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Matisse et la sculpture

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Objectif 
évoquer la sculpture, pratique récurrente chez Matisse, qu'il considère comme complémentaire de celle de la peinture.
Matisse a pratiqué la sculpture tout au long de sa vie, mais avec plus ou moins d'assiduité selon les périodes. Matisse a laissé soixante-neuf pièces, des bronzes, dont la plupart ont été produites entre 1900 et 1913 (avant, pendant et après la période fauve) puis entre 1923 et 1930 (pendant la période niçoise des Odalisques).
Matisse s'est adonné à la sculpture pour des raisons qui touchent à sa propre perception de l'acte créateur. En effet, comme il l'a dira lui-même : « J'ai fait de la sculpture parce que ce qui m'intéressait dans la peinture, c'était de mettre de l'ordre dans mon cerveau. Je changeais de moyen, je prenais de la terre pour me reposer de la peinture dans laquelle j'avais fait absolument tout pour le moment. Ça veut dire que c'était toujours pour organiser. C'était pour ordonner mes sensations, pour chercher une méthode qui me convienne absolument. Quand je l'avais trouvée en sculpture, ça me servait pour la peinture. C'était toujours en vue d'une possession de mon cerveau (...) ». Dans ses propos se trouvent résumés tous les tenants de l'art de Matisse, un art exploratoire, poussé toujours un peu plus loin. Cela ressortira avec évidence dans l'oeuvre sculptée de Matisse.
1. Premières sculptures
La première sculpture connue de Matisse date de 1894, alors qu'il est encore aux Beaux-arts de Paris. Etudiant, Matisse rendra visite à Rodin dans son atelier, Rodin qui est alors au sommet de sa carrière.

Mais Matisse pressent déjà que sa sculpture, contrairement à celle de Rodin, ne sera pas « un groupement de morceaux » qui, si admirables soient-ils, restent selon lui confus ; Matisse concevra sa sculpture comme une synthèse, une « architecture générale » et de ce fait, vivante.

Pourtant, Le serf, qui demandera près de cinq cents séances de poses entre 1900 et 1903, dénote une nette influence de Rodin et rend compte de l'admiration - qu'il ne démentira pas - que Matisse éprouve à l'égard du vieux maître. Le serf est en effet une figure d'homme debout et solidement campée sur ses jambes, sans bras, à la musculature apparente sous le bosselage de la surface, que n'aurait pas renié Rodin.

C'est à partir de 1903 et de L'écorché, d'après la sculpture de Puget, que Matisse commence à synthétiser les formes pour les réduire à quelques caractères essentiels, accompagnant ainsi ses recherches entreprises dans le domaine de la peinture.
2. La sculpture comme synthèse
Le Nu couché de 1907 marque véritablement pour Matisse l'affirmation de son style. Il y insiste sur l'expressivité de la pose et des formes, par le déhanchement prononcé, l'exagération de la taille des bras, des seins, de la proéminence du bassin. La surface est également traitée d'une manière explicite : les traces de manipulation et de modelage sont visibles afin de manifester l'acte créateur, l'implication de l'artiste. Ce n'est pas le détail qui compte, mais l'expression et l'impression d'être face à une structure, une architecture.

Pour Matisse, cette sculpture sera emblématique de son art : il la fera figurer dans un certain nombre de ses toiles à venir, dont quelques unes comptent parmi les plus importantes de sa carrières, comme Poissons rouges et statue de terre rose de 1909-1910 (Copenhague) et La leçon de musique de 1917 (Fondation Barnes, Etats-Unis). Il est surtout à noter que la pose est la même que celle d'une des figures du Bonheur de vivre de 1905-1906, et qu'on la retrouve dans une autre toile importante, contemporaine de la sculpture : le Nu bleu, souvenir de Biskra, dont il est dit qu'elle a été peinte en une nuit, pour fixer en deux dimensions la sculpture dont le modelage en terre était en train de s'affaisser.
Cette correspondance entre oeuvre peinte et oeuvre sculptée témoigne du transfert, de l'une à l'autre, des mêmes préoccupations esthétiques.

