Mémoires de guerre : De Gaulle, écrivain ?
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Le général est connu pour être un grand homme militaire, politique mais aussi un brillant orateur et un homme de lettres puisqu'il est reconnu tantôt par les uns comme historien voire même autobiographe pour les autres… Quand le mémorialiste présente son implication dans l'époque qui est sienne, en se justifiant ou en ironisant : il est dans une démarche purement personnelle et non de documentaliste. Être mémorialiste, c'est être à la fois historien et autobiographe, tout en se focalisant sur sa propre image, et sur le monde environnant. De plus, le général, amateur de belles lettres sait leur rendre hommage dans un style qui est sien et qui le hisse au statut d’écrivain.
Alors, De Gaulle est-il seulement un historien, un écrivain de l’histoire ? Est-il un homme de lettres ?
Il écrit sa rencontre avec l’histoire. Le genre est alors reconnu comme littéraire au nom d’un double postulat : celui d’écrire l’histoire et celui de relier l’histoire à la vie d’un individu.
- Le postulat historique : depuis plusieurs siècles et notamment le siècle classique, les personnes éminentes et acteurs politiques sont dignes d’un témoignage historique. De Gaulle estime que l’homme qui a « rencontré l’Histoire » peut attester des faits historiques, en tant qu’acteur, engagé et combattif.
Exemple :
De Gaulle évoque le travail de Churchill qui lui aussi écrivit ses Mémoires, consacrés par le prix Nobel de littérature en 1953, c’est en déclarant sa volonté de témoigner de l'histoire qu'il pense le parallèle avec un souci de restitution exact et exhaustif en « vérifiant tous les éléments historiques au détail près » mais aussi un objectif littéraire puisqu’il envisage d’ « en faire une œuvre, ce qui n’est pas ce qu’a fait Churchill qui a mis bout à bout beaucoup de choses. » (Lettre à Louis Terrenoire). Cette citation exprime le désir de création ou de composition littéraire.
Ses préférences littéraires attestent d’un attachement à un style, genre ou tonalité à laquelle il succède.
Exemple :
Ainsi, il est admiratif de François-René de Chateaubriand qui a compris et transcrit la problématique tragique et romantique du destin napoléonien, qui a soutenu comme ambassadeur de la France ou comme ministre des affaires étrangères sa position monarchiste et républicaine, qui a défendu la religion catholique.
De nombreux parallèles se tissent entre les mémoires des deux hommes de lettres et de politique, notamment en ce qui concerne l’évolution des sociétés vers un renouveau social. Les préoccupations inquiètes de l’un trouvent écho chez l’autre avec des accents d’une sincérité partagée.
Exemple :
Lorsque De Gaulle restitue un événement historique, il sait le colorer à son avantage sans déformer la réalité et mettre en avant ses qualités propres… Il est historiographe de sa propre image, qu’il défend pour la valoriser et se rehausser au rang de « champion de la France ». Ainsi, le portrait de Churchill permet un portrait en négatif du général mettant en valeur sa combativité et sa vaillance alors que tout est défavorable. En opposant la facilité de la victoire britannique d’un côté et la multiplicité des obstacles de l’autre, De Gaulle s’illustre comme le seul représentant d’une lutte incommensurable.
Ainsi, la rhétorique se met au service de l’idée et la grammaire mime le sens. Il se peint avec un adjectif-épithète détachée et mis largement en évidence « seul », face à un corps isolé et meurtri, blessé à mort en ce qui lui est vital « jusqu’aux entrailles ». Tout converge pour donner une impression de morcellement dans la séparation du chef et de sa patrie, des forces vitales du pays éparpillées en « bribes »… La réussite de l’un est minimisée en regard de l’autre largement valorisée.
Exemple :
le portrait de Staline est subjectif, comme en témoigne le point de vue interne qu’adopte le narrateur-romancier et autobiographe de la scène de rencontre. Le passage répond à tous les topos de la scène de première rencontre, de l’effet d’attente à la mise en valeur du premier aperçu. L’effet d’attente est parfaitement orchestré par l’écrivain, d’où le choix particulier et sacré du verbe « parut » dont le passé simple marque la brièveté, la soudaineté de l’apparition de Staline.
Le point de vue interne de De Gaulle sur Staline permet de partager son ressenti avec l’expression « avoir l’impression » qui annonce la subjectivité. Il met en exergue son sentiment de fausseté et duperie d’où le champ lexical omniprésent du théâtre et de la manipulation.
Le mémorialiste expose son regard personnel, il est donc plein de subjectivité. En cela, il se distingue aussi de l'historien.
