Médias et opinion publique en guerre
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En effet, les journaux continuent à exercer une influence sur l'opinion publique : de nouveaux médias sont apparus ou se sont démocratisés, la radio et le cinéma diffusent les actualités en début de séance ou avant le film. Ces technologies nouvelles changent le rapport des médias à l'opinion publique. On peut considérer que la radio est un média de masse par excellence, qui permet de toucher des millions de personnes simultanément. Là où le journal convainc une personne, la radio permet d'en séduire plusieurs millions. La maîtrise des médias devient alors un enjeu dans le contrôle de l'opinion publique.
• À l'échelle de la France, l'antiparlementarisme reprend de la force. Le régime parlementaire de la 3e République n'a pas été accepté unanimement à la fin du 19e siècle et la crise donne l'occasion d'une critique virulente contre ce fondement de la république : « Il n’y a plus de politique, il n’y a plus que des politiciens, 600 bavards soit inconscients, soit trop malins, toujours impuissants. Élire un député signifie trop souvent aujourd’hui donner l’impunité parlementaire à un escroc, un receleur, un dangereux imbécile », proclame l’Ordre nouveau, un journal d'extrême-droite. On critique les alliances gouvernementales, l'inaction du gouvernement, les privilèges des parlementaires. L'idée d'un recours direct au peuple revient de façon récurrente.
Doc. 1. Dissolution de la chambre des députés - caricature nationaliste par Paul Iribe, in Parlons Français, 1934 |
• À l'échelle internationale, les exemples de dictateurs cumulant les pouvoirs exécutifs et législatifs ne manquent pas. Dans une certaine presse, Hitler et Mussolini peuvent apparaître comme des modèles. Sous l’influence de l’accession d’Hitler au pouvoir, l’idée se répand de la nécessité de remettre de l’ordre en France. La République radicale, incarnée par Édouard Herriot, est au mieux considérée comme le régime d’une France immobile, qui croit aux braves gens et aux bons élèves, au pire comme un régime corrompu qui protège les escrocs comme Stavisky, ami du député radical Garat. On le retrouve suicidé alors qu'il s'apprêtait à faire des révélations. D’emblée la presse jette le discrédit sur cette version officielle.
Parallèlement, son tirage passe de 40 000 exemplaires à 186 000 au cours du mois de janvier. D'autres journaux comme L’Ami du peuple, l’Écho de Paris ou Gringoire (600 000 exemplaires en 1936) se glissent dans la brèche et relaient un message mêlant volontiers antiparlementarisme et xénophobie.
Doc. 2. « L'École des Fascistes » - article d'Henri Béraud sur le décret de la loi Marchandeau - in Gringoire du 11/05/1939 |
Les manifestations se multiplient. Le 6 février 1934, la presse de la droite ultra appelle à la mobilisation. Le soir, les affrontements font 1 435 blessés et 15 morts dans le quartier du Palais-Bourbon. En dépit de cette mobilisation par médias interposés, le 6 février 1934 est un échec pour l'extrême-droite qui ne va pas jusqu'au coup d'État et participe au réveil des forces de gauche.
Avec le 6 février 1934, on voit se dessiner et s'accentuer le clivage entre la gauche et la droite, entre les médias de gauche et les médias de droite. Ce clivage nouveau a créé dans une opinion publique plutôt modérée le sentiment que la France était en proie à la guerre civile ou à une guerre civile larvée.
Les médias des années 1930 particulièrement virulents, recourent aux attaques ad hominem (un ministre, Roger Salengro, se donne même la mort car il est mis en cause de façon répétée par la presse d'extrême-droite) aux mensonges, aux rumeurs et à la caricature.
