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Pensées : lecture méthodique 3, le divertissement

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Objectif
Chercher une problématique, proposer une lecture méthodique, des axes de lecture qui éclairent la pensée de Pascal.
Les citations font référence aux fragments de l'édition proposée par Léon Brunschvcg, le Livre de Poche.

Page 66, fragment 139
« Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes (…) parce que personne ne les empêche de songer à eux. »

Voir un extrait :
(139)
Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls, et les peines où ils exposent dans la Cour, dans la guerre d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises, hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. […]
Prenez-y garde, qu’est-ce autre chose d’être surintendant, chancelier, premier président sinon d’être en une condition où l’on a le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils sont dans la disgrâce, et qu’on les renvoie à leurs maisons (…) ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux.
1. Introduction
Les fragments consacrés au divertissement ne vont pas sans rappeler le Livre troisième, chapitre XIV des Essais de Montaigne, dans lequel le philosophe donne une approche positive de la « diversion ». En effet, faire « diversion » à sa propre souffrance permet de moins souffrir : « Toujours la variation soulage, dissout et dissipe. » De plus, diversion et divertissement ont la même étymologie latine diverto, signifiant : « action de détourner de », qui s’approche du sens « se détourner de sa souffrance par une activité ».

Malgré ce semblant d’approche commune, chez Pascal, le divertissement semble moins positif dans le sens où l’homme fuit la réalité, dans une sorte de déni : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser ». Il ajoute ainsi une réflexion morale à cette technique de détournement, de la misère de la condition humaine, et de l’essentiel : Dieu.

- Problématique : Pascal dresse ici un constat paradoxal : l’homme fuit le repos et la prise de conscience de ce qu’il est, par l’agitation futile, même si au cœur de l’agitation transparait l’aspiration à la sérénité.
2. Le paradoxe de l'homme : malheureux en repos ou en proie à la suractivité futile, entre malheur et vanité...
a. Point de départ de la réflexion : le paradoxe de l'homme
Pascal part d’une observation dont le fondement se justifie par la pluralité des exemples, d’où l’adverbe « quelquefois » et la tournure pléonastique (= du pléonasme) du verbe « considérer » repris par le pronom adverbial « y ». Le regard du philosophe embrasse l’ensemble des hommes.

• Il part du constat paradoxal du comportement humain qui réside entre l’incapacité de l’homme de rester en repos (mis en évidence par la répétition du verbe « demeurer » et du champ lexical de la demeure intime « dans une chambre, chez soi... ») et sa projection dans diverses activités, généralisées par les nombreux pluriels (« les agitations, périls, peines, querelles, passions, entreprises hardies... »).
Notons les noms péjoratifs indiquant des activités périlleuses, relevant de la passion en tant que souffrance, et non de la raison mesurée, associées au verbe « s’exposer » qui ne manque pas de souligner la part consciente de l’homme dans ses choix.

La cause du malheur des hommes est énoncée comme une sentence irréfutable, située dans une actualité large, permanente « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose... » (utilisation des déterminants singuliers et du présent de vérité générale).

L’exemple inaugural : le roi est l’exemple allégorique du comportement des hommes déraisonnables, puisqu’il a « assez de bien » (adverbe de quantité indéterminée, à valeur ici presque morale) pour rester chez lui et pourtant, son attitude est portée vers l’éloignement, d’où la mention de lieux aussi opposés que « la mer », « une place » montrant l’ampleur du mouvement. De plus, Pascal mêle sur le même plan les activités dites sérieuses que sont la guerre et l’armée (champ lexical « siège, charge, armée... ») et d’autres agitations dites futiles (« conversations, divertissements, jeux »).
b. De la cause aux raisons de la misère de l'homme : la vision pessimiste de la condition humaine
Le raisonnement progresse vers les raisons de ce paradoxe : la condition misérable des hommes présentée comme « le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler... » Pascal fait une présentation pathétique de la condition humaine, d’où l’emploi du verbe « consoler ». Les adjectifs pathétiques suivent un crescendo du point de vue du rythme (de plus en plus longs) et du sens (de plus en plus signifiants puisque le dernier, élevé en tournure consécutive si... que au degré le plus haut, englobe les 2 premiers).

Le leitmotif du malheur revient sans cesse (de nombreuses occurrences dans cet extrait), en opposition directe avec le bonheur sensé être procuré par le divertissement.
L’exemple allégorique (mis en évidence par le superlatif « le plus beau poste du monde ») est développé plus amplement pour servir de preuve imparable : un roi sans divertissement et « le voilà malheureux ». Celui qui possède le plus, qui connaît le plus de satisfactions (tournures hyperboliques : « tous les... toutes les... ») est ramené à sa condition évoquée par un vocabulaire pathétique. L’utilisation du futur de certitude (« il tombera ») marque la rigueur de la déduction.
3. La dualité de l'homme, entre désir et lucidité
a. Conséquences
Pascal énumère les conséquences avec les tournures anaphoriques en « de là vient que... » L’homme se livre à des activités multiples (énumérations d’activités hétéroclites «  jeu, conversation des femmes, guerre, grands emplois...  » reflétant l’action chaotique et désordonnée de l’homme. Les actions semblent être des prétextes pour fuir et s’occuper, un leurre d’où le lexique de l’imagination (« on s’imagine ») qui fausse la réalité.

