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Les livres illustrés

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Objectif 
évoquer un pan important de l'oeuvre de Matisse : l'illustration, commanditée par des éditeurs éclairés, de grands classiques de la littérature ; à cette fin, il emploiera diverses techniques, dont la gravure et la lithographie.
Avant 1930, Matisse a conçu quelques frontispices pour des recueils de ses dessins. C'est à partir de 1930 que l'illustration de livres va prendre de l'importance dans l'ensemble de son travail. Cette année-là, l'éditeur suisse Albert Skira lui propose en effet d'illustrer les Poésies de Stéphane Mallarmé. Au même moment, Matisse accepte la commande du docteur Barnes ; il travaillera donc pour deux projets d'ampleur radicalement différente mais dans lesquels il s'investira avec autant d'attention.
1. Poésies de Mallarmé
Avant même de commencer, Matisse sait que son travail d'illustration ne devra pas être une imitation narrative du texte ni un simple accompagnement ornemental, mais devra être un « équivalent plastique » du poème. Mallarmé, dans ses vers, instille lui-même un climat très particulier, éthéré, cristallin.

Matisse se doit donc de préserver cette pureté par ses illustrations. Il réalisera donc des gravures à l'eau-forte faites d'un trait fin et régulier, sans hachure, sans la moindre suggestion de modelé, qui laisse quasiment intacte la blancheur du papier. Le travail de clarification du dessin poursuit celui entrepris sur les mots par le poète, qui n'en a gardé que l'essentiel, immédiatement perceptible et significatif.

La contemporanéité de La Danse n'est par ailleurs pas anodine, puisqu'on retrouve dans les deux oeuvres des similitudes dans la ligne, les attitudes, les débordements hors du cadre des figures féminines. La typographie, une italique fine, est elle aussi accordée à l'ensemble. Malgré l'apparence de facilité, ce travail ne s'est pas fait en un jour pour Matisse, qui a produit une grande quantité d'études préparatoires plus ou moins poussées, à divers stades d'achèvement ; une maquette est conservée au Musée de Baltimore (collection Cone), constituée de soixante-dix-huit études et de cinquante-deux gravures ; quatorze études se trouvent également à la Bibliothèque Nationale de France, à Paris.

Le livre sur lequel Matisse travaille après les Poésies est Ulysse de James Joyce. C'est une commande imprévue, passée en 1933 par George Macy, un éditeur américain, pour laquelle Matisse réalise six gravures sur cuivre au vernis mou, technique qui donne à son trait l'apparence du crayon, avec ses nuances de gris et son grain. Matisse y aborde des thèmes de l'Odyssée d'Homère, plutôt que l'univers de Joyce. Un cahier de dessins préparatoire sera joint à chaque ouvrage pour l'étoffer. Matisse n'ayant pas vraiment participé à la conception de cet Ulysse, il ne reconnaîtra son « second livre » que dans le Pasiphaé de Montherlant.
2. Pasiphaé de Montherlant ; Le Florilège des Amours de Ronsard
Avec Pasiphaé, Matisse reprend la main en participant activement aux choix de mise en page, comme en attestent des maquettes conservées à la Bibliothèque Doucet et à la Bibliothèque Nationale à Paris. Pasiphaé est en quelque sorte le « négatif » des Poésies de Mallarmé. La technique employée est en effet la linogravure, qui se traduit par un trait blanc sur un fond noir. Ce trait est relativement large et répond aux caractères romains gras choisis pour le texte. Cette typographie permet de soutenir la dominante noire de la mise en page, qui rapproche sciemment texte et illustrations. Cette dominante est atténuée par l'introduction de lettrines gravées que Matisse fait imprimer en rouge.

