Le totalitarisme : la négation de l'être humain
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Comprendre ce qu'implique le totalitarisme
- Certains totalitarismes (notamment le stalinisme et le nazisme) ont pour objectif de « changer » l'être humain : les deux idéologies sont en quelque sorte similaires.
- L'objectif est de déshumaniser l'être humain, lui enlever son identité en mutilant son corps.
Mais autour de quelles idées les États totalitaires se sont-ils mis en place et consolidés ? Peut-on vraiment établir une comparaison entre la volonté d’édifier l’homme nouveau (stalinisme), et celle d’éradiquer de la « race » humaine sa composante juive (nazisme) ? À y regarder de près, on peut sans doute répondre par l’affirmative, au regard, une fois de plus, des éléments communs qui sous-tendent ces deux idéologies.
Les camps nazis ou soviétiques programmaient
l’extermination de certains groupes
d’individus, d’après certaines
catégories établies arbitrairement, et la
dégradation des êtres humains. En
Allemagne comme en Russie, le nombre des
« innocents » (ceux qui
n’étaient pas Juifs dans les camps
allemands, ceux qui n’étaient pas
communistes – les opposants
politiques – dans les camps russes)
n’ont cessé, au fur et à mesure que
le temps passait, d’augmenter. Il peut
s’agir de criminels, d’asociaux,
d’homosexuels. Au goulag, les criminels sont
mélangés aux
« politiques ».
Tout est fait pour qu’aucun sentiment de
solidarité ne se développe entre les
prisonniers, afin que la hiérarchie
s’impose d’elle-même. Ainsi, les
individus cherchent à savoir s’ils
appartiennent à une
« haute » ou une
« basse » catégorie, en
fonction de l’ennemi suprême
désigné (le Juif, pour les dirigeants
nazis). N’être pas Juif fait ainsi du
prisonnier un
« privilégié ».
Il s’agissait, comme le dit encore Hannah Arendt,
« de transformer la personnalité
humaine en simple chose, en quelque chose que
même les animaux ne sont pas ».
L’essentiel était de soustraire les
prisonniers au monde des vivants, et de les
transformés en « animaux
résignés ». Ont ainsi
été fabriqués des
« cadavres vivants », selon
l’expression qu’un rescapé a pu
employer.
Un grand nombre d’intellectuels, pour
témoigner de l’horreur des camps nazis,
ont choisi l’expression littéraire.
Hannah Arendt, lorsqu’elle en parle, adopte un
ton plus « littéraire »
que « philosophique » ; elle
s’engage dans la voie du récit, alors
qu’elle-même est essentiellement
philosophe. Le témoignage est
irremplaçable ; toute tentative
d’explication et de compréhension du
phénomène des camps ne pourra jamais
véritablement en rendre compte. Les images qui
nous sont parvenues, que les réalisateurs ont
utilisées pour le cinéma, sont
inestimables (voir, par exemple, Claude Lanzmann,
Shoah, 1985).
Hannah Arendt cite David Rousset (L’univers
concentrationnaire, 1946) : « Les
hommes normaux ne savent pas que tout est
possible ». Tous les rescapés des
camps décrivent une expérience
similaire : tout a été
programmé pour déshumaniser les
prisonniