Les progrès des sciences expérimentales vont-ils à l'encontre de la foi religieuse ?- Terminale- Philosophie
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Savoir si la science s'oppose à la religion
- La religion, contrairement à la science, appartient à l'irrationnel, au ressenti.
- La religion est un frein à la science et relève de la superstition : science et religion ne peuvent pas être liées.
- Cependant, science et religion peuvent se compléter, l'une apportant des réponses que l'autre ne peut donner.
Les sciences expérimentales ont pour corollaires la
démonstration, la preuve et la vérification.
Elles s’apparentent aux sciences dites
« dures », par opposition aux sciences
« souples » que sont les sciences
humaines, ou sciences de l’homme. Seules les sciences
expérimentales seraient susceptibles de nous apporter
des vérités définitives, des certitudes
ou des évidences. Leur principal critère est
celui de l’universalité. Dans le domaine des
sciences de l’homme, au contraire, on ne pourrait
jamais être vraiment certain de rien. Rien ne
« prouve » en effet que telle ou telle
explication d’un événement historique
donné, par exemple, soit la bonne. Les sciences de
l’homme seraient toujours soumises au conflit des
interprétations. On ne peut pas davantage affirmer
qu’Aristote ait eu raison contre Platon, Spinoza contre
Descartes, Rousseau contre Hobbes ou Voltaire contre
Rousseau, dans les solutions que chacun d’eux ont pu
apporter à certains problèmes philosophiques
précis.
De plus, le terme de
« progrès », appliqué aux
sciences expérimentales implique que les perspectives
de connaissances qu’elles recouvrent semblent infinies.
La foi religieuse, à l’instar de la philosophie,
n’évoluent pas à proprement parler,
même si les modes de croyance, eux, changent avec les
époques, varient en fonction des individus. La
croyance des individus contemporains ne ressemble pas
à la croyance des hommes du Moyen Âge ou du
XVIIIe siècle. La foi religieuse
relève d’une croyance et non d’un savoir.
Il s’agit d’examiner si ces deux registres se
complètent ou s’opposent, sachant que les
vérités auxquelles ils prétendent
accéder ne sont pas de même nature.
« C’est le cœur qui sent Dieu et
non la raison. Voilà ce que c’est que la
foi. Dieu sensible au cœur, non à la
raison », écrit Pascal (1623-1662)
dans les Pensées. Selon Pascal, Dieu
n’a pas à être compris, son
existence n’a pas à être
prouvée, mais il doit être senti et
éprouvé. Dieu s’adresse
à la sensibilité, et non à la
raison. Cela ne signifie pas que la croyance
s’oppose aux vérités de raison,
comme en témoigne d’ailleurs, avant
Pascal, l’ensemble de la pensée
médiévale.
Saint Thomas d’Aquin, au
XIIIe siècle, insiste sur la
nécessité de concilier la foi et
la raison, d’accorder les connaissances
théologiques et philosophiques. Même si,
selon son expression, la philosophie doit demeurer la
« servante » de la
théologie, elle est utile à la foi. Il
faut, dit encore Thomas d'Aquin, « croire
pour comprendre et comprendre pour croire »
(credere ut intelligere et intellegere ut
credere). Saint Anselme (1033-1109), quant à
lui, voulait rationaliser la foi.
La philosophie, au Moyen Âge, représentait
la science dans son ensemble. Dans un premier temps, ce
n’est donc pas l’opposition entre la
science et la foi qui émerge, mais le conflit
que l’on tente de résoudre entre la
philosophie considérée comme
science et la religion considérée
comme croyance. On ne peut en effet comprendre
cette polémique médiévale si nous
pensons que la « science »
signifiait ce qu’elle signifie pour nous
aujourd’hui. Était
« scientifique » ce qui
était rationnel : en ce sens, la
philosophie était rationnelle, mais la
foi ne l’était pas. Les théologiens
étaient néanmoins des savants,
puisqu’ils consacraient leur existence à
l’étude des textes bibliques, qu’il
s’agisse d’herméneutique
(d’interprétation) ou
d’exégèse
(d’étude approfondie et critique).