A partir de 1941, Matisse poursuit son travail de « mise en image » avec Le Florilège des Amours de Ronsard, qui montre une évolution certaine, comme pour affirmer une plus grande maîtrise de cet art spécifique. Le Florilège des Amours, édité par Albert Skira, sera le livre le plus abondamment illustré de Matisse, avec 128 lithographies.
Pendant sa convalescence, Matisse s'est plongé dans l'oeuvre du poète, et s'est amusé à découper des morceaux de ses textes préférés pour les illustrer de dessins au crayon et à l'encre ; cette première maquette est conservée à la Bibliothèque Nationale. La mise en page est de plus en plus audacieuse : texte et illustrations sont imbriqués ; nymphes dansantes, corps enlacés, fruits, fleurs et feuillages célèbrent la joie de vivre, l'amour, l'érotisme. La réalisation du livre sera jalonnée de toute une série de mésaventures. La typographie (Garamond italique) d'un tirage d'essai n'ayant pas été jugée adéquate, on aura recours à une autre police (Caslon) peu usitée, retrouvée chez un imprimeur suisse. Un premier tirage doit être fait en plusieurs fois en raison du peu de caractères dont dispose l'imprimeur.

Pour cause de guerre, l'impression est interrompue et ne reprend qu'en 1945. Entre-temps, Matisse a produit de nombreuses illustrations supplémentaires, tandis que la vieille police s'est usée à tel point que les feuilles imprimées doivent être aplanies, la pression exercée pendant le tirage produisant du relief. En 1947, le papier utilisé jaunit accidentellement, ce qui oblige à reprendre l'impression depuis le début. La police est désormais trop usée pour être utilisable une nouvelle fois, mais les poinçons originaux, à partir desquels une fonte est possible, sont miraculeusement retrouvés à Bâle. Ce n'est qu'à ce moment que se fera l'impression définitive du Florilège des Amours, qui paraît en 1948.
3. Autres livres illustrés
En 1943, Matisse entreprend Jazz, auquel il donne la forme d'un album recueillant une série de vingt gouaches découpées. Jazz sera imprimé à l'aide de la technique du pochoir, de manière à utiliser la même gouache que celle employée par Matisse pour les planches originales. Le texte manuscrit ayant été conçu après les gouaches, Jazz n'est pas un livre illustré à proprement parler.

En l'occurrence, cette même année 1943, Matisse commence à travailler sur l'illustration des Poèmes de Charles d'Orléans, datant du 15e siècle. Le texte, ici calligraphié et reproduit en fac-similé, est pleinement associé aux dessins, qui témoignent d'une grande fraîcheur : encadrements végétaux sur la page de droite, semis de fleurs de lys en couleurs (technique de la photolithographie d'après les originaux réalisés aux crayons de couleur), portait de Charles d'Orléans en frontispice, etc.

Matisse, avant 1945, aura également le temps de concevoir des illustrations pour les Fleurs du mal de Baudelaire, avec lequel le peintre a toujours eu des affinités, et les Lettres portugaises, attribuées à Marianna Alcaforado. Ce dernier ouvrage comprend quinze lithographies brun foncé montrant des visages de femmes, dont celui de l'auteur présumé, une religieuse ; des motifs de fruits et de fleurs, tirés en violet, agrémentent les textes. Là-encore, Matisse a conçu une maquette minutieuse, composée d'esquisses et de dessins originaux, conservée à la Bibliothèque Doucet de Paris.
Matisse continuera sur cette lancée et produira d'autres livres illustrés, dont Visages de Pierre Reverdy, Repli, d'André Rouveyre, ainsi que deux ouvrages parus après sa mort : les Poésies antillaises de l'écrivain voyageur John-Antoine Nau, et Une fête en Cimmérie, de George Duthuit, le gendre de Matisse.
L'essentiel
Avec Poésies de Mallarmé, Matisse découvre en 1930 la satisfaction qu'il peut tirer de l'illustration de livres, en particulier les recueils de poèmes. Parallèlement à son oeuvre principale, il s'accordera désormais du temps pour concevoir gravures, linogravures, lithographies, etc. qui accompagneront des textes qui lui sont proposés ou qu'il a lui-même choisi : Ulysse de Joyce, Pasiphaé de Montherlant, Le Florilège des Amours de Ronsard, Poèmes de Charles d'Orléans, etc.

La plupart seront réalisés entre 1941 et 1945, pendant et immédiatement après sa longue convalescence. Ces illustrations seront pour Matisse l'occasion de s'essayer à la mise en page, où texte, typographie, calligraphie et images se répondent, se soutiennent, se valorisent mutuellement.

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