Prolétariat, classes moyennes et monde ouvrier
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L’organisation rationnelle du travail va faire naître des catégories d’employés comme les commerciaux, les techniciens… que l’on va retrouver également dans d’autres branches de l’industrie (chimie, transport, textile et métallurgie). De même, le développement des activités de service va générer de nouveaux emplois qui vont permettre d’accéder aux classes moyennes. Parmi ces activités, on peut citer celles liées au travail féminin qui va prendre son envol dès les années 1930 comme la profession de secrétaire, de dactylographe et d’employée de bureau. Par leur entrée dans le monde du travail et grâce à leur réussite sociale, les femmes vont donc tout naturellement grossir les rangs de la classe moyenne.
L’Etat participe aussi à cet essor : l’école de la République a besoin d’instituteurs et de professeurs au même titre que les services publics ont besoin de leurs fonctionnaires. A partir du milieu du XIXe siècle, la société change incontestablement. Elle doit dorénavant compter sur l’accroissement et la réorganisation de la classe moyenne.
Cependant, cette classe ne peut prétendre ni à l’aisance financière ni à la qualité de vie des classes favorisées, car elle ne possède pas le même porte-monnaie. Bien souvent d’ailleurs, certains de ses membres ont des salaires peu élevés qui flirtent souvent avec ceux du monde ouvrier. Pourtant, cette classe moyenne est consciente de ses privilèges (pour exemple les fonctionnaires qui ont la sécurité de l’emploi). C’est elle que l’on retrouvera, avec l’avènement et l’allongement des congés payés en France (quinze jours en 1936, quatre semaines en 1969) sur la route des vacances ce qui montre que le tourisme n’est plus une activité réservée seulement à l’élite.
Nouvelle couche sociale cultivée, économe et politiquement importante, la classe moyenne va redessiner la société des pays industrialisés jusqu’à devenir sa principale composante dès le début du XXe siècle.
En ce début du XIXe siècle, le terme prolétariat est repris pour qualifier une certaine catégorie d’ouvriers : ce sont ceux qui, aux conditions de vie misérables, vendent leur force de travail manuel contre de maigres revenus. Ces prolétaires travaillent dur en usine ou en atelier à raison de quatorze heures par jour en moyenne dans des conditions difficiles (nuisances sonores, manque d’hygiène, sécurité restreinte) et peuvent être renvoyés par leur patron à tout moment. Il va sans dire qu’il n’existait en ce XIXe siècle, aucune protection juridique ni sociale.
De plus, ces prolétaires n’arrivent pas, à eux seuls, à subvenir aux besoins de leur famille qui loge dans des lieux souvent insalubres où règnent des maladies aujourd’hui enrayées, comme la tuberculose. Il s’agit de la dernière classe sociale, celle qui s’oppose en tout point à la bourgeoisie qui détient le Capital et qui vit confortablement en appartement, dans les beaux quartiers ou dans des hôtels particuliers.
De même, ce groupe social est éloigné de la classe moyenne ne serait-ce que par la différence de revenus et de mode de vie. Dans son roman L’Assommoir (1877), Emile Zola dépeint ces classes ouvrières laborieuses (Coupeau, un des personnages est ouvrier-zingueur) qui noient leur détresse et leur dur labeur dans l’alcool. A cette catégorie de traîne-misère s’ajoute le sous-prolétariat constitué de marginaux (sans domicile fixe de nos jours). Fruit des révolutions industrielles, le prolétariat va mener lui aussi à sa manière et avec le temps sa propre révolution, celle de la lutte des classes pour l’amélioration de son sort et la reconnaissance de ses droits.
A côté de cette vague immense de prolétaires se trouve des ouvriers à domicile dont les conditions de vie ne sont guère plus enviables. Si ceux-ci possèdent les outils de production, ils sont esclaves du bon vouloir des marchands (pour la matière première) et des fabricants à qui ils vendent à bas prix leurs réalisations.
Enfin, au sein même des ouvriers on note divers statuts : l’ouvrier spécialisé (OS), l’ouvrier qualifié (OQ) qui apparaissent au XXe siècle suite à la Taylorisation et au Fordisme. Avec l’avènement de l’ouvrier et du prolétariat née donc une conscience, celle d’appartenir à une classe et à une culture, celle qui les différencie des autres travailleurs tant par leur mode de vie que dans leur devenir.
