Violences racistes et sexistes
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Comprendre la notion de violence et ses thèses.
- Depuis quelques années, en France et dans d’autres pays, de nombreuses protestations conduites par les victimes de violences raciales ou sexistes animent les rues et agitent les réseaux sociaux. D’après le Ministère de l’intérieur français, les violences racistes et antisémites augmentent depuis quelques années.
- Les violences sexistes (harcèlement, viol, meurtre), dont les femmes sont les victimes dans l’écrasante majorité des cas, commencent enfin à recevoir l’attention qu’elles méritent. Mais, dans les débats publics actuels, une idée revient sans cesse : l’omniprésence de la violence dans la plupart des sociétés humaines devrait convaincre que les violences racistes et sexistes ne méritent pas plus d’attention que les autres, qu’il faut lutter contre toutes les violences. Cette idée s’exprime, par exemple, dans la transformation du slogan « Black lives matter » (« les vies noires comptent ») en « All lives matter » (« toutes les vies comptent »). Cela part peut-être d’une bonne intention, mais cela pose la question de l’invisibilisation des violences racistes et sexistes.
L’essayiste monarchiste français, Joseph de Maistre (1753-1821), prétend, dans les Soirées de Saint Petersbourg, que « le décret de la mort violente » est inscrit dans la vie elle-même. Si cette violence naturelle est réelle, mais discrète dans le règne végétal, son évidence éclate dans le règne animal où l’on observe tant de prédateurs dont la vie même dépend de la mort de leurs proies. La position dominante de l’être humain dans la hiérarchie de la prédation ne le préserve pas de la violence meurtrière. Au contraire, « c’est l’homme qui est chargé d’égorger l’homme ».
Mais s’il est vrai que la violence est une loi universelle de la vie en générale et de la vie humaine en particulier, alors toutes les tentatives pour empêcher cette violence sont vaines. La religion, la morale et la loi peuvent bien détourner provisoirement des instincts violents, mais la violence resurgira tôt ou tard. Quant aux violences racistes et sexistes, elles ne sont alors que des confirmations particulières de cette loi, des exemples qui n’ont rien d’exceptionnel et qui ne méritent pas une attention particulière. Dans cette optique, des extrémistes pourraient même prétendre que cette violence est légitime. Un lion n’est pas coupable de manger une gazelle : il agit selon sa nature.
Or de nombreuses données archéologiques et anthropologiques jettent le doute sur la thèse de la naturalité de la violence. En effet, les traces de mort violentes sont rares sur les restes humains avant le néolithique (situé entre 6 000 et 2 000 avant notre ère). De plus, des anthropologues ont observé des sociétés humaines où la violence physique est presque totalement absente, comme chez les Sémaï en Malaisie, les Aborigènes, les Inuits, les Tahitiens, les Arapesh - et plus d’une dizaine d’autres. La violence ne serait donc pas une fatalité naturelle. Ses causes sont à chercher dans la culture.
La violence peut s’exprimer physiquement par des coups, symboliquement par des paroles, socialement par des formes d’exclusion, ou politiquement par la domination. Les anthropologues soulignent le fait que ces différentes formes de violence relèvent de la communication : elles ne sont ni gratuites ni arbitraires, elles ont une signification, elles font passer un message. Mais cela est vrai de presque toutes les activités humaines. Ce qui caractérise en propre la violence, c’est, comme l’écrit l’anthropologue David Graeber (1961-2020), qu’elle « est peut-être bien la seule façon d’avoir des effets relativement prévisibles sur les actions des autres sans rien comprendre à leur sujet ». En effet, menacer ou frapper permet d’espérer créer la crainte et l’obéissance de la victime.
Cela est d’autant plus vrai que le rapport de force est déséquilibré. Ce n’est que si l’adversaire est de force sensiblement égale qu’il faudra faire un effort d’imagination pour se mettre à sa place afin de prévoir ses actions. Au contraire, si la victime de la violence est impuissante face à son agresseur, celui-ci peut l’écraser sans réfléchir et sans avoir besoin de la comprendre. Paradoxalement, c’est aussi dans ce cas que le recours à la violence physique réelle est le moins nécessaire. La menace de la violence est alors largement suffisante pour maintenir la domination des plus forts sur les plus faibles.
Dans ce cas, on parlera, encore avec Graeber, de violence
structurelle ou systémique :
« toutes les inégalités
systémiques, qui sont soutenues en dernière
instance par la menace de la violence physique, peuvent
alors être vues comme des formes de violences en
elles-mêmes ».
Les violences racistes et sexistes trouvent ici une
explication qui justifie leur condamnation politique. En
effet, des études sociologiques ont établi
que les inégalités liées à la
race, ou au genre supposé, se manifestent dans de
nombreux aspects essentiels de la vie. Il est moins
aisé d’accéder au logement, au
travail, aux loisirs, ou aux soins si on est
assigné à une certaine
« race » (si on est donc
« racisé », puisque la
notion de race n’a pas de fondement biologique,
mais sociologique). Nul n’ignore que les femmes
sont souvent moins payées que les hommes à
travail égal et qu’elles accèdent
plus rarement aux postes les plus élevés.
Les violences physiques, trop souvent meurtrières,
dont sont plus particulièrement victimes les
femmes et les racisés, sont donc à la fois
le symptôme et le fondement d’une domination
politique, sociale et économique. Mais si elles
sont ancrées dans notre culture et non dans notre
nature, il est possible de s’y opposer avec
succès.
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