Il se présente comme le « détenteur désigné de la souveraineté » dont le destin est inextricablement lié à celui de la nation. Il est donc légitime que les mémoires prennent une coloration autobiographique dans la mesure où le héros national participe de la résurrection de la France, puis se retire au moment de la confusion.
• Dans les moments de reconstruction et de victoire
L’auteur s’identifie comme un personnage de légende dont il parle à la troisième personne, non sans ironie.
Exemple :
Lors des cérémonies où le général reçoit des ovations de la foule, il parle de lui comme il le ferait d’un personnage mythologique ou biblique : « Quant à De Gaulle, personnage quelque peu fabuleux, incorporant aux yeux de tous cette prodigieuse libération, on compte qu'il saura accomplir par lui-même tous les miracles attendus » (p. 10). Le champ lexical du miracle est profondément teinté d’ironie et d’autodérision, et aussi d’autosatisfaction quand bien même les foules galvanisées par De Gaulle l’acclament avec une ferveur sans pareille.
• Au moment de doute
Le « je » de l’autobiographie reparaît pour exprimer « les espérances déçues », et donner au texte une dimension largement autobiographique puisque l’auteur partage son ressenti. Le lien littéraire avec les romantiques est manifeste : dire l’histoire et son ressenti permet un lyrisme qui dépasse un objectif de restitution historique documentaire.
Exemple :
Ainsi, la fin des Mémoires a une dimension nettement plus personnelle. En effet, l’excipit donne tout son sens au « je » autobiographique : le mémorialiste est entouré par la nature et dit ce qu’il perçoit dans un mouvement d’exaltation lyrique : « je dirige ma promenade…me submerge… je me sens… m’envahit ». Il évoque son quotidien dans « le petit parc » lié à l’intimité familiale à laquelle il fait une allusion dans une scène champêtre dont la simplicité surprend avec la teneur grave des pages précédant le départ. La méditation de l’homme face au temps qui file, au cycle de la vie, aux leçons de la nature sont celle d’un homme face à son destin et obéit à une tradition littéraire séculaire que celle d’une réflexion sur la finitude de la vie.
Exemple :
De Gaulle trouve son inspiration chez Péguy dont il admire l’art de la formule et de la concision, l’expression d’une ferveur pour la république, une foi en la nation. Il dit percevoir l’éternel dans le temporel. Or, n’est ce pas l’axe d’écriture des Mémoires ? Dire l’éternel recommencement dans deux années de vie et d’histoire ?
Doc. 1 : Portrait de Charles Peguy 1873-1914 |
• Les métaphores
De même, de nombreuses métaphores sont directement inspirées d’une culture littéraire française, avec l’emploi parfois de guillemets dévoilant l’intertextualité : les mythes grecs avec Prométhée se jetant dans le gouffre pour ne plus être enchaîné ou l’évocation du chaos universel, l’image de la marée présente chez les romantiques ou de la navigation omniprésente chez Tite-Live.
Exemple :
La prosopopée finale de la nature s’exprimant pour l’homme, à travers l’homme est un souvenir classique qui traverse les époques et obéit à la même symbolique des saisons et émotions qui mime le cycle vital, de la mort vers la renaissance, de la naissance à la mort…
L’écriture de De Gaulle se nourrit de réminiscences littéraires et culturelles et n’hésite pas à reprendre des leitmotive littéraires, des images éculées qui servent à exprimer davantage qu’un texte informatif documentaire ne le ferait.
Les Mémoires s’achèvent par trois apostrophes de la tradition élégiaque, en guise d’adieu et d’attente du renouveau, construites parallèlement, sans verbe conjugué, et suivant une sorte d’ordre « décroissant ». L’adieu pathétique à la terre nourricière et originelle avec le champ lexical de l’épuisement extrême permet l’expression d’un espoir de vie renouvelée… L’adieu à la France malmenée comme le sous entendent les adjectifs d’affliction extrême « accablée-meurtrie » suggérant la blessure morale et physique suscite pitié et espoir d’un redressement incessant. L’adieu à l’homme dont la minuscule traduit la petitesse et l’humilité représente le général en retrait « détaché des entreprises » en 1946 (et non au moment de la rédaction ou publication) mais « jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance ». Les notions d’espoir et de renouveau sont essentielles et omniprésentes dans cet extrait : « ne finiront jamais » ; « ardeurs nouvelles après que j’aurai disparu » ; « refleurira ma jeunesse » ; « le merveilleux retour de la lumière et de la vie » ; « se succèdent les vivants » ; « le génie du renouveau » ; « la lueur de l’espérance »… La fin solennelle en trois mouvements est aussi une ouverture sur le lyrisme tout intime du « grand homme ».
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