Les supplications à la porte, thème traditionnel de la poésie alexandrine, dans l'élégie 2
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Mais cette mise en scène littéraire est un motif traditionnel de l'élégie alexandrine, portant le nom de « paraclausithuron », c'est-à-dire « la prière à la porte close ».
Ce motif est pour le poète un prétexte à exercer sa virtuosité : ne pouvant s'adresser directement à elle, il compose un poème à l'intention de la femme qu'il aime.
Il est à noter que dans l'élégie précédente, Tibulle se glorifiait d'être le gardien de la porte de Délie : « et sedeo duras janitor ante fores » (v. 56). Il semble bien qu'à présent les rôles soient inversés !
Ne pouvant s'adresser à sa maîtresse, le poète apostrophe à défaut sa porte au moyen d'une personnification poétique. C'est ainsi qu'il reporte sur la porte les traits de caractère de Délie ou de son mari, comme l'atteste les hypallages « dura janua firma sera » (v. 6) et « janua difficilis domini » (v. 7). Dans ce dernier, l'adjectif qualificatif « difficilis » peut aussi bien s'accorder avec le nom « janua » que le nom « domini », provoquant la confusion, la superposition de l'un et de l'autre.
L'apostrophe se traduit d'abord par l'anaphore de « Janua » située deux fois en début d'hexamètre (v. 7 et 9) et scandant les supplications du poète. D'ailleurs, « janua » est un mot pied qui correspond à un dactyle. Ensuite l'omniprésence du pronom personnel de la deuxième personne du singulier (« te », v. 7 ; « te » v. 8 ; « tibi », v. 11 ; « te », v. 13).
Aux menaces comminatoires au subjonctif présent (« verberet », v. 7 ; « petant », v. 8) succèdent les prières et les appels à la bienveillance, toujours au subjonctif présent (« pateas uni mihi », v. 9 « neu sones », v. 10), puis finalement les excuses où le poète s'avance hésitant (« dementia nostra », v. 11 ; « meo », v. 12 ; « peregi », v. 13 ; « darem », v. 14) dans l'attente d'un pardon improbable (« ignoscas » v. 12).
La fin de l'apostrophe est un appel aux souvenirs communs (« te meminisse » v. 13) où se fait jour la complicité d'autrefois avec la porte. Une offrande propitiatoire aux jambages de la porte clôt la supplication : « cum posti florida serta darem » (v. 14).
La porte est également le gardien farouche de
l'enfermement de Délie (« custodia
saeva », v. 5). Toute l'incertitude pour le
poète est de savoir si cette claustration est volontaire
ou non. Il interprète d'ailleurs le silence de la jeune
femme non pas comme l'expression d'un refus, mais d'une
crainte : Tibulle veut croire que Délie l'aime
toujours.
La porte est priée de s'ouvrir au poète, et
à lui seul : les coupes de l'hexamètre
isolent « uni » (v. 9). Les
outils de prédilection du poète
élégiaque restent ses plaintes
(« querellis », v. 9) et sa
voix (« voce », v. 13).
De plus, dans cette supplication à la porte, il y a quelque chose d'humiliant pour le poète. Les rôles sociaux se renversent, la femme l'emporte sur l'homme qui perd ici toute dignité dans le sacrifice amoureux, même si, comme la femme, il doit manifester une certaine audace et un certain courage (« audendum est » et « fortes », v. 7).
Le poète élégiaque est définitivement en marge de la société romaine, de ses conventions et de ses lois. Tibulle se distingue ici d'autres poètes élégiaques de sa génération, qui voient dans la supplication à la porte l'image du siège amoureux, image plus virile et plus guerrière :
« J'ai beau t'adresser mes prières,
portier ; restes-tu de fer en les écoutant. Ta
porte renforcée de chêne dur, demeure insensible.
Quand une cité est assiégée, on ferme les
portes de la ville et leur protection est utile : en
pleine paix, quelles armes
crains-tu ? »
(Ovide, Les Amours, 1, 6, 27-30.)
Face à cette figure imposée, le
paraclausithuron, Tibulle reste somme toute assez
conventionnel et ne se distingue guère des autres
poètes élégiaques. Le paraclausithuron est
parfois parodié dans la comédie (Plaute,
Stichus, 2, 1) ou dans la satire (Juvénal,
Satires, 9).
Mais, là où les poètes comiques ou
satiriques ne voient que passion ridicule et artifice
littéraire, les poètes élégiaques
trouvent dans la porte close un symbole de la souffrance
amoureuse.
Ovide rappelle le mythe tragique d'Iphis, amoureux
éconduit qui se donne la mort sur le seuil de la cruelle
Anaxarète (Métamorphoses, XIV, 698-764).
On trouve d'autres exemples du motif du paraclausithuron chez
Catulle (Carmina, 67) ou Properce
(Elégies, 1, 16).
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