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Une grille de lecture géo-économique

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La géopolitique est née au début du 20e siècle dans un monde dirigé par des États-nations qui s'opposaient principalement dans les domaines politique et militaire. Moins d'un siècle plus tard, avec la chute du mur de Berlin et la disparition de l'URSS, le paradigme géopolitique ne semble plus suffire et E. Luttwak invente le concept de géo-économie : avec la fin de la Guerre froide, un affrontement direct entre grandes puissances semble improbable, mais les rivalités se déplacent très clairement sur le terrain économique.

« La priorité devient de préserver une position enviée au sein de l'économie mondiale. Aux vainqueurs les positions gratifiantes et les rôles de dirigeants, aux perdants les chaines de montage », écrit Luttwak. On peut donc voir la géo-économie comme le prolongement de la géopolitique dans le cadre de la mondialisation. Elle permet une approche plus fine et plus complète de la notion de puissance, car il s'agit en définitive de l'analyse des stratégies d'ordre économique dans les rivalités de pouvoir. 

Problématique : En ce début de 21e siècle, quelle est la nouvelle géographie des puissances économiques ? Cette dernière traduit-elle une évolution de la hiérarchie des puissances au niveau mondial ?
1. Le critère de développement montre que l'opposition Nord/Sud reste fondamentale
a. Qu'est-ce que le développement ?
Le développement est le processus économique qui permet l’amélioration des conditions et de la qualité de vie d’une population. Les géographes et les économistes considèrent qu'il dépend de (et peut être mesuré par) trois facteurs : 
- la richesse économique mesurée par le PIB/habitant,
- l'état de santé de la population, mesuré par l'espérance de vie,
- l'accès à la culture, mesuré par le taux de scolarisation.

Ces trois facteurs sont regroupés dans un indice synthétique : l'IDH (Indicateur de développement humain). Il est étalonné de 0 à 1, la France ayant un IDH de 0,88 et le Niger 0,34, par exemple.


 
 Doc.1. L'IDH dans le monde

Deux groupes de pays se distinguent : le Nord, riche et développé et le Sud, sous-développé.
b. Le Nord, relativement homogène
Les pays du Nord ont comme caractéristique commune d'avoir un IDH élevé. Cependant, il existe des différences non négligeables :

- les État-Unis et l'Union européenne restent les premières puissances économiques mondiales, mais à l'intérieur de l'UE, des pays comme la Grèce ou le Portugal ont des économies proches de certains pays du Sud, dont ils ne se différencient pas fondamentalement (comme le Maroc ou la Turquie). La crise actuelle, et notamment le problème des dettes souveraines (endettement des États), fait apparaître très crûment les fragilités de ces pays.

- La Russie est aussi un cas à part, parce que par beaucoup d'aspects, elle ressemble à un pays du Sud. Cependant, son rôle de grande puissance militaire et son rayonnement issu de la Guerre froide expliquent qu'elle soit classée dans le Nord.

- À l'inverse, certains pays comme les NPIA (nouveaux pays industrialisés d'Asie) ont tardé à voir reconnaître leur statut de pays développés. La Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taïwan peuvent être considérés comme des pays du Nord depuis les années 1980.
c. Le Sud, de plus en plus hétérogène
La situation des pays du Sud est, elle, très hétérogène.

- Les pays du Golf persique, gros exportateurs de pétrole pour la plupart, ont un IDH très élevé, ce qui pourrait les classer dans les pays du Nord. Mais dans la mesure où ils sont dépendants de cette rente pétrolière et peinent à diversifier leurs économies respectives (les Émirats arabes unis misent par exemple sur le tourisme avec Abu Dhabi ou Dubaï), ils restent sous-développés.

- Certains pays ont une position intermédiaire, comme les pays du Maghreb ou la Turquie, se développant progressivement comme pays-ateliers des économies du Nord (pour le textile par exemple).