Définition du divertissement : le fait d’échapper à l’idée de la mort par l’activité. Le paradoxe est donc que le repos trouble les hommes (vocabulaire négatif « mol et paisible ») ; alors que l’agitation les apaise (vocabulaire positif « détourne d’y penser et nous divertit »).
b. La fonction du désir sauvant de la lucidité face à notre condition
Le divertissement trouve une utilité existentielle : un principe d’explication de l’activité humaine pour fuir sa réalité insuffisante. Pascal insiste sur l’acharnement des hommes dans leur inventivité (« ont pu inventer »), leur ténacité dans le temps (« passer tout le jour »), d’où le long développement sur la chasse, introduit par le présentatif « voilà ».
L’exemple du chasseur permet d’identifier l’activité laborieuse des hommes avec des verbes de quête « se rendre heureux, courir, garantir, rechercher, chercher ». L’homme paraît en quête du bonheur, même s’il se trompe sur le but à atteindre, qui est en réalité « une occupation violente et impétueuse qui les détourne de penser à soi ».

Le divertissement n’apporte pas le vrai bonheur. Le discours de Pascal est régi par la négation : « ce n’est pas... ni que... ». Les hommes ne sont pas dupes : « on n’en voudrait pas. »
Leur erreur est mise en évidence par le vocabulaire de l’illusion et de l’erreur : « inventer, croire, ne pas connaître, ne pas savoir ». Le lièvre poursuivi est un leurre : la chasse ne fait que le détourner de penser à lui-même, et non le but de sa chasse. Pascal induit une approche lucide, en opposant la vanité des hommes à rechercher un objet convoité (telle l’obtention du lièvre, au conditionnel, comme éventualité, voire irréelle « ne nous garantirait pas ») à la nécessité de l’activité qui « garantit » le divertissement (présent de vérité générale, à valeur d’assertion). Le réemploi du même verbe à des modes différents marque très nettement cette opposition entre illusion et réalité.
4. L'ambigüité du divertissement
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement ; et cependant c’est la plus grande de nos misères. »
a. Reflet de la condition humaine
Sa fonction pragmatique : il répond au désir de l’homme, à sa concupiscence : le vocabulaire du charme est largement exploité (« attirant, attirer, ardeur, plaisir, la nature insatiable de leur cupidité »). Or, « La concupiscence et la force sont les sources de toutes nos actions : la concupiscence fait les volontaires... » ([232], P.334)

• Il met en évidence  l’erreur de l’homme se tournant vers le tumulte alors qu’il aspire au repos (vocabulaire antithétique : « tendre au repos par l’agitation », verbes de croyances erronées : « se figure, envisager... ») ; l’insatisfaction frustrée, permanente en référence à la chute originelle (« la grandeur de notre première nature ») ; la lutte permanente : vocabulaire guerrier « chercher combattre, surmonter », puis négatif « repos insupportable, ennui, misères, venin », allant du désagrément à l’idée de mort.
b. Le bonheur éphémère
Appel à la complicité du lecteur avec la tournure impérative « prenez-y garde » avec une question oratoire sur un cas ultime (exemple à peine recevable par la morale : le père qui a perdu son fils et qui est « accablé de procès »).
Le système de question-réponse, avec une invitation presque ironique (« Ne vous en étonnez pas ») et l’évolution du style presque familier choquent l’esprit du lecteur en démasquant l’hypocrisie sociale. La réponse de Pascal est brève et ironique : le divertissement détourne de la lucide constatation des misères de la condition ; « il n’en faut pas davantage ».

Le divertissement résume la vie humaine : « Ainsi s’écoule toute la vie ». Il est nécessaire mais éphémère et n’aboutit pas au repos attendu mais au renouvellement du désir, et au besoin de fuir encore : le cycle sans fin. D’où la reprise de l’image de la chasse avec les mêmes notions de quête (« poursuivre »), de ténacité ( « depuis six heures »). Pascal conclut sur la même opposition (antithèse bonheur du divertissement / malheur de l’ennui).
Le vocabulaire de la multitude, de la grandeur (« grande condition, nombre de personnes, grands nombre de gens qui viennent de tous cotes, le pouvoir... ») ne manque pas de frapper tant il contraste avec le constat identique de l’homme seul face à lui-même : « misérables et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux ». Le pouvoir est vain face à la réalité de notre condition.
Conclusion
L’homme à cause de ses « facultés trompeuses » fuit la conscience de la misère, de la mort. L’imagination permet de nous détourner des idées insupportables. Pascal s'efforce de convaincre son interlocuteur par la rigueur d'une analyse qui envisage méthodiquement les exemples extrêmes et en s'appuyant sur une observation exhaustive.
Il fait de son interlocuteur un complice de son ironie à l'égard des hommes esclaves du divertissement, si importants fussent-ils. Selon Pascal c’est l’homme sans Dieu qui se livre au divertissement et qui oublie, sans être apaisé, sa misère profonde, depuis la chute originelle.

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