Roméo et Juliette : William Shakespeare et le théâtre élisabéthain
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Le théâtre élisabéthain rassemble l’ensemble des pièces réalisées en Angleterre sous le règne d’Élisabeth Ire (1558-1603) et, plus largement, sous celui de ses successeurs, Jacques Ier (1603-1625) et Charles Ier (1625-1649).
Par ailleurs, à Londres, les représentations théâtrales dans les auberges sont interdites par la municipalité, à partir de 1574. Cette défense, au sein d’une ville au demeurant en plein essor, favorise la construction de plusieurs théâtres permanents, propres à accueillir de nouvelles formes théâtrales.
Cependant, ces théâtres doivent demeurer aux portes de la ville, au même titre que les maisons de jeux, les maisons closes ou les hospices, dans des zones franches où règnent la misère et la pauvreté.
Il existe également un théâtre privé, plus petit que le Globe mais mieux équipé : The Blackfriars, situé à l’intérieur de la ville. La troupe de Shakespeare s’y produit parfois à partir de 1608.
L’abondance des théâtres stimule la concurrence, incitant chacun à trouver un style et une identité propres.
Si l’existence de troupes attachées à des maisons de gentilshommes précède l’époque élisabéthaine, celles-ci sont saisonnières et composées d’amateurs. Mais en 1572, les acteurs sans protecteur, accusés de vagabondage, sont interdits. En revanche, la cour favorise la création de troupes officielles, affiliées à un patron noble et sédentarisées : la troupe des Comédiens de l’Amiral et celle des Comédiens du Chambellan, à laquelle appartient Shakespeare, sont les plus célèbres.
La concurrence entre les théâtres et la sédentarisation des comédiens augmentent la qualité des spectacles et étendent la renommée des troupes, rapidement sollicitées pour des tournées au-delà de l’Angleterre.
De forme circulaire, à la manière des arènes, ces théâtres possèdent trois étages de galeries en bois couvertes et un parterre, le tout pouvant accueillir deux à trois mille spectateurs. Au centre, se trouve la scène, appelée scène ouverte, et bordée sur trois côtés de spectateurs : cette disposition favorise la proximité du public avec l’action dramatique.
• La scène
La forme donnée à la scène est une contrainte dont les dramaturges doivent tenir compte dans la composition de leurs pièces.
L’espace scénique est relativement limité. L’avant de la scène comporte une trappe. À l’arrière, la scène est limitée par le bâtiment des comédiens. Celui-ci est percé de deux portes pour les entrées et sorties des personnages, et surmonté d’une galerie destinée aux spectateurs, à des musiciens ou aux comédiens (par exemple dans la scène du balcon de Roméo et Juliette). Il comporte également un toit de chaume soutenu par deux piliers.
• Inconfort
Les scènes des théâtres sont à ciel ouvert et soumises aux intempéries, ce qui empêche tout décor élaboré. Les représentations ont lieu l’après-midi, profitant ainsi de la lumière naturelle. Seul le Blackfriars, dont la scène est dotée d’un toit fort précieux en hiver, propose des spectacles en soirée, à la lumière artificielle, avec un décor plus raffiné.
Pour un prix modique (un penny), la population la plus modeste (étudiants, ouvriers, soldats, domestiques…) a accès aux places debout du parterre, et constitue un public aussi turbulent que pittoresque.
Les places assises des galeries, au tarif plus élevé, sont réservées aux bourgeois et aux gentilshommes.
La diversité du public conditionne en partie l’écriture des pièces, qui mêle les registres pour séduire le plus grand nombre.
Les comédiens montent généralement une nouvelle pièce en quinze jours ; leur nombre par troupe étant limité, ils doivent apprendre rapidement plusieurs rôles en même temps.
Les comédiens étant exclusivement des hommes, les rôles féminins sont tenus par de jeunes adolescents.
La scène n’en demeure pas moins un lieu symbolique, qu’un objet permet d’identifier : un trône pour figurer une salle d’apparat, un lit pour une chambre…
L’espace est structuré par un jeu d’oppositions horizontales (avant/arrière) ou verticales (haut/bas) : dans Roméo et Juliette, lors de la scène du balcon, Roméo sort de l’ombre et finit par annuler cette opposition en rejoignant Juliette.
Les personnages sont des personnages de convention et correspondent à des types hérités du Moyen Âge ou de la comédie latine : le scélérat, le bouffon… La magnificence de leurs costumes concentre sur eux l’attention du public et participe à leur caractérisation.
Mais chez Shakespeare, si les personnages agissent d’ordinaire conformément à leur type, il peut survenir parfois un revirement dans leur comportement, compromettant ainsi toute unité de caractère. Cette entorse permet aux personnages de sortir de leur type et de gagner en épaisseur psychologique. Aux prises avec leurs passions, ils incarnent la complexité humaine.
• Soliloques et monologues
Ils sont récurrents au théâtre et correspondent à de grands moments d’émotion. Qu’un personnage s’exprime pour lui-même au milieu d’autres (monologue) ou qu’il soit seul sur scène (soliloque), il entretient, à travers ce type de tirades, une complicité avec le public, encore augmentée par la configuration de la scène.
• Complexité rhétorique
L’époque élisabéthaine fait la part belle à la grande rhétorique, cet art langagier qui brille par sa sophistication. Le texte théâtral est doté d’une forte charge poétique, et l’on parle volontiers de poème dramatique. Ce poème théâtral use notamment de toutes les figures de l’analogie (métaphore, métonymie), pratique abondamment les jeux sonores (paronomase) et jeux de mots (polysémie). Le raffinement du discours est tel, qu’il en obscurcit parfois le sens. Il propose cependant différents niveaux de compréhension, à l’origine de la densité significative du texte.
La pratique du double langage est aussi une manière de révéler, en cette période de doute et de soupçon, la dualité, voire la duplicité humaine.
• Variété des registres
Le théâtre élisabéthain fait appel à des types de personnage très variés qui adoptent un discours conforme à leur caractère. Le discours dramatique doit donc faire appel à tous les registres (comique, pathétique) et à tous les styles (bas, médiocre, noble).
En Angleterre, l’époque élisabéthaine est à l’origine de la création du théâtre en tant que lieu permanent de représentation et de la professionnalisation des métiers qui lui sont relatifs.
L’architecture de ce théâtre agit, auprès du dramaturge, comme une contrainte formelle qui conditionne l’écriture des pièces, lesquelles sont caractérisées par la prééminence des personnages et de leur discours.
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