Cette même année 1907, puis en 1908, Matisse réalise ses sculptures les plus expressives, comme Tête de faune et Les deux négresses. Il semble s'y interroger plus particulièrement sur la répercussion de la pesanteur sur les formes. Dans La serpentine de 1909, figure souple et longiligne, cela apparaît de manière très explicite par l'insistance artificielle, par la déformation de certaines partie du corps : le pied droit qui supporte le poids du corps, le mollet gauche, plus volumineux que la cuisse. Ce type de déformation réapparaîtra dans le grand tableau La Danse de 1910.
3. La sculpture comme processus
En peinture, en dessin comme en sculpture, ce qui intéresse Matisse, c'est de cerner et de traduire sa sensation intérieure. S'il lui arrive par exemple de dessiner sans regarder sa feuille, mais seulement son modèle, c'est pour ne pas perturber cette sensation. Il procède de la même manière en sculpture, où le toucher, plutôt que l'oeil, lui permet d'appréhender la forme avant de la formuler. Matisse expliquera avoir parfois touché son modèle pour s'en imprégner avant de retranscrire sa sensation dans la terre. De cette importance du toucher dérivera une pratique propre à Matisse sculpteur, qui consiste à partir d'un premier modelage fait d'après nature, devant un modèle, pour ensuite produire une série d'oeuvres qui ne sont plus faites d'après nature mais sont inspirées par une « nécessité intérieure ».

La série des cinq bustes de Jeannette faits entre 1910 et 1913 est née de ce processus. Jeannette I est encore suffisamment naturaliste pour rendre compte de la physionomie du modèle ; Jeannette II révèle quelques dissymétries et une concentration de la forme ; dans Jeannette III, les premières déformations apparaissent, certains volumes sont traités en facettes et non plus en rondeurs ; les grossissements du nez, des yeux, la réduction de la chevelure à des proéminences sphériques sont encore accentués dans Jeannette IV, qui marque une rupture radicale dans la série, impression venant aussi du traitement de la surface, fait de creusements, de saillies, d'enfoncements de la matière par la main presque palpable de l'artiste. Cet expressionnisme se retrouve, quoiqu'un peu assagi, dans la cinquième version.

Le même processus de transformation de la forme se retrouve dans la série des quatre Nus de dos (Musée national d'art moderne, Paris), cruciale pour comprendre l'art de Matisse. La réalisation de cette série court sur plus de vingt ans, de 1908 à 1931. Les quatre versions sont des bas-reliefs de plus de deux mètres de haut, la figure de femme étant vue de dos, bras gauche relevé. Nu de dos I (1908-1909), fait d'après un modèle féminin relativement charpenté, tend à en rendre la physionomie, en insistant sur l'impression de force qui s'en dégage, notamment par le profond sillon de l'arête dorsale qui sépare le corps en deux masses. Le Nu de dos II, de 1913, est une amplification de ces caractères, en creusant davantage les sillons, en grossissant les membres, en soudant tête et cou. Avec le Nu III, fait entre 1916 et 1917, Matisse abandonne la référence à la figure humaine pour en faire une architecture, où la sinuosité des versions précédentes le cède à une verticalité de la structure et des formes : jambes, bras, chevelure sont réduits à des cylindres semblant faire partie intégrante du fond, dont elle occupe une plus grande surface. Le Nu V, fait quinze ans plus tard, en 1930-1931, est l'aboutissement de ce processus, la figure initiale étant devenue une forme unique, continue, ample et monumentale, verticale comme une colonne. Matisse continuera à produire des sculptures jusqu'en 1950, parmi lesquelles on peut retenir le Christ en croix longiligne de la chapelle du Rosaire à Vence.
L'essentiel
Matisse a pratiqué la sculpture aux mêmes fins que la peinture : tenter de rendre sa sensation intérieure.
Pour la sculpture, il se sert davantage du toucher que de la vue, mais le processus d'exploration et de synthèse est le même. Dans les oeuvres majeures que sont les cinq bustes de Jeannette ou les quatre Nu de dos, apparaît la progression d'années en années de la manière dont Matisse perçoit et retransmet les choses, d'une manière aussi lucide et évidente que dans sa peinture.

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