Peut-on encore parler de science là où il n'y a pas de démonstration ?- Terminale- Philosophie
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Se demander si on peut parler de science là où il n'y a pas de démonstration
- La science, pour être considérée comme telle, doit être démonstrative et méthodique.
- La science possède aussi un critère d'interprétation.
La question nous demande plutôt de « parler de science » c'est-à-dire de science ou mieux de scientificité, et non du savoir ou de la connaissance en général. Autrement dit, la démonstration est présupposée comme critère afin de juger la scientificité de disciplines aussi différentes que les sciences formelles (mathématiques, logique), les sciences de la nature (physique, biologie, chimie etc.) et les sciences humaines (histoire, sociologie, psychologie, psychanalyse, etc.) : sont-elles des sciences homogènes ? Comportent-elles toutes le même type de scientificité ? Adoptent-elles toutes les mêmes méthodes ?
Si science veut dire démonstration, alors la démonstration doit être le critère de démarcation entre ce qui peut être dit scientifique ou non. Mais le mot critère peut avoir deux significations souvent confondues :
- soit critère signifie condition nécessaire et suffisante : la démonstration est-elle ce qui fait qu'une science est une science ?
- soit critère signifie simplement indice ou symptôme : la démonstration est-elle ce qui permet de reconnaître ou d'identifier une science ?
Le premier problème est d'ordre métaphysique (lié au fondement) puisqu'il vise l'essence de la science et le second est épistémique (lié à notre connaissance) puisqu'il vise à justifier s'il y a science ou non.
On peut distinguer un sens large et un sens
étroit de la démonstration.
La démonstration au sens large est un
raisonnement qui enchaîne rigoureusement des
propositions visant à prouver un
résultat ou une conclusion. Sa forme
logique est fournie par Aristote à partir
du syllogisme, raisonnement qui, de deux
prémisses (propositions), permet de
déduire nécessairement une
conclusion : « Tout homme est mortel,
or Socrate est un homme, donc Socrate est
mortel ».
La démonstration (apodeixis) au sens
étroit est le syllogisme dit
« scientifique » dont les
prémisses doivent être vraies absolument,
mieux connues que la conclusion. Autrement dit, il ne
peut pas y avoir de science là où il n'y
a pas syllogisme scientifique donc de
démonstration. Démonstratif au sens fort
voulant dire discours fondé sur des principes
apodictiques c'est-à-dire vrais, universels et
nécessaires.
Contre une telle manière de fonder la science
sur le syllogisme démonstratif, on peut
contester le modèle syllogistique, simple
instrument (organon) servant à exposer
une vérité déjà connue et
non à l'inventer, en lui préférant
le modèle mathématique. La
démonstration mathématique devient le
modèle dominant de la science.
Il s'agit alors d'élargir sa
méthode pour bien l'appliquer à toute
la connaissance. Descartes fonde ainsi la science sur
une méthode universelle (Mathesis
Universalis) qui consiste à bien conduire sa
raison, « chose du monde la mieux
partagée », quelque soit l'objet
à connaître. Toute chose est ainsi
démontrable pour qui procède par
méthode jusqu'à la démonstration
de l'existence de Dieu comme fondant la
vérité.
On peut retenir que, si une science n'est une science
qu'en raison de sa méthode, celle-ci n'est donc
plus limitée par ses objets et les
mathématiques sont ainsi
présupposées comme la sève
alimentant tous les niveaux de la connaissance. Il n'y
a science que là où l'on conduit ses
pensées conformément à l'ordre des
raisons donc démonstrativement depuis les objets
les plus simples (méta-physiques : Dieu,
l'âme) jusqu'aux plus complexes (physiques :
le monde extérieur, l'union de l'âme et du
corps et les passions).
Toutefois le problème de la scientificité
d'une science peut se poser à nouveaux frais en
faisant l'économie de toute fondation
métaphysique de la démonstration. La
question de savoir si la démonstration est un
critère de scientificité signifie
désormais de manière critique : la
démonstration permet-elle de discerner une
science d'une non-science ?
Il s'agit de partir des sciences constituées et
d'évaluer si la démonstration est bien le
bon critère de démarcation pour discerner
là où il y a science ou
scientificité. On peut distinguer deux
méthodes de démonstration donc deux types
de relation à notre connaissance : la
déduction et l'induction.
À chaque fois il s'agit de prouver, mais
selon le type de science convoquée, la nature de
la preuve change : en mathématique ou en
logique, la démonstration est formelle
puisqu'elle repose sur des objets construits par la
raison ne dépendant pas de l'expérience
(déduction) tandis que toutes les autres
sciences se confrontent au réel et
nécessitent la remontée depuis les faits
jusqu'à leurs causes (induction). La
méthode expérimentale associe la logique
et l'expérience pour conduire au vrai,
c'est-à-dire au réel.
En dehors des sciences formelles comme les
mathématiques et la logique, on peut donc
affirmer que la démonstration n'est plus le seul
critère pour reconnaître la science. Toute
science empirique ayant une relation aux faits de
l'expérience, donc au réel, doit
nécessairement faire appel à la
méthode inductive puisqu'elle part
toujours d'un donné irréductible et
particulier.
Si seules les sciences formelles sont
démonstratives au sens fort, comment
établir la scientificité de disciplines
comme la psychanalyse ou l'histoire qui
prétendent au statut de science au même
titre que la physique ou la biologie ?
Popper propose un critère de démarcation
entre science et non-science à partir de la
déduction comme méthode de
contrôle. La démonstration
s'infléchit : elle n'est plus positivement
ce qui permet de prouver la vérité d'une
théorie. Le critère de
scientificité devient la
falsifiabilité d'une théorie,
c'est-à-dire sa capacité d'être
réfutée par des expériences
déductibles en principe de la théorie en
question. « Scientifique »
voulant dire négativement
« réfutable », la
théorie de Popper permet de tracer une ligne de
démarcation entre science et pseudo-science. Par
exemple le freudisme ou le marxisme ne sont pas
scientifiques car rien ne peut les tester
c'est-à-dire les réfuter. Sans les
discréditer, elles relèvent d'une autre
procédure de connaissance.
La scientificité d'une science n'est donc plus
du côté de la démonstration au sens
de recherche de preuves mais c'est à la science
convoquée de prouver par elle-même qu'elle
peut être réfutable face à des
tests ayant pour but de l'infirmer.
Mais il ne s'agit pas pour autant de nier la
capacité de certaines disciplines de faire sens.
La démonstration est un modèle explicatif
du réel certes toujours convocable pour les
sciences de la nature, mais
l'interprétation est le modèle
compréhensif du réel humain.
Dilthey développe l'idée profonde qu'il
existe un abîme entre les sciences de la Nature
et les sciences de l'Esprit à partir de la
distinction entre expliquer et comprendre. Si ces deux
activités sont hétérogènes,
elles ont toutes deux un souci
« démonstratif » au sens
large, mais la première est extérieure
à son objet alors que l'autre appartient
elle-même à ce qu'elle cherche à
connaître. L'explication (dont
l'étymologie renvoie au fait de déplier)
est démonstrative parce qu'elle implique une
relation externe entre une cause et son effet, alors
que l'interprétation (lire-entre) est une forme
de compréhension qui relève plutôt
de la notion de sens que de la vérité.
Par exemple les interprétations de la
psychanalyse ou de l'histoire ne doivent pas être
confondues avec des hypothèses scientifiques et
ceci n'a rien de péjoratif :
l'interprétation n'est pas démonstrative
au sens fort puisque c'est nous qui lui donnons son
sens.
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