qu'il « invite à réviser son langage ». C'est une forme de conscience de l'énonciateur car le langage doit être pensé, réfléchi et non se manifester librement et sans contrôle.
Enfin, le perroquet invite à l'action au lieu d'une parole vaine. D'ailleurs, elle perd souvent son rôle d'outil de communication car les personnages ne répondent pas ou peu aux questions posées. Ainsi, Charles préférera prendre la fuite plutôt que de répondre à la question de Zazie sur les raisons de son célibat. Gabriel sera tout aussi réticent à donner des renseignements sur son homosexualité présumée.
En définitive, l'auteur condamne la vacuité de la parole et toute action qui la rend non signifiante. Ce rôle de protecteur de la langue est paradoxalement attribuée à un perroquet qui traditionnellement répète des mots sans qu'ils aient de sens ou de fonction communicative. Ce paradoxe amusant souligne une critique placée sous le sceaux de l'humour.
« - Mais c'est Gabriella, s'esclama-t-il. Qu'est-ce que tu fous là ?
- chtt chtt, fit Gabriel [...] » (p. 93)
Par ailleurs, le doux personnage de Marceline est en réalité le transsexuel Marcel mais n'en parle jamais. Louis Malle changera le prénom de ce personnage en Albertine/Albert, sans doute pour éviter la confusion Marcelle/Marcel, homophonie qui aurait pu rendre la transsexualité du personnage moins transparente.
Les personnages ont également tendance à ne pas répondre aux questions qui leurs sont posées comme le souligne régulièrement Zazie :
« - Et à ma question à moi ?, demanda-t-elle mignardement. On y répond pas ? » (p. 100)
Les personnages utilisent la parole pour préserver leurs secrets, non pour dire la vérité. Queneau soulève donc le problème du rapport de la parole à la communication, puisqu'elle sert souvent à mentir par omission.
- il utilise les sons d'avions en combat pour critiquer la violence et de la guerre (1'25'13) ;
- il fait appel au visuel en faisant apparaître une milice armée en chemise sombre pour critiquer le fascisme et les chemises brunes (1'23'10).
Le langage dans l'œuvre n'est donc pas efficace, il est mensonger et futile. Cependant, au niveau autorial, il permet de communiquer des idées avec le lecteur et de lui permettre d'entamer une réflexion.
• La langue représente d'abord le personnage. Celui de Zazie en est le meilleur exemple. Elle utilise un langage proche de celui des adultes. Son expérience l'a fait grandir, elle n'est plus naïve. Si son attitude copie celle des adultes, il en va de même pour son langage volontairement vulgaire et sans tabou.
• La langue représente également le milieu du personnage et ses spécificités. Ainsi, la mutation de la langue correspond à celle de la société, des métiers, des mœurs et des interactions entre les êtres. L'auteur donne un effet de réel pour ancrer son expérience humaine. Elle devient le symbole de l'environnement qu'elle incarne.
Par ailleurs, l'auteur utilise des phrases courtes. Ce rythme rapide de la syntaxe manifeste l'effervescence de la ville et les actions qui s'enchaînent sans cesse. « Zazie du coup adopte le pas de gymnastique. Elle prend un virage à la corde. L'autre rue est nettement plus animée. Zazie maintenant court bon train... » (p. 33). Louis Malle trouvera un équivalent en multipliant les juxtapositions de plans, et une musique rapide, ou jouera avec les accélérations.
Enfin, on remarque que Louis Malle a choisi le décor d'un Paris humble, populaire en adéquation avec le parler.
« Qu'est ce qui pue comme ça ? dit une bonne femme à voix haute. Elle pensait pas à elle en disant ça [...] » (p. 1).
• Dans la partie au passé, il pourrait tout aussi bien s'agir d'une réflexion d'un personnage, que de l'intervention du narrateur. Le lecteur en vient à oublier la présence du narrateur qu'il confond avec les personnages. L'ensemble paraît plus fluide, moins artificiel. On finit par oublier que le roman est une construction artificielle de l'auteur. C'est une évolution de la narration
• Si Louis Malle veut renouveler son œuvre, celle-ci n'est pourtant pas dénuées d'influences. On retrouve des scènes d'autres films parodiées. Ainsi, le couple Mouaque/Trouscaillon qui s'embrasse dans la fontaine, fait référence à la Dolce Vita.
Les deux auteurs ambitionnent donc de rompre avec l'attendu, le communément admis. Cependant, il serait naïf de penser que cette quête est immédiatement réalisable car toute œuvre subit des influences.
Clé de la compréhension de Zazie dans le métro, on ne saurait s'étonner de l'attention subtile mais omniprésente que les artistes lui accorde. Car, enfin, cette langue, outre toutes les fonctions qu'elle cumule, est surtout symbolique puisqu'elle permet de mettre en scène et de saisir une humanité et son environnement en pleine mutation, à l'image de la quête artistique.
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