Nouvelle objectivité et Vérisme
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Ainsi, en Europe, mais plus particulièrement en
France et en Italie, s’observe le
phénomène dit de « rappel
à l’ordre », qui consiste en un
retour plus ou moins poussé aux valeurs
naturalistes et aux techniques picturale de l’art
classique.
En France, Picasso s’y
réfugie pour tourner définitivement la page
du cubisme ; Matisse, lui
aussi, redécouvre les vertus de la perspective et
du naturalisme. En Italie, ce sont Giorgio De
Chirico, Carlos
Carrà et autres peintres
de la Pittura metafisica, « la
peinture métaphysique », qui
après les abstractions futuristes renouent avec la
peinture figurative et certains principes
édictés à la Renaissance.
Malgré les sujets
décalés,
l’atmosphère
irréelle, voire
« pré-surréaliste »
de leurs œuvres, compositions et techniques
s’inspirent du
passé : le souci de
naturalisme, la netteté des contours et des
volumes, la mise en
place de décors inspirés du
Quattrocento.
La génération d’artistes allemands
qui va s’imposer vers 1920 prendra
De
Chirico et Carrà
comme référence, et l’on verra
souvent dans leurs œuvres les mêmes
pantins mécaniques, les
mêmes architectures
désertées que chez leurs pairs
italiens ; surtout, comme les Italiens, les artistes
qui vont fonder ce qu’on appellera la
Nouvelle Objectivité (Neue
Sachlichkeit) emploieront une technique picturale
s’appuyant sur la finesse et
l’aspect lissé de la couche
picturale.
Mais les artistes de cette Nouvelle Objectivité
déclineront ce « rappel à
l’ordre » formel de différentes
manières qui, pour les plus originales
d’entre elles, seront à nulle autre
pareilles. Ainsi, se trouveront parmi eux des artistes
ayant œuvré au sein de la branche berlinoise
du mouvement Dada, comme George Grosz et
Otto
Dix, qui auront
déjà rompu avec les thèmes mystiques
et utopiques de l’expressionnisme pour
s’ancrer dans le réel, y compris le
plus sordide, et développer une iconographie des
bas-fonds sans équivalent en Europe. A
côté d’eux, d’autres artistes
apporteront leur version de la Nouvelle
Objectivité, très différente, moins
dérangeante, plus typiquement néo-classique
jusque dans les thèmes idylliques qu’ils
traiteront, au sein de ce qui sera notamment
appelé le « réalisme
magique ».
Tous les artistes de la Nouvelle Objectivité s’entendront pour opérer un retour à la réalité et notamment par l’évocation de la vie quotidienne, après les explorations mystiques de l’expressionnisme. Les différences entre les différents courants de la Nouvelle Objectivité surgiront quant à savoir quelle réalité quotidienne montrer : une réalité un peu idéalisée, plutôt représentative de la vie en province, ou la réalité crue, montrant les affres de la vie dans une cité tentaculaire comme Berlin.
Peu à peu, des journalistes et des critiques
d’art vont essayer de mieux cerner le nouveau
mouvement artistique qui submerge l’Allemagne. En
1922, l’historien d’art G.F. Hartlaub
donne son interprétation du
phénomène dans un article paru dans la
revue berlinoise Das Kunstblatt sous le
titre : Un nouveau
naturalisme ? Hartlaub voit dans ce
retour au réalisme une réaction aux
bouleversements de la guerre et de la
révolution, et distingue dans ce
processus deux modes de pensée et de
retranscription du réel, en les définissant
selon le schéma politique
bipolaire : d’un côté un
réalisme de droite, de l’autre un
réalisme de gauche.
De ces deux ailes affrontées, Hartlaub
dit : « L’une,
conservatrice jusqu’au classicisme, trouve sa
source dans l’intemporel ; après tant
de chimères et de chaos [de
l’expressionnisme, de la guerre], elle
vénère ce qui est sain, ce est
dessiné et modelé en conformité avec
la nature, en exagérant presque sa
matérialité, ses rondeurs.
