Les grands rhétoriciens antiques : Isocrate, Cicéron et Quintilien

Isocrate a vécu de 436 à 338 avant notre ère : c’est un rhéteur et non pas un sophiste, un enseignant et non un brillant orateur lui-même (car il était, semble-t-il, timide).

En tant que disciple de Socrate, il se proclame lui-même antisophiste, bien qu’il professe un certain relativisme (selon lequel la vérité absolue est inaccessible). Il a d’abord mené une carrière de logographe (il rédigeait des discours pour d’autres personnes), avant d’ouvrir une école de rhétorique vers 390 avant notre ère à l’adresse d’étudiants riches et doués, destinés à devenir orateurs ou hommes d’État.

Selon lui, l’art du discours est le plus noble des exercices de la pensée, et cet art doit se mettre au service de causes plus grandes et utiles que de simples jeux d’esprit ou de langage sophistique.

La rhétorique est pour lui une école de la citoyenneté. En effet, il associe une parole convenable, claire et précise à une pensée juste : il soutient qu’il y a adéquation entre la parole et la pensée. Ainsi, un long et patient travail d’apprentissage de la rhétorique selon les meilleurs modèles de l’époque entraine un développement des capacités intellectuelles, ainsi que de la réflexion morale et politique.

Parmi les œuvres théoriques qu’il a rédigées, deux nous sont parvenues : Sur l’Échange et Contre les Sophistes.

Cicéron est un avocat éloquent. Né en 106 avant notre ère au sud de Rome, il devint questeur, édile, prêteur puis consul.

C’est lors de l’exercice de ses fonctions politiques qu’il rédigera ses plus grandes œuvres comme Les Verrines, ensemble de plaidoyers rédigés pour les Siciliens qui veulent intenter un procès à Verrès, leur ancien gouverneur qui les avait spoliés, et Les Catilinaires dans lesquelles il dénonce le coup d’État de Catilina (noble contre qui il avait été élu en 63 avant J.-C.).

Il est par la suite exilé, puis évincé définitivement du pouvoir par ses anciens alliés. Lors du second triumvirat, il espère revenir une dernière fois sur le devant de la scène en s'engageant aux côtés d'Octave et en prononçant contre Antoine une violente diatribe, Les Philippiques. Mais la réconciliation d'Octave et d'Antoine lui vaut d'être proscrit puis assassiné en décembre 43 avant J.-C.

L'œuvre de Cicéron est immense et nous est exceptionnellement bien parvenue. Bien qu'elle soit avant tout celle d'un orateur, elle a aussi touché à la philosophie. Quant à sa correspondance, elle constitue un précieux témoin des remous de sa carrière. Son idéal politique, le consensus, trouve une correspondance dans son idéal d'écriture : l'équilibre et l'harmonie, l'emploi de toutes les tonalités qui assure une adéquation parfaite entre le fond et la forme.

L’une de ses œuvres les plus connues, le De Oratore (55 avant J.-C.), est un dialogue imaginaire entre deux avocats qui discutent des qualités essentielles à l’art oratoire. À travers ce dialogue, il rappelle les règles de la rhétorique classique. Un bon discours doit avoir pour triple objectif d’instruire (docere), de plaire (placere) et de toucher (movere). L’apprentissage des règles de la rhétorique lui semble essentiel mais insuffisant pour faire un bon orateur : ces règles permettent de suivre les traces des grands orateurs mais elles ont leur limite puisque selon lui, l’éloquence précède l’art et l’étude de la rhétorique.

Quintilien a vécu de 30 à 96 après J.-C. Il fut avocat à Rome et a fondé une école de rhétorique qui connut beaucoup de succès. Il vécut un drame personnel qui eut un fort retentissement dans son œuvre : ses deux enfants moururent très jeunes (5 et 9 ans).

Son œuvre la plus connue est l’Institution oratoire. Plus qu’un traité de rhétorique, c’est l’œuvre d’une vie, l’un des traités de rhétorique les plus importants de l’Antiquité. Quintilien y évoque l’éducation en général, depuis le plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte.

Pour lui aussi, l’éloquence est une faculté essentielle de l’âme humaine. Un homme de bien à ses yeux est un homme qui s’engage dans la société où il vit, pour défendre et transmettre les valeurs admises par tous et qui constituent le ciment d’une société.

Il livre dans son œuvre les règles instituées de la rhétorique ainsi que de nombreux exemples. Il se méfie des règles toutes faites : le rhétoricien doit être un stratège capable de s’adapter aux conditions particulières de chaque débat.

Quintilien vivait à l’époque de Domitien, un empereur tyrannique et sanguinaire, loin des valeurs exaltées par Cicéron un siècle auparavant, sous la République. À travers son œuvre et les exemples qu’il cite (il admirait notamment beaucoup Cicéron), Quintilien a contribué à maintenir vivante la tradition de l’éloquence pour ses contemporains, à une époque où ces valeurs déclinaient.