Doc. 3. Portrait de Roger Henri Charles Salengro (1890-1936), homme politique socialiste français |
Des journaux comme Gringoire ou Je suis partout sont, à la fin des années 1930, des relais d’opinion importants avec des tirages dépassant souvent le demi-million d’exemplaires. Ces médias contribuent à former une opinion publique influencée par des thèmes qui seront bientôt exploités par le régime de Vichy : antiparlementarisme, sentiment anti-anglais, antisémitisme, admiration d’Hitler, pacifisme sélectif, défaitisme. Tous les ingrédients de mai 1940 et de Vichy sont rassemblés par les médias d'extrême-droite.
• Durant la « drôle de guerre » (d’août 1939 à mai 1940), l’obsession du pouvoir est de maintenir le moral de la population par des programmes divertissants et des actualités mettant en scène des vedettes comme Fernandel ou Maurice Chevalier aux côtés des soldats. Mais l’opinion publique semble difficile : le tirage des grands journaux comme Le Populaire ou Le Figaro baisse de près de 50 %.
Doc. 4. Deuxième guerre mondiale (1939-1945). Paris sous l'occupation Juin 1940 : exode de la population porte d'Orléans (les réfugiés quittent paris) |
• De fait, l’opinion publique apparaît « anesthésiée » pendant plusieurs mois : d’une part, les médias de la résistance à Londres ou à Paris mettent du temps à s’organiser et à se rendre audible.
• D’autre part, le nouveau régime confisque les moyens de diffusion. Certains journaux se sabordent littéralement : l’Intransigeant, le Canard Enchaîné, l’Aube, l’Époque, le Populaire ; d’autres continuent sous l’autorité allemande ou sous le contrôle du régime de Vichy. Les radios passent sous contrôle du nouveau régime ou de l'occupant comme Radio-Paris.
• Le tirage des journaux politiques s’effondre dès 1941 : les invendus du Cri du peuple représentent 65 % de son tirage dès juillet 1941;
• À la même période, des rapports de police font état d’incidents dans les cinémas : on siffle les Allemands quand ils apparaissent à l’écran dans les actualités diffusées avant le film. On finit par décider de faire des projections dans des salles semi-éclairées pour éviter ce genre de débordement.
• Radio-Paris devient l'objet de moqueries (on chante en secret « Radio-Paris ment, radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » sur l'air de la Cucarracha)
• Progressivement, les journaux clandestins de la Résistance, mais surtout la BBC, permettent à la Résistance de prendre pied dans l’opinion publique et de remporter la bataille de l’opinion. La France compte alors 5,5 millions de TSF. Malgré la brouille des ondes en 1941 et la réquisition de 90 000 postes par l’occupant en 1944 dans les régions côtières.
• Les émissions diffusées par la BBC comme « Les Français parlent aux Français » ou les émissions plus légères animées par Pierre Dac montrent les limites de la propagande et de l'encadrement du régime de Vichy et le ridiculisent. L'opinion publique est aussi informée des défaites allemandes, ce qui incite une partie de la population à soutenir la Résistance et à garder le moral.
Doc. 5. Caricatures de personnalités juives au micro : « Ici Londres, les Français parlent aux Français » par Carb, in Gringoire du 26/09/1941. |
En un sens, cette presse prépare les esprits à accepter la guerre, la défaite, le régime de Vichy, les délations et les déportations des Juifs de France et la Collaboration active avec Hitler. Cependant, la propagande du régime de Vichy et de l'occupant allemand ne suffisent pas à modeler l'opinion publique. Elle se montre de plus en plus rebelle à l'emprise des médias, décrypte les mensonges, apprend à lire entre les lignes au fur et à mesure que la guerre avance.
Elle a aussi recours aux médias de la Résistance et des alliés qui lui permettent de se prémunir de la propagande qu'elle subit. Si l'opinion publique française a encore quelque sympathie avec le Maréchal Pétain, les reportages montrant la libération des camps d'extermination en 1945 révèlent la nature de la Collaboration et permettent de refermer, par une prise de conscience, la plaie ouverte par l'Affaire Dreyfus.
- Pierre Laborie, L'opinion française sous Vichy, Points Histoire, 2001.
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