Une question mondiale : les enjeux de la fiscalité dans la mondialisation
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Sans conteste, la souveraineté d’une nation repose ainsi sur la capacité de ses membres à mobiliser collectivement les ressources indispensables pour vivre ensemble et produire les biens publics qui permettent le fonctionnement de la société.
La mondialisation qui découle de la croissance des flux internationaux des biens et des services, la mobilité du capital productif et la globalisation financière résultant du développement des activités financières internationales et transnationales ont fissuré l’édifice fiscal des souverainetés. En effet, la plupart des pays du monde fortement ouverts aux échanges internationaux se trouvent confrontés à des comportements économiques qui fragilisent leur pouvoir de lever et recouvrir l’impôt.
Ainsi ces comportements conduisent à placer les États souverains et leur territoire en situation de concurrence et peuvent affaiblir leur système fiscal. Face à ces risques importants pour les États, mais aussi parce que la mondialisation conduit à faire émerger des biens publics mondiaux de plus en plus nombreux, les pouvoirs politiques et les organisations internationales commencent à développer des politiques fiscales transnationales.
Les États se trouvent confrontés à un premier problème face à l’évasion fiscale puisque celle-ci est a priori légale. Elle repose en effet sur la liberté de choisir la voie fiscale la moins imposée. Il en est ainsi des pratiques de superposition de holdings financières dans différents pays, vers le territoire le moins imposé. Une société imposée à 33,33% en France, crée une autre société (société-écran) dans un autre pays moins fiscalisé ayant une convention fiscale avec la France, et en crée une troisième sur un territoire très peu ou pas fiscalisé. La première société rapatrie les bénéfices réalisés dans le deuxième pays, puis dans le troisième afin de réduire au fur et mesure sa fiscalité.
Si la loi autorise ces pratiques, il semble alors difficile de limiter la liberté des contribuables. Les États sont alors confrontés à la nécessité de modifier régulièrement les règles juridiques afin d’éviter les fuites possibles du système fiscal. Le jeu repose alors sur la recherche permanente par les contribuables et leurs conseillers de trouver des solutions d’optimisation fiscale en ayant recours à une localisation en dehors du territoire et pour l’État à fiscaliser de manière juste ces revenus qui tentent d’échapper à l’impôt.
Se pose ainsi la question de la territorialité de l’impôt. Ce concept joue un rôle essentiel pour la fiscalité et détermine que l’impôt doit être payé là où les revenus sont générés. En France, c’est la notion de domicile fiscal qui fixe les règles applicables. Quatre critères servent à définir la notion de domicile fiscal :
- le lieu de résidence habituelle du contribuable,
- son lieu de séjour principal (le contribuable réside en France durant plus de 183 jours pendant l’année d’imposition),
- le lieu des activités professionnelles à titre principal, le lieu où se situe le centre des intérêts économiques du contribuable.
À partir du moment où une personne voit son domicile fiscal fixé en France, elle est imposable sur l’ensemble de ses revenus, même si ces derniers proviennent de l’étranger. Les personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France et percevant des revenus de source française peuvent elles aussi se voir imposer. Afin d’éviter la double imposition d’un contribuable dans son pays de résidence et celui où il perçoit des revenus, les pays procèdent à la mise en œuvre de conventions fiscales internationales qui fixent les règles d’imposition.
Aux États-Unis, la fiscalité est moins liée à la question de la territorialité, puisqu’un citoyen étasunien doit payer des impôts sur ces derniers, quel que soit son lieu de résidence et la provenance de ses revenus.
Premièrement, les statistiques en la matière sont à prendre avec précaution en raison des difficultés à rassembler les informations pertinentes. En 2008, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que 821 contribuables assujettis au paiement de l’impôt sur la fortune (ISF) s’étaient expatriés et que depuis 2001 ce nombre augmentait de 11% en moyenne chaque année. Selon la même source, la perte de recettes totales d’ISF ainsi engendrée s’élevait à 3,31 milliards d’euros, soit 0,53% des recettes totales de l’État. Avec l’augmentation des taux d’imposition en raison de la crise des dettes souveraines, les expatriations fiscales de personnes célèbres (grands patrons, sportifs de haut niveau, acteurs…) reviennent à nouveau au premier plan de l’actualité.
