Le vote, source de la légitimité démocratique
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Le régime électif est une sélection des meilleurs candidats et comporte donc une dimension aristocratique. Les premiers systèmes électifs par le vote sont donc marqués initialement par leur caractère sélectif, et ont pris le plus souvent la forme du suffrage censitaire, qui est un suffrage limité à une minorité d’électeurs qui paient l’impôt (autrefois appelé le cens). L’élargissement progressif du suffrage censitaire au suffrage universel par l’affirmation de l’égalité des droits politiques des citoyens va rendre légitime le vote, sans pour autant supprimer la tension entre son caractère oligarchique et sa volonté démocratique. Le régime électif est donc inséparable de l’existence d’une « classe politique » dont la compétence est nécessaire au fonctionnement du système politique, ce qui n’empêche en aucune façon ce système d’être démocratique. Il est par conséquent nécessaire de rendre compte de cette lente transformation du vote comme source de la légitimité démocratique.
Toutefois, il apparaît pertinent de s’interroger sur cette légitimité aujourd’hui.
Le suffrage censitaire, déterminé par le paiement de l’impôt, est restauré jusqu’en 1848, date à laquelle un processus révolutionnaire conduit à mettre en œuvre la IIe République (1848-1852) qui rétablit le suffrage « universel » direct mais ouvert uniquement aux hommes âgés de plus de 21 ans. Le pouvoir législatif affirme alors qu'« il n'y a de vérité dans le pouvoir social moderne ou représentatif qu'autant qu'il y a de vérité dans l'élection et il n'y a de vérité dans l'élection qu'autant qu'elle est universelle » (1848, Bulletin des lois de la République). Il ne deviendra réellement et définitivement « universel » pour les hommes que sous la IIIe République (1875-1940). Il est possible de considérer le suffrage comme véritablement universel à partir de 1944, lorsque le droit de vote est enfin accordé aux femmes. L’abaissement de l’âge légal du vote à 18 ans en 1974 constitue également une forme d’extension du suffrage.
Doc.1. Affiche en faveur du droit de vote des femmes |
Le suffrage universel suscite néanmoins tout au long du 19e siècle de nombreux débats :
• Les conservateurs, dont fait partie François Guizot (1787-1874), n’ont pas de mots assez durs contre l’instauration du suffrage universel : « Il n'y a pas de jour pour le suffrage universel, il n'y a pas de jour où toutes les créatures humaines quelles qu'elles soient, puissent être appelées à exercer des droits politiques. »
Ils dénoncent l’incapacité de ce peuple à choisir en raison de son ignorance.
• Les anarchistes au affirment que « s'il y a vote, ce n'est pas une démocratie ! », préférant le consensus ou l’unanimité, et la démocratie directe à la démocratie représentative. Le droit de vote n'est ainsi pas accordé à tous.
Le suffrage censitaire constituait ainsi un corps électoral réduit de 246 000 personnes. En 1848, pour la première élection du Président de la République au suffrage universel direct, il faudra attendre 1965 pour renouveler l’expérience avec De Gaulle, le corps électoral s’élève à plus de 9 millions d’électeurs, le bouleversement est considérable. Les défenseurs du suffrage universel n’hésitent pas alors à proposer aux classes populaires des cours d’éducation politique afin de participer au « développement de l’intelligence » et de permettre à ces tous nouveaux électeurs de pouvoir faire leur choix en connaissance de cause. L’éducation devient une nécessité pour éclairer l’électeur ; ce rôle sera à la fois assumé par l’École laïque et républicaine chère à la IIIe République, et par les médias qui participent à la construction de l’opinion publique.
Selon l’article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ».
Doc.2. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, signé en 1789 |
La théorie de la souveraineté nationale qui en découle conduit à faire des élus des représentants de la Nation tout entière. Toute forme de mandat impératif est proscrite, comme le précise d’ailleurs la Constitution actuelle dans son article 27 (« Tout mandat impératif est nul. »). Il est donc nécessaire de définir le lien qui réunit l’élu et l’électeur :
- Les élus sont a priori les médiateurs des questions publiques et des choix qui organisent le fonctionnement de nos sociétés. Les programmes politiques des candidats seraient le reflet des attentes, et des espérances des citoyens quant au fonctionnement et l’organisation de leur société ;
- Les candidats auraient ainsi une capacité importante de formaliser les diverses conceptions de l’opinion de chaque citoyen et les aspirations collectives qui en découlent. Médiateurs entre volonté individuelle et volonté collective, les candidats aux élections œuvreraient à la construction de la volonté publique et à la recherche de l’intérêt général.
Il serait toutefois illusoire de penser qu’il existe une parfaite adéquation entre les opinions des électeurs et les discours et actions des candidats, et encore moins des élus. Il est même possible de penser que les programmes politiques relèvent de stratégies de communication où les éléments de langage ont pour but principal d’attirer les électeurs vers le vote de tel ou tel candidat, voir même de flatter les électeurs de manière démagogique afin de recueillir coûte que coûte leur suffrage.