- Quelques pays sont absolument à part, notamment à cause de la taille de leur population : c'est le cas de la Chine (1,350 milliard d'habitants), de l'Inde (1,240 milliard), du Brésil (200 millions). De plus, ils affichent depuis 20 ans des taux de croissance de leur PIB (Produit intérieur brut) très au-dessus de la moyenne mondiale, ce qui change profondément leur place : on les appelle traditionnellement « pays émergents ».

- Il reste encore de nombreux pays classés dans la catégorie PMA (pays les moins avancés) : ce sont des pays très pauvres et sous-développés, dont les populations sont particulièrement vulnérables (famines, désertification, cyclones, paludisme, guerres). Ils se situent en Afrique sub-saharienne, dans les Caraïbes, et en Asie du Sud-Est.
2. Le critère de la seule richesse montre un monde beaucoup plus éclaté
a. Les BRICS bouleversent la hiérarchie économique traditionnelle

Doc.2. Les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud,
autrefois appelés « pays émergents »

Si on considère le critère du développement, les BRICS appartiennent normalement au Sud : 
- Brésil : 84e IDH à 0,718.
- Russie : 66e à 0,755.
- Inde : 134e à 0,547.
- Chine : 101e à 0,687.
- Afrique du Sud : 123e à 0,619. 

Si on considère le PIB de chacun de ces pays en 2014, les perspectives changent totalement. Par exemple, la Chine a le 2e PIB mondial juste derrière celui des États-Unis mais avant celui du Japon. 
On a ainsi : 
- Chine : 2e avec 10 300 milliards $ (les États-Unis sont à 17 400 milliards $).
- Brésil : 7e avec 2 300 milliards $.
- Inde : 9e avec 2 000 milliards $.
- Russie : 10e avec 1 800 milliards $.
- Afrique du Sud : 32e avec 350 milliards $. 

Ainsi, les BRICS représentent un groupe très puissant dans l'économie mondiale au 21siècle. (On peut ajouter aux BRICS le Mexique, l'Indonésie et la Turquie).

D'autre part, le taux de croissance de leurs économies est toujours élevé et bien plus fort que celui des puissances traditionnelles que sont les États-Unis ou l'Union européenne (UE). La Chine par exemple a, depuis plus de dix ans, une croissance de son PIB supérieure à 10% qu'elle essaie de contenir. Ce sont maintenant eux qui tirent la croissance mondiale.

Avec la crise actuelle, les puissances traditionnelles voient leurs problèmes de financement s'aggraver alors que les BRICS ont des réserves monétaires colossales. L'UE fait ainsi officiellement appel au gouvernement chinois pour sauver la Grèce de la faillite en lui demandant de participer au Fonds européen de stabilité financière (FESF). La hiérarchie des puissances économiques semble totalement bouleversée.
b. Les BRICS bouleversent la hiérarchie des puissances mondiales
Ce bouleversement ne se traduit pas au niveau politique ou militaire. En tout cas, pas encore. 
En effet, les BRICS sont encore loin de posséder tous les aspects de la puissance qui caractérisent les puissances traditionnelles comme l'UE ou les États-Unis : le rayonnement culturel, politique, militaire et technologique. Ce sont des puissances nettement incomplètes, même s'il est évident qu'elles aspirent à jouer un rôle international plus important. La Chine, par exemple, augmente considérablement son budget militaire mais elle part de tellement bas qu'elle ne peut inquiéter les États-Unis.