Les débats sur les risques que ferait courir aux États une trop forte fiscalité conduisant au départ des plus fortunés et ceux portant sur le « patriotisme » fiscal, cachent une réalité plus nuancée. Les arguments en faveur d’une réduction des taux marginaux d’imposition (taux d’imposition payés par les tranches de revenus les plus élevés) reposent sur l’idée qu’il faut inciter les contribuables les plus riches à rester sur le territoire. Certains économistes en revanche considèrent que la concurrence fiscale aurait un impact réduit sur le départ des contribuables les plus riches, et que d’autres facteurs nuanceraient ces effets. De plus, les départs constatés des plus fortunés auraient une incidence réduite sur les finances publiques et l’activité économique.
L’expatriation fiscale des personnes et des sociétés renvoie aussi à l’existence des paradis fiscaux. Il est cependant plutôt difficile d’avoir une définition unique et objective des paradis fiscaux. En effet, toutes les tentatives par les États et les organisations internationales de fournir une liste commune des États et territoires considérés comme tel, ont jusqu’à présent échoué. Plusieurs critères peuvent cependant être retenus. Ces États et territoires ont en commun :
- une taxation faible ou nulle des non-résidents,
- un niveau de secret bancaire et professionnel important, des procédures particulièrement souples d’enregistrement des sociétés,
- une très forte liberté de mouvements des capitaux,
- un système financier et bancaire très dynamique,
- l’existence d’un centre financier important et des conventions bilatérales stables signées avec les grands pays permettant d’éviter la double imposition.
Les estimations des flux d’investissements directs considèrent que pas moins de 30% transitent par les paradis fiscaux. En France, ce n’est pas moins de 47% du stock des investissements directs à l’étranger qui sont détenus par des sociétés installées dans les paradis fiscaux. Pour la France, les avoirs des particuliers représenteraient pas moins de 590 milliards d’euros dissimulés dans les paradis fiscaux. En ce qui concerne les investissements directs français à l’étranger, plus de la moitié proviendraient des paradis fiscaux.
Les multinationales ont recours à différentes techniques pour échapper à l’impôt, en particulier à celle qui consiste à utiliser des prix transferts entre filiales. Une multinationale crée une filiale dans un paradis fiscal et l’utilise pour se revendre à elle-même les biens qu’elle a produits afin d’échapper à l’impôt sur le lieu de production qui est fiscalisé.
Une stratégie fiscale et sociale non-coopérative repose sur l’idée qu’il est nécessaire pour un État, en l’absence d’un système fiscal et social commun, de maintenir une attractivité certaine de son territoire en maintenant le niveau des impôts et des cotisations sociales à un seuil qui ne soit pas "désincitatif" pour les activités productives. Par conséquent, les pays européens s’affrontent entre eux dans une concurrence fiscale et sociale qui présente des caractéristiques contre-productives. Certains pays n’ont pas hésité à pratiquer ce que d’aucuns considèrent comme du « dumping fiscal et social », à savoir un abaissement important des taux d’imposition et des niveaux de cotisations sociales afin d’attirer les capitaux productifs et les patrimoines importants. L'Irlande a été accusée de pratiquer une telle politique. Il faut en effet préciser que l’Union européenne se caractérise par une forte mobilité des capitaux en raison de l’existence d’une monnaie unique et de la disparition des frontières dans le cadre du marché unique européen mais que par ailleurs le facteur travail est beaucoup moins mobile.
Ainsi, afin d’éviter la fuite des agents économiques les plus dynamiques et les plus mobiles, les États européens ont progressivement réduit la fiscalité sur les capitaux, au détriment de la fiscalité du travail, à mesure que les besoins en biens collectifs augmentaient. Une trop forte augmentation de la fiscalité sur les revenus issus du travail risque à terme de pousser certains contribuables à l’exil fiscal, exil facilité par le développement des moyens de communications (transports, Internet…).
