Tristan et Iseut : l'amour-passion
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Le roman de Tristan et Iseut se développe à partir d’une conception de l’amour en partie héritée du « fine amor » popularisé par les troubadours provençaux. Figure imposée de la littérature médiévale, l’amour courtois présente un certain nombre de caractéristiques fixées par la tradition littéraire :
- La soumission à l’objet aimé : le chevalier se soumet entièrement à la fois à l’amour et à l’élue de son cœur envers qui il s’engage, établissant une relation qui s’énonce souvent comme un lien de quasi-vassalité.
- L’exaspération des sentiments : le pouvoir de l’amour est souvent total, au point de conduire certains aux rives de la folie.
- L’amour s’appuie sur des preuves et des gages : les amants s’échangent un anneau et des bijoux, gages de leur amour. Le chevalier donne des preuves de son engagement en combattant au nom de sa dame (en tournoi) ou en surmontant des épreuves particulières.
- L’amour est impossible : parce qu’il se définit souvent hors mariage, empêché par des séries d’obstacles politiques ou sociaux insurmontables, l’amour courtois ne peut se réaliser. C’est d’ailleurs ce qui lui fournit sa tonalité lyrique : la « maladie d’amour » est un thème récurrent de la littérature courtoise.
L’amour qui unit Tristan et
Iseut tient donc
beaucoup de l’amour courtois : les amants sont
entièrement soumis l’un à l’autre, leur
amour est absolu et c’est une
« folie », il est illégal et donc
impossible, les amants s’échangent des gages
(v. 2730).
Mais il serait réducteur de n’y voir qu’une
forme de l’amour courtois. L’œuvre de
Béroul possède une
originalité qui donne aux sentiments
décrits une dimension
supplémentaire.
L’amour de Tristan et Iseut est en premier lieu d’origine surnaturelle : le « lovendrins » préparé par la mère de l’héroïne en est la cause principale. Mais Béroul ajoute un détail de son cru : la limitation de son efficacité à trois ans (v. 2170), ce qui le conduit à certaines contradictions puisque, dans son récit, les deux personnages continuent à s’aimer au-delà du terme.
Mais ce sont les relations charnelles qu’entretiennent les deux amants qui éloignent leur amour de la tradition courtoise. Cette dernière s’en tient en effet à l’évocation d’amours platoniques dans la plupart des cas. L’évocation des relations sexuelles dans le roman de Béroul introduit une tonalité quelquefois grivoise qui n’est pas sans rappeler certains fabliaux de la même époque : c’est le cas de la rencontre près de la fontaine (v. 1), sous la surveillance du mari jaloux, mais surtout de l’épisode du Mal Pas. Cet épisode, marqué de bout en bout par le comique (les courtisans s’embourbant dans le marais sous les moqueries de Tristan, v. 3840 ; Iseut juchée sur les épaules de Tristan après force clins d’œil, v. 3920), relève in fine du « bon tour » que les épouses rusées jouent à leur mari dans les fabliaux.
Manifestement, Béroul joue avec les traditions littéraires. A côté de ces évocations, plutôt salées, il introduit une scène qui appartient à la plus pure tradition du roman de chevalerie : lorsque les deux amants, relégués dans la forêt du Morrois dorment côte à côte, séparés par l’épée de Tristan, c’est clairement leur chasteté qui est mise en valeur (v. 1805). Marc qui assiste à la scène ne s’y trompe d’ailleurs pas en agissant selon le code chevaleresque par l’échange des anneaux et des épées. On est là dans une tonalité proche de celle qui se développe dans le Lancelot de Chrétien de Troyes (vers 1135-vers 1183).
A plusieurs reprises, Béroul évoque, sans s’attarder d’ailleurs, la question de la responsabilité des deux amants. De ce point de vue, la rencontre avec l’ermite Ogrin est capitale : le dialogue entre l’ermite et Iseut prend la forme d’une argumentation morale (v. 1365). Si l’héroïne proteste de son innocence en rejetant l’entière responsabilité sur le philtre qu’elle a bu, Ogrin se refuse à blanchir les deux amants.
Leur salut ne peut passer que par un sincère repentir qu’ils accompliront d’ailleurs lorsque le philtre aura cessé d’agir (v. 2310). La morale est donc sauve, mais plus profondément, les amants, et singulièrement Tristan, sont placés sous la protection de Dieu : leur histoire illustre donc l’indulgence de la puissance divine envers les fautes de ses créatures en même temps que l’affirmation d’une loi morale dont elle est le garant.
Clairement inspiré par la tradition littéraire de l’amour courtois, l’amour de Tristan et Iseut s’en écarte cependant par deux caractéristiques : il est provoqué par un philtre magique et sa dimension charnelle est évoquée. De ce point de vue, certains passages rapprochent le roman de la tonalité comique des fabliaux. Plus profondément, l’amour passionnel qui unit les deux héros pose le problème de leur responsabilité, en particulier au regard de la loi divine qu’ils enfreignent manifestement.
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