Miséreux, ils se regroupent dans des quartiers populaires ou dans des cités dites ouvrières spécialement construites pour eux non loin de leur lieu de travail (comme les cités dortoirs du Nord de la France). Ainsi, la ville est le parfait reflet des inégalités sociales. Parallèlement, la vie des prolétaires est toujours rythmée de la même manière voguant entre un dur labeur journalier et de simples pauses le soir autour d’un verre dans les estaminets populaires. Ni vacances, ni avantages, ni même de couverture sociale mais plutôt la faim, la misère, le manque d’hygiène et, pour les mineurs, des catastrophes meurtrières (les fameux coups de grisou dans les mines de charbon soit l’explosion soudaine de gaz naturel)... La précarité de la condition de prolétaire est donc certaine au XIXe siècle.
Les perspectives de promotion sont extrêmement limitées et les enfants d’ouvriers ne peuvent aspirer à autre chose que d’être, plus tard, ouvriers à leur tour (on parle de reproduction sociale). C’est dans ce contexte que vont naître des revendications et les premières révoltes. Tout d’abord, l’image de cette classe est négative. Assurément, la bourgeoisie s’en méfie et la craint davantage à partir du moment où les ouvriers vont comprendre que l’union fait la force (loi Waldeck-Rousseau de 1884 qui autorise la création des syndicats en France). Forts de cette adhésion à des fédérations qui revendiquent publiquement une amélioration de leurs conditions de travail, les ouvriers entament d’abord le combat contre la bourgeoisie capitaliste sur le mode de la négociation ou pacifiquement par le biais des grèves qui gèlent toute la production. C’est ainsi que dès la moitié du XIXe siècle, en France comme dans d’autres pays industrialisés, les conflits sociaux s’enchaînent affirmant ainsi la lutte des classes, celle du Capital contre le Travail.
Alors vient le temps des améliorations de la condition ouvrière sous la forme de lois sociales mises en place par les gouvernements et appliquées par les industriels : la loi instituant le repos hebdomadaire (1906), la loi fixant à 8 heures par jour le temps de travail (1919) ou bien encore la loi sur les assurances sociales (1928) etc. A cela s’ajoutent les meilleures conditions de vie du prolétaire et une nouvelle politique d’augmentation des salaires pour permettre aux travailleurs de devenir de vrais consommateurs.
Pourtant, les périodes de crise mettent la fragilité de leur situation à nu: celles-ci les précipitant inexorablement vers le chômage. Malgré ceci l’ouvrier du XXe siècle est bien éloigné de celui du XIXe. La participation croissante de l’Etat et le poids des syndicats ont permis ces formidables avancées sociales. En ce début de XXIe siècle, la place de l’ouvrier dans les pays industrialisés est totalement remise en question suite à la robotisation des usines et à la délocalisation des entreprises (implantation à l’étranger où la main d’œuvre est moins chère). Parce que la machine a remplacé l’homme et que le marché est devenu mondial, l’ouvrier se retrouve au chômage et doit se reconvertir : fermeture d’usines dans le secteur automobile (Ford) aux Etats-Unis et au Canada (2005), arrêt de l’exploitation de la dernière mine de charbon en activité en France en 2004 (la Houve en Lorraine) etc. Les exemples de cette évolution ne sont malheureusement que trop nombreux.
De 1850 à nos jours, la société des pays industrialisés a profondément changé. L’avènement du monde ouvrier au XIXe siècle avec son lot de prolétaires et de déclassés est caractéristique de l’air du temps. Face à la grande bourgeoisie capitaliste, cette dernière classe de la hiérarchie sociale a su, au fil de grèves et de luttes acharnées, imposer ses revendications pour l’obtention de progrès sociaux. Pourtant, si la condition sociale de ce monde grouillant de besogneux s’est nettement améliorée, elle n’aura fait qu’effleurer le mode de vie des classes moyennes. Celles-ci, imitant à la perfection la bourgeoisie, ont tenu à mettre de la distance vis-à-vis du monde ouvrier parce que populaire. De nos jours, si la classe moyenne domine numériquement les sociétés des pays industrialisés, les ouvriers et plus encore les prolétaires se retrouvent sur le banc de touche, contraints d’essayer de trouver des solutions pour sortir du chômage et de la précarité. A la lutte du capital contre le travail au XIXe siècle répond au XIXe le combat de la reconversion contre l’exclusion.
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