L’idée d’une taxation sur les transactions monétaires et financières est ancienne. L’économiste James Tobin avait déjà formulé au début des années 1970 l’idée d’une taxation sur les transactions monétaires internationales (opérations de changes) afin de réduire la volatilité des taux de change et la spéculation. Cette idée de taxer les transactions financières est réapparue dans les discussions entre les États, lors des sommets du G20 par exemple, après la crise financière et économique de 2007 afin de réduire la spéculation financière internationale.
Mais une telle taxe est cependant loin de faire l’unanimité des pays et des acteurs, comme le prouve encore aujourd’hui le débat au sein de l’Union européenne pour adopter une telle fiscalité.
Dans le cas de l’Union européenne, certains pays comme la Grande-Bretagne, en raison de l’importance de leur marché financier, refusent une telle taxation. La France a adopté depuis 2012 une taxation des transactions financières qui consiste à prélever 0,2% sur les achats d’actions des sociétés françaises et sur les « ventes à nu » de certains produits dérivés.
La question porte alors sur l’utilisation des fonds collectés et sur les risques que fait peser une telle taxation sur la compétitivité financière des pays. En effet, un pays qui prend le risque de mettre en place une telle taxation risque d’être confronté à une fuite des capitaux vers les États qui ne l’appliquent pas.
Instaurer une fiscalité internationale permettrait par exemple de faire appliquer le principe du pollueur-payeur aux activités économiques qui détruisent les écosystèmes, dégradent le climat et utilisent les ressources naturelles. La difficulté est alors de construire un accord unanime de tous les pays afin qu’aucun ne puisse adopter des comportements de passagers clandestins et ne deviennent la poubelle du monde ou le pollueur qui profite de l’absence de législation fiscale. Bien évidemment, un tel accord semble particulièrement difficile à obtenir comme le montre les difficultés liées à l’application du protocole de Kyoto signé en 1997 et qui fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses réticences de certains pays, parmi lesquels figurent des pays très importants comme les États-Unis. Les difficultés et les échecs successifs des sommets liés à l’environnement montrent à quel point l’idée d’une fiscalité visant à protéger l’environnement est encore aujourd’hui renvoyée à des horizons lointains.
Mais l’environnement n’est pas l’unique domaine dans lequel pourrait être construite une politique fiscalo-sociale transnationale. L’exemple du concept de socle universel de protection sociale constitue une démonstration de l’importance croissante des biens publics mondiaux et de la nécessité de trouver les moyens pour en assurer la pérennité. Ce concept de socle commun de protection sociale renvoie à l’idée que la concurrence entre les États pour attirer sur leur territoire les producteurs en raison d’un faible coût du travail, découlant d’une absence ou d’une faible protection sociale, conduit à un moins-disant social dont les coûts ne sont pas pris en charge par les producteurs. La main d’œuvre non ou peu qualifiée des pays disposant d’une protection sociale est directement placée en concurrence avec celle des pays où aucune protection sociale ne protège la population.
Une telle carence conduit forcément à élever les risques d’épidémie. Elle favorise également les processus migratoires et fragilise le développement économique et social des pays concernés. Le G20 regroupant les 20 pays les plus économiquement puissants de la planète depuis le sommet de Séoul en 2010, a mis depuis fin 2011 à son ordre du jour l’idée d’établir un socle universel de protection sociale et a confié à l’ancienne présidente de la République du Chili, Michèle Bachelet, le soin de diriger un groupe de travail sur cette question. Le socle universel de protection sociale selon les orientations envisagées par ce groupe de travail constituerait un outil de développement et un investissement permettant de réduire les inégalités et d'augmenter ainsi la capacité de résilience des sociétés face aux situations de crise.
Face à ces nouveaux défis, les États ont commencé à développer l'idée de construire des politiques fiscales transnationales. C'est le cas dans l'Union européenne qui a développé les premières politiques fiscales communes qui demeurent néanmoins aujourd'hui encore incomplètes, ce qui place les États membres en situation de concurrence fiscale. Aujourd'hui par exemple, la question repose sur l'opportunité de taxer les transactions financières internationales afin de compenser l'endettement souverain résultant de la crise financière et économique de 2007.
Mais la mondialisation renforce aussi les interdépendances et génère l'émergence de biens publics mondiaux, comme ceux qui correspondent à la nécessaire protection de l'environnement, ou à l'importance d'une protection sociale universelle.
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