Utopies urbaines et progrès
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Bordés par la campagne, les bandes de maisons et les îlots urbains disposés de part et d'autre de la route ne pourraient guère se développer en largeur, la ville ne pouvant croître qu'en longueur.
Sur la route serait construite une ligne de chemin de fer sur laquelle circuleraient des tramways le jour, des trains de marchandises la nuit. Le but d'un tel agencement était de permettre aux habitants de gagner du temps dans leurs déplacements. La ville pouvant se développer indéfiniment en longueur, les problèmes de dilatation anarchique des cités modernes étaient résolus : il n'y aurait plus de centre, plus de périphérie.
Aussi les autorités ne firent-elles rien pour aider l'ingénieur, qui dut réviser à la baisse ses ambitions, pour finalement ne voir construits que cinq kilomètres de sa « ville linéaire », vite absorbés par l'extension de l'agglomération madrilène.
Tommaso Marinetti souhaitait tourner définitivement le dos à l'Italie figée des musées et des trésors de l'architecture pour créer un monde nouveau dédié au mouvement et à la vitesse. Il réunît d'abord des peintres qui, tels Giacomo Balla et Umberto Boccioni, travaillèrent essentiellement sur le rendu du mouvement en peinture, notamment le mécanisme de la marche (Chien en laisse, 1912), étant en grande partie inspirés par les évolutions récentes du cinématographe. Les nouvelles idoles des futuristes se nommaient donc automobile, locomotive, aéroplane.
La Città Nuova de Sant'Elia, qui avait déjà fondé un groupe d'architectes nommé « Nouvelle Tendance », séduisit donc Marinetti. En juillet 1914 parut le Manifeste de l'architecture futuriste écrit par Sant'Elia, dans lequel il sautait le pas en proposant que la ville et la machine ne fassent plus qu'une.
Sur les dessins apparaît une ville à plusieurs niveaux, animée par le mouvement perpétuel. La circulation se fait tant en sous-sol (trains souterrains), en surface (circuits automobiles) que dans les airs (avions pour lesquels sont conçus des plates-formes).
Les déplacements des piétons sont
facilités par des escaliers mécaniques et
des ascenseurs.
Sant'Elia voulait que les maisons de ciment, de verre
et d'acier, libérées des ornements
superflus, simples et modernes, s'élèvent
haut au dessus de ces rues multidimensionnelles. Il
évoqua même la
« maison-machine », mais aussi
l'utilisation de matériaux légers et
flexibles permettant à l'architecture d'entrer
dans une phase de mobilité et de
dynamisme ; c'est dans cette même logique
qu'il suggéra que l'architecture fut
éphémère et renouvelable par
chaque génération émergente, en
fonction de besoins nouveaux.
Si ses dessins, par la forme qu'il confère à ses bâtiments, doivent souvent beaucoup à ce qu'il put entrevoir et rêver de l'architecture américaine, comme le film de Fritz Lang Metropolis quelques années plus tard, ses idées vont au-delà de ce que nombre d'architectes et d'urbanistes de son temps avaient imaginé.
Cependant, Sant'Elia devait mourir à
vingt-huit ans, en 1916, tué sur le front
autrichien, dans une guerre où la machine,
idolâtrée par les futuristes, montra toute
l'ampleur de son pouvoir de destruction.
Le projet de la Città Nuova
(« la ville nouvelle »), plus
radical et plus cohérent que le projet de Soria
y Mata, resta sous la forme de centaines de dessins.
Le futurisme architectural continua pourtant sur sa lancée, se rapprocha du courant fonctionnaliste international des années 20 (le Bauhaus, le Stilj, etc), mais ne renoua jamais avec l'utopie de Sant'Elia, qui voulait réconcilier l'homme et la machine.
Certaines utopies urbaines du début du 20e siècle naquirent des anticipations des urbanistes et des architectes quant aux problèmes qui surgiraient de ce que les villes anciennes n'avaient pas été conçues pour accueillir les innovations technologiques qui, tels l'automobile, l'avion, les télécommunications, n'en étaient pourtant qu'à leurs balbutiements. Or, certains proposèrent une solution radicale : les villes devaient s'adapter aux innovations, et non l'inverse, ce qui impliquait la fondation de cités entièrement nouvelles, bâties en fonction et autour de la machine, comme le suggéra l'espagnol Soria y Mata, ou devenant machine elle-même, comme la Città Nuova de l'architecte futuriste italien Sant'Elia.
Dans ces cités avant-gardistes, la vitesse était une notion centrale.
Restés à l'état d'ébauches, ces projets irréalisables avaient le tort de ne pas prendre en compte les aspirations réelles des populations, annonçant en cela une tendance générale des acteurs de l'urbanisme du 20e siècle, dit « fonctionnaliste » qui, du Bauhaus à Le Corbusier, prétendirent savoir mieux que l'homme ce qui était bon pour lui ; cela se traduisit finalement par l'édification des grands ensembles. Mais à ces utopies progressistes répondirent des théories plus scientifiques, prônant notamment l'analyse et la réhabilitation des villes anciennes, ainsi que les utopies « désurbanistes », et non moins arbitraires, qui proposaient la dissolution pure et simple de la ville dans la nature.
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