Pascal, au XVIIe siècle, tout en
étant un croyant fervent, quasi mystique
à la fin de sa vie, n’en est pas moins un
scientifique : il étudie la pression
atmosphérique (expérience du Puy de
Dôme), invente l’ancêtre de notre
machine à calculer, écrit des
traités de mathématique et de
géométrie. Tout autant que philosophe et
théologien, Pascal est donc mathématicien
et physicien.
On ne pouvait, à l’époque
médiévale, pas parler de
« science
expérimentale » : celle-ci
n’existe pas. Même si Pascal procède
à grand nombre d’expériences, la
science n’est pas encore
« expérimentale », au sens
où Claude Bernard, au
XIXe siècle, définira la
méthode expérimentale. Avec la naissance
de la science moderne, la science elle-même
change d’envergure.
Pour Descartes, Dieu est le « garant des
vérités éternelles ».
Un athée, selon lui, ne peut parvenir à
établir des vérités, puisque Dieu
ne peut garantir la validité de ses
raisonnements, fussent-ils de nature
mathématique.
Il en va de même pour Newton (1642-1727) :
il admet que sans l’existence de Dieu, sa
physique ne pourrait être
considérée comme scientifique. Il est
cependant l’un des premiers à
établir les bases d’une physique
« expérimentale ».
Hypotheses non fingo : « Je ne
feins pas d’hypothèses ». Les
hypothèses dont parle Newton équivalent
aussi bien aux spéculations
métaphysiques qu’aux
spéculations physiques. On retiendra
principalement de cet « hypotheses non
fingo » que, pour devenir
véritablement scientifique, la science doit se
débarrasser de la philosophie.
Historiquement, la révolution scientifique s’effectue lorsque l’on passe de l’explication géocentrique du monde (aristotélicienne) à l’explication héliocentrique (copernicienne) : la Terre n’est plus au centre du monde. Cette découverte marque l’apogée du conflit entre la science et la religion, et le refus notoire de la religion d’admettre une vérité qui bouleverse l’ordre établi. Giordano Bruno (qui démontra la possibilité de l’existence d’un univers infini habité par de nombreuses planètes comme la nôtre) est brûlé vif en 1600. Galilée est condamné par l’Église pour avoir fait paraître, en 1632, son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde : dans cet ouvrage, il considère comme périmés à la fois le géocentrisme et la physique d’Aristote, et soutient les thèses de Nicolas Copernic. Le Discours de la méthode, de Descartes, paraît en 1637 et à la même époque Descartes renonce à faire paraître un traité de physique dans lequel il défendait les thèses de Galilée.
La religion cesse malgré tout, une fois les
thèses de Galilée et de Copernic
reconnues comme justes, d’être
compétente pour expliquer la nature, le monde
physique. La science devient une discipline
autonome. Cela signifie-t-il que la science
n’a plus besoin de la religion ? Sans doute.
« Je n’ai plus besoin de
l’hypothèse de Dieu »,
déclare le physicien Laplace à
Napoléon qui lui demande quel principe garantit
la validité de son système.
Mais ce que l’on condamne
précisément dans la religion, et dans la
croyance en général, c’est la
dimension de superstition qu’elle
renferme. Pour que la science progresse, il faut que la
croyance, désormais synonyme d’ignorance,
recule. En cela la science exclut la croyance.
Il faut, a déclaré Descartes
lui-même, accéder « à
une connaissance claire de soi et de Dieu ».
Même pour Descartes, la raison doit accompagner
la foi. Sans la raison, la foi est de la
superstition.