Michel-Ange,
Ingres et les
Nazaréens ne la démentiraient pas.
L’autre, l’aile gauche, crue dans sa
modernité, se reconnaissant peu dans l’art,
s’affirmant plutôt par sa négation,
veut montrer le chaos tel que le génère
notre époque, avec une ardeur primitive passant
par l’exposition totale, sans détour, de
soi. »
Cette distinction avancée par Hartlaub entre droite et gauche sera déterminante dans l’appréciation qu’auront ses contemporains de la Nouvelle Objectivité. Poursuivant son entreprise de mise en avant du mouvement, il organisera en 1925 une exposition à la Kunsthalle de Mannheim dont il est directeur, consacrée à ce qu’il appelle La Nouvelle Objectivité. La peinture allemande depuis l’expressionnisme. On pourra y voir des œuvres des principaux artistes du mouvement, appartenant d’ailleurs plutôt à l’aile gauche : Otto Dix, George Grosz, Max Beckmann, Rudolf Schlichter, Georg Scholz, etc. C’est également Hartlaub qui donnera à l’aile gauche le qualificatif plus approprié de « vériste ». De ce fait, le terme générique de Nouvelle Objectivité, désignant ensemble les deux courants, s’utilise aussi pour définir plus particulièrement l’aile droite.
Cette construction quelque peu confuse de Hartlaub sera
plus tard remise en question, même s’il
convient de séparer nettement les
œuvres néo-classiques, à
l’atmosphère apaisée,
idyllique d’un Georg Schrimpf ou
d’un Alexander
Kanoldt, des visions
sarcastiques et sans concession de
George
Grosz ou
d’Otto
Dix.
Les différences s’établissent en
fonction de la manière dont l’artiste
perçoit et retranscrit la réalité
quotidienne, mais aussi dans les modes de
représentation. En effet, là
où les classiques renouent avec des
thèmes traditionnels (paysages
idéalisés, natures mortes, portraits), les
véristes optent pour la scène de genre,
souvent décalée, parfois à
la limite du surréel. Les uns montrent
des choses et des types atemporels, sans prise
véritable sur leur époque, tandis que les
autres donnent à voir de la société
dans laquelle ils vivent ce qu’elle a de plus
sombre : hypocrisies de la bourgeoisie,
compromissions politiques, prostituées, crimes
sexuels, invalides de guerres, etc.
Le vérisme sera donc, tout naturellement, le moyen d’expression des artistes qui comme Grosz et Dix sont issus d’un mouvement Dada en déperdition. Cependant, pour certains artistes, les frontières entre « droite » et « gauche » seront relativement poreuses.
La Nouvelle Objectivité sera l’un des
mouvements artistiques les plus importants de
l’Allemagne des années 1920. Ce courant peut
être en partie rattaché au
phénomène européen de
« rappel à
l’ordre », réaction
commune au chaos de la Grande Guerre ; ce
« rappel à l’ordre »
s’est principalement manifesté en France et en
Italie par un retour aux valeurs formelles de
l’art classique.
Mais la ramification allemande de ce processus s’est
caractérisée par le réalisme
cru et sans concession avec lequel certains
artistes, pour la plupart issus du mouvement Dada, ont
représenté les affres de leur époque,
dans un mouvement de réaction par rapport aux
dérives « mysticisantes » de
l’expressionnisme.
D’une manière générale, on
observera un attachement renouvelé à la
représentation réaliste des
êtres et des choses, plutôt qu’à
leur sublimation et à l’abstraction telles que
les pratiquaient les expressionnistes. Au sein de la
Nouvelle Objectivité, une distinction
apparaîtra a posteriori entre artistes
« néo-classiques »
délivrant une vision sans aspérité de
la réalité, et les
« véristes »,
désireux d’en montrer les aspects les plus
sombres.
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