D'autre part, les BRICS ne forment pas un bloc cohérent, et leurs dissensions ne leur permettent pas de peser davantage. Au contraire, les rivalités entre eux sont grandes : d'une part, la Chine et l'Inde sont en conflit à propos de territoires dans la région de l'Himalaya et d'autre part, la Chine et la Russie à propos du fleuve Amour. L'enjeu est pour eux de s'affirmer comme puissance régionale incontournable. Pourtant, ils possèdent plusieurs atouts :

- leur poids démographique : ils représentent 25% des terres émergées, 15% du PIB mondial mais 45% de la population mondiale,
- ils sont des géants énergétiques : à la fois gros producteurs et gros exportateurs, 
- ce sont des puissances nucléaires.
- La Chine et la Russie sont membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU. Ils tendent à s'imposer de plus en plus, réclament une refonte des institutions internationales (ONU, FMI, Banque mondiale) et le G20 (groupe des 20 pays les plus industrialisés) est devenu leur tribune. 
3. Explications : les nouvelles armes de la puissance
Comment expliquer cette nouvelle hiérarchie des puissances économiques ?
a. Le contrôle des matières premières
Jusque dans les années 1990, les plus gros consommateurs de matières premières étaient les pays développés. Ils étaient donc ceux qui fixaient globalement les règles du jeu (même dans le domaine énergétique où les compagnies pétrolières étaient les interlocuteurs privilégiés des pays producteurs). 
Depuis, le tableau a totalement changé. Certains pays comme la Chine ou l'Inde deviennent de gros consommateurs. Les approvisionnements sont donc devenus fondamentaux : il faut garantir la régularité et la stabilité des coûts. Les pays qui ont des ressources naturelles voient leur rôle stratégique s'accroître.  
b. La qualité de l'appareil industriel
Le commerce international s'est considérablement développé grâce au libre-échange organisé par l'OMC. Les pays capables d'exporter leur production industrielle ont donc un rôle accru. On peut distinguer deux types d'exportateurs : 
- des pays-ateliers comme la Chine ou les pays intermédiaires du Sud, qui exportent des produits à faible valeur ajoutée ou qui ne sont pas propriétaires de cette valeur ajoutée. Ils bénéficient d'une main d'œuvre abondante et surtout très bon marché (le salaire moyen est de 260 €, le salaire minimum de 60 € et il n'est pas toujours respecté, notamment dans les campagnes).
- Des pays à forte tradition industrielle, qui exportent des produits hautement technologiques : les États-unis, l'Allemagne et le Japon par exemple. 

Le solde commercial largement positif entraîne une balance des paiements, elle aussi excédentaire, ce qui se traduit par une réserve de change abondante. 
c. Le rôle de la monnaie
Il n'y a que peu de monnaie internationale : le dollar, l'euro, et le yen. Les États-Unis tirent un bénéfice non négligeable de la position dominante du dollar : ils paient ce qu'ils importent avec une monnaie qu'ils peuvent dévaluer. Ils n'ont donc par définition pas de problème de change. C'est ce qui explique la formule célèbre : « Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ». Dans ce domaine, la domination des puissances traditionnelle que sont les États-Unis et l'UE reste forte. 
d. La science et la technologie
La capacité d'innovation technologique et l'avancée scientifique sont devenues fondamentales dans un monde où les bouleversements dans ces domaines sont fréquents et se traduisent directement en capacité d'exportation et en rayonnement culturel (iPhone, iPad, Google, Facebook sont autant de vecteurs de la puissance américaine, par exemple). L'Occident (États-Unis, UE, Japon) a une avance confortable, mais les transferts de technologie organisés par la Chine dans les ZES (Zones économiques spéciales) et les investissements indiens commencent à porter leurs fruits. Ainsi, Lenovo, entreprise informatique chinoise a racheté, en 2005, la branche d'ordinateurs personnels d'IBM : elle est depuis 2011 le second constructeur mondial de PC. 
L'essentiel
La hiérarchie des puissances se transforme profondément sous l'influence des BRICS. La Chine est la seconde puissance économique mondiale, le Brésil la 6e, la Russie la 9e et l'Inde la 10e. L'Occident n'est donc plus le centre incontesté de l'économie mondiale. *Cependant, ces pays restent loin derrière si on considère leur niveau de développement. Et leur rayonnement politique, militaire et culturel reste régional. Pourtant, à la lumière de la crise économique qui affecte bien plus fortement les puissances traditionnelles, les liens de domination sont en train de s'équilibrer, voire de s'inverser. 

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