Le sacre du citoyen et de l’élection ne doivent pas faire oublier les difficultés qui naissent du suffrage universel, et en particulier l’idée que l’électeur doit se conformer au résultat de l’élection. En outre, il existe un risque d'abstention ou de manipulation de l'électeur.
En effet, pour être acceptés, les résultats de l’élection doivent être légitimes aux yeux des citoyens. Il est par conséquent nécessaire que la participation soit garantie et que le niveau de l’abstention ne vienne remettre en cause la légitimité du vote. Sur le plan des règles, afin d’éviter toute manipulation, le secret de l’élection pour l’électeur dans l’isoloir a revêtu une importance majeure. Tocqueville, candidat à la députation en 1848, relate qu’il emmène ses paysans en cortège pour voter et se félicite dans ses mémoires qu’ils aient presque tous voté pour lui.
La liberté du suffrage doit faire l’objet de règles strictes qui garantissent son exercice contre toute intimidation, manipulation ou corruption. Il faut attendre 1913 pour qu’une loi impose l’isoloir réglementaire (permettant de préserver le secret du vote) qui est aujourd’hui inscrit dans la Constitution. Si le vote est un droit, il a aussi été envisagé comme un devoir par certains pays qui ont instauré son obligation sous peine d’amende et de sanctions administratives (comme c'est par exemple le cas de la Belgique en 1893).
La légitimité démocratique ne découle pas seulement de l’aspect procédural du vote, mais plus encore de la construction de la citoyenneté politique. Cette citoyenneté découle des apprentissages successifs qui conduisent l’individu à en faire un citoyen à part entière. L’électeur doit pouvoir exercer librement son choix en disposant des informations nécessaires à son libre-arbitre. Ces apprentissages se font au sein des institutions en charge de son éducation, comme l’École, et plus largement de sa socialisation.
La famille, le milieu professionnel ou encore l’entourage exercent tous des fonctions importantes dans cette socialisation politique. L’implication de l’individu dans l’espace social et politique œuvre sans aucun doute à cette socialisation politique par le biais d'un engagement associatif, syndical, politique ou plus généralement dans l’espace public. Pour cette raison, le droit de vote ne peut offrir de légitimité démocratique que s’il est associé à une multitude d’espaces de discussions libres.
Le suffrage universel ne constitue pas à lui seul une garantie démocratique. Les « élections sans choix » sont l’œuvre de régimes politiques de parti unique ou de multipartisme illusoire ; elles sont contrôlées par des États totalitaires ou autoritaires. Le suffrage universel sert alors de vague caution démocratique aux yeux du monde, et constitue un instrument de contrôle de la population dont ces régimes espèrent la servitude volontaire et docile.
Par ailleurs, dans ce régime démocratique, la question du temps qui sépare deux élections se pose. Le système représentatif confie-t-il un blanc-seing à l’élu ? Dispose-t-il alors d’une autonomie complète vis-à-vis de ses électeurs, parce que le mandat impératif est prohibé ? Ou bien la réitération de l’élection n’offre-t-elle pas un pouvoir à l'électeur qui disposerait d’un pouvoir de sanction de l’élu qui n’aurait pas respecté les engagements sur lesquels il s’est présenté à la précédente élection ? La question est loin d’être anodine puisqu’elle motive souvent un certain rejet de la classe politique par les électeurs qui estiment que les promesses électorales n’engageraient que ceux qui les écoutent, et non ceux qui les profèrent. L’alternance politique, qui permet à des partis politiques concurrents d’exercer, constitue le moyen de pression de l'électeur sur l'élu qui brigue un nouveau mandat.
Plus largement, l’espace démocratique repose sur le principe de la discussion. La question de la possibilité d’une prise de parole par le citoyen est ici essentielle. Entre deux élections, comment susciter l’avis des citoyens sur les choix publics ? La démocratie représentative sollicite de plus en plus aujourd’hui les systèmes participatifs visant à interroger les citoyens sur ces choix collectifs. En France, cette démocratie participative commence à prendre de l’ampleur à travers les débats qui peuvent être organisés par les pouvoirs publics. Les questions de bioéthiques, sur les nanotechnologies, ou de manière plus pragmatique sur des questions portant sur l’aménagement du territoire, font l'objet de consultations de la population, procédures parfois imposées par la loi. Le référendum d’initiative locale permet par exemple à des citoyens d’obliger l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale à discuter d’un thème particulier. Le référendum d’initiative parlementaire et disposant d’un soutien populaire est prévu depuis la dernière réforme constitutionnelle de 2008 dans l’article 11 : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. »
Si le vote est source de légitimité, c'est aussi parce qu'une procédure visant à l'intégrité du choix de l'électeur a aussi été progressivement mise en place, en particulier avec l'obligation du secret du vote.
Les élus deviennent alors les médiateurs de l'opinion publique, avec cependant le risque des promesses électorales non tenues.
La légitimité du vote ne peut cependant faire l'économie d'une citoyenneté éclairée qui résulte de la socialisation politique, permettant véritablement à l'électeur d'exercer son libre arbitre.
La démocratie devient progressivement un espace de discussions, dans lequel la démocratie participative vient combler les lacunes de la démocratie représentative.
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