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Les destins parallèles du mouvement ouvrier dans les deux Allemagne (1945 - 2012)

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En 1945, l'Allemagne est un champ de ruines au plan politique et économique. Dévastée, occupée, sa reconstruction est encore compliquée par la présence sur son sol d'armées qui vont s'opposer au cours de la Guerre Froide. Cette situation aboutit à la séparation de l'Allemagne en deux États étrangers et hostiles qui vont chacun suivre un modèle de développement économique et de société opposés.

La nécessité pour les États-Unis et l'URSS que chacun de ces deux pays fasse figure de vitrine aux yeux du camp adverse, les conduit à privilégier la République Fédérale Allemande et la République Démocratique Allemande.

Comment les partis communistes, socialistes et les organisations syndicales vont-elles se reconstruire et s'intégrer à ce schéma ?
1. Des reconstructions sur des bases diamétralement opposées
a. La République Fédérale Allemande
Deux forces politiques émergent des premières élections organisées par les alliés dans les zones d'occupation américaine, anglaise et française : les Chrétiens-démocrates et les Socialistes.

Les socialistes tentent de reconstituer le vieux SPD. Ils tiennent un congrès dans ce but à Wenningsen en octobre 1945. Une opposition se fait jour entre Otto Grotewohl, partisan d'une fusion entre socialistes et communistes et Eric Ollenhauer et Kurt Schumacher qui rejettent cette solution. En 1946, Schumacher est élu à la tête du parti. Ce nouveau SPD se réclame toutefois du marxisme et prône une politique de nationalisation (chimie, sidérurgie, mines) et de planification. Il est extrêmement populaire dans l'immédiate après-guerre, comptant 875 000 membres en 1945, dont 45 % d'ouvriers.
 
Le contexte de la guerre froide rend rapidement la société allemande méfiante à l'égard des partis montrant une opposition à l'économie de marché. Le SPD subit plusieurs revers électoraux qui privent Schumacher d'accéder au pouvoir, notamment en 1949. Tirant la leçon de leurs échecs, les dirigeants du SPD  décident d'adapter leur parti aux réalités de son temps au cours du congrès de Bad-Godesberg en 1959 : cette révision déchirante permet d'éliminer toute référence au marxisme et à la lutte des classes. Le SPD se réclame désormais de la Loi Fondamentale de la République Fédérale, approuve l'idée d'une défense nationale et reconnaît la propriété privée. Ce renouvellement des idées s'accompagne d'un renouvellement des hommes : Wehner, Schiller et surtout WiIlly Brandt, qui devient chancelier en 1969. C'est une victoire historique pour le SPD.

De leur côté, les syndicats suivent une évolution assez identique. Les ouvriers se regroupent dès 1949 dans un syndicat unique, la Confédération des Syndicats Allemands (DGB, Deutscher Gewerkschaftbund). Ce syndicalisme se veut indépendant des partis politiques et lutte pour l'amélioration des conditions de travail des salariés. Il obtient même en 1952 la cogestion des entreprises. Progressivement, il retrouve un rôle sensiblement identique à celui des syndicats sous Guillaume II : gestion des coopératives de consommation, de compagnies d'assurances et même de la 4e banque allemande.
b. La République Démocratique Allemande
L'organisation de la vie politique dans la zone d'occupation soviétique répond à un objectif simple : la « démocratisation », c'est-à-dire la main-mise du communisme sur l'est de l'Allemagne. Les Soviétiques autorisent la reconstitution des partis antifascistes et poussent le KPD et le SPD à s'unir dans un Parti socialiste unifié (SED) en avril 1946. Même si les dirigeants issus du SPD sont numériquement les plus nombreux (57 % des 1 300 000 membres du nouveau parti), les communistes assoient bientôt leur domination. Aux élections locales de 1946, le SED l'emporte et se voit transmettre la gestion des cinq Länder de l'est par l'occupant. En 1949, ces Länder deviennent la RDA, où le SED est majoritaire et soutenu par les Soviétiques.

Le SED est partisan dans les années 1950 et 1960 d'une ligne politique socialiste très dure et procède régulièrement à des purges pour les dirigeants qui dévieraient de la « Culture socialiste nationale » définie par les conférences de Bitterfeld de 1963 et 1964. Le professeur Havemann, membre de l'Académie des Sciences, qui propose une rénovation du SED en est exclu en 1964.
L'organisation des syndicats en Allemagne de l'Est est limpide : il existe une organisation syndicale unique, regroupant les ouvriers, le FDGB. Son rôle est moins de défendre les intérêts des travailleurs que de stimuler la production et d'éviter les conflits, notamment au sujet du gel des salaires jusqu'en 1955.
2. De la crise à la réunification
a. L'âge d'or de la sociale-démocratie ouest-allemande
À partir de 1966, le SPD devient un parti de gouvernement. Suite à l'élection de WiIlly Brandt au poste de chancelier en 1969 jusqu'en 1982, les socio-démocrates vont détenir les rênes du pouvoir en Allemagne. Brandt et Schmidt transforment la société allemande en dépit de la crise. Acquis comme les syndicats à l'économie sociale de marché, ils ne proposent rien de révolutionnaire mais font adopter des réformes promulguant la démocratie économique et des réformes de société.

Dans le domaine économique, on doit à cette période la généralisation de la cogestion des entreprises par les actionnaires et les syndicats : un poids accru des syndicats, les hausses d'impôts des plus riches et la baisse des impôts des plus pauvres, exemptions et réductions pour les personnes âgées, les familles, les handicapés ; les pensions de retraite sont aussi relevées, tout comme les indemnités chômage ; enfin, 400 000 bourses sont accordées par an aux étudiants les plus modestes.
Dans le domaine social, les gouvernements socio-démocrates agissent notamment dans le domaine de la libéralisation des mœurs : divorce par consentement mutuel, droit à l'avortement, humanisation du système pénitentiaire, création d'un statut d'objecteur de conscience.
b. La consolidation du socialisme est-allemand
• En 1971, Ulbricht, le fondateur de la RDA est remplacé par Erich Honecker. Plus que jamais, l'URSS apparaît comme le modèle à suivre et le rôle du SED est fermement consolidé dans les années 1970-1980.

• En 1981, le SED compte 2 millions de membres, dont 57 % d'ouvriers et pour la première fois, 22 % d'intellectuels. Le parti encadre et contrôle ainsi les intellectuels et peut se fournir dans ce vivier pour renouveler ses cadres.

• Le SED ne souffre d'aucune contestation, même constructive. Quand Rudolf Bahro publie un pamphlet contre la bureaucratie est-allemande et qu'il propose d'en revenir à un marxisme originel, il est emprisonné pour activité « anti-parti » puis expulsé en RFA. Les autres partis sont tolérés dans la mesure où ils reconnaissent le rôle moteur du SED dans la construction du socialisme.
Quant au syndicat FDGB, il regroupe en 1982 9 millions de travailleurs, soit 97 % des effectifs est-allemands.
L'ère Honecker
est celle de la consolidation, voire de la « réaction », ce qui explique le refus de suivre l'URSS sur la voie de la perestroïka et le raidissement de la  politique est-allemande à la fin des années 1980.
c. Communisme, socialisme et syndicats à l'heure de la réunification
La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 bouleverse complètement l'équilibre construit depuis 1945 entre les deux Allemagne.

Doc. 1. Chute du Mur de Berlin en novembre 1989. Les Berlinois de l'Est et de l'Ouest réunis pour fêter la chute du mur a la porte de Brandebourg, le 9 novembre 1989. Berlin, Allemagne

Egon Kranz et Hans Modrow qui succèdent à Honecker tentent de sauver ce qui peut l'être mais le SED doit accepter de mettre fin au système d'État-parti sur lequel la RDA s'était construite. Les élections de 1990 entérinent la fin de la domination du SED qui recueille 16 % des voix et apparaissent comme un plébiscite pour la réunification allemande. Le 3 octobre 1990, la réunification est entérinée.

L'Allemagne réunifiée apparaît comme une puissance économique majeure mais elle n'en affronte pas moins une crise sévère en 1994. Cette crise oblige les syndicats à accepter des plans de restructuration draconiens. La puissance des syndicats permet de faire accepter au monde ouvrier : la renégociation des conventions collectives qui aboutit à une plus grande flexibilité du travail, à des réductions d'effectifs importantes et à une modération salariale conséquente. Cette politique porte ses fruits rapidement. Politiquement, la CDU se maintient au pouvoir avant une nouvelle alternance en 1998. Mais ce retour du SPD aux affaires n'annonce en rien une rupture : Gerhard Schröder annonce que sa victoire est celle du « nouveau centre » ; sa politique vise notamment à poursuivre les réformes de structure permettant à l'Allemagne de maintenir sa compétitivité et d'affronter la mondialisation.
L'essentiel
Les deux Allemagne se sont redressées après 1945 en suivant des trajectoires parallèles mais des modèles opposés :
 
• En RDA, le modèle soviétique d'un parti communiste de plus en plus puissant, jusqu'à se confondre avec l'État, a été le cadre d'un redressement économique limité par la crise des années 1970 ;
• En RFA, le modèle de l'économie sociale de marché a permis d'allier développement économique et consensus social, notamment grâce à des forces syndicales pragmatiques privilégiant le dialogue et la négociation à l'affrontement et à l'action politique. Le SPD, principal parti de gauche, a accepté dès les années 1950, l'économie de marché et a tiré de cette acceptation la possibilité d'une alternance dans les années 1970 et à la fin des années 1990.

De 1875 aux années 2000, la continuité de l'action et de la stratégie des syndicats et du SPD pour améliorer les conditions de vie des travailleurs allemands est le fait le plus marquant qui caractérise leur Histoire.
Références
- Serge Bernstein, Pierre Milza, L'Allemagne de 1870 à nos jours, Armand Colin, 1971, 1999.
- F.G. Dreyfus, Le syndicalisme allemand contemporain, Paris, 1968.
- J.P. Depecker, S. Milano, Economie et société allemande, l'après-réunification, Paris, Nathan, 1996.

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