Spinoza va plus loin en affirmant, dans
l’Appendice au Livre I de
l’Éthique, que « la
volonté de Dieu » est
« l’asile de
l’ignorance ». Il est dangereux, dit
en substance Spinoza, d’imaginer que Dieu a des
intentions, ou une volonté et qu’il puisse
désirer, par exemple, que les hommes soient
meilleurs, ou soient créés à son
image. L’idée que nous nous faisons de
Dieu doit changer. La croyance religieuse est le
fruit de l’imagination des hommes, qui ont
conçu un dieu à leur image ; elle
doit disparaître pour que la vérité
apparaisse, puisqu’elle est liée à
l’ignorance et à la crainte des hommes. La
pensée de Spinoza, au sein de son époque,
fait scandale. Dieu serait plutôt la Nature toute
entière ; deus sive natura :
« Dieu, c’est-à-dire la
Nature ». Il n’existe pas de
phénomènes irrationnels, mais il existe
seulement des domaines inconnus que la raison n’a
pas encore explorés.
Les preuves qui ont été apportées
à l’existence de Dieu n’ont plus
qu’un intérêt historique, et
illustrent les tentatives qui furent celles des
philosophes et des théologiens pour donner
à l’existence de Dieu une dimension
rationnelle, et donc, selon eux,
« scientifique ».
Kant (1724-1804), faisant l’examen de ces preuves
– présentées notamment par
saint Anselme au XIIe siècle, ou
par Descartes et Leibniz au
XVIIe siècle – les
réfute une par une. Dieu ne disparaît pas
pour autant chez Kant, dont l’apport reste
pertinent, lorsqu’il montre que la raison doit
être circonscrite, et que le domaine de la
connaissance – de la science –
reste limité. Il reste des
« choses » (celles que Kant nomme
« noumènes », ou
« choses en soi ») auxquelles la
raison n’a pas accès. C’est pourquoi
il explique que pour ce qui concerne les trois
postulats de la raison pratique (la
liberté, l’immortalité de
l’âme et l’existence de
Dieu), nous ne pouvons rien prouver du tout :
« Je dus donc renoncer au savoir, pour faire
place à la croyance »,
écrit-il dans la Préface de la Critique
de la raison pratique. Nous comprenons alors ce que
signifient ces « postulats de la raison
pratique » : dans la mesure où
la raison ne peut apporter de preuves concernant la
liberté de l’homme,
l’immortalité de l’âme et
l’existence de Dieu, nous devons les
postuler, et y croire, sachant que nous
ne pourrons les prouver.
Il faut donc distinguer religion et
superstition, dans le sens où la religion serait
en quelque sorte une « croyance
légitime » et s’opposerait
à la superstition comme croyance
illégitime : celle-ci serait
essentiellement basée sur la crainte des
hommes, sur leur crainte de la mort, par exemple. Il
est plus rassurant de penser que l’âme est
immortelle, et qu’en quittant l’existence
terrestre, nous accédons à une existence
céleste.
Cependant, aux yeux de ceux qui ne possèdent pas
la foi religieuse, il n’y a pas lieu de
distinguer la superstition de la croyance. Pour Freud
par exemple (1856-1939) la religion est une
superstition, une illusion qui permet aux hommes de
surmonter leurs angoisses. Freud juge même
la religion dangereuse, puisqu’il la
considère comme une maladie de
civilisation. Le diagnostic est clair : il
faut débarrasser la civilisation moderne de
Dieu, et « tuer le père »,
afin que les individus deviennent réellement
adultes ; Freud assimile Dieu, en effet, à
l’autorité paternelle. Les hommes doivent
sortir de l’infantilisation.
Le philosophe et logicien britannique Bertrand Russel
(1872-1970), tient un raisonnement identique, en
opposant, directement cette fois, la religion et la
science. Dans Science et Religion (1935), il
explique que la méthode scientifique
s’oppose en tout point à la
religion. Au cours de l’histoire, celle-ci
n’a cessé de s’opposer au
développement des sciences ; il faut donc
lutter contre cette dernière si l’on veut
que la science continue sa progression, dans la mesure
où sa finalité reste
d’améliorer les conditions
d’existence des hommes. La religion
génère en outre, selon lui, de
dangereux fanatismes. Certains
événements passés et
récents ne peuvent que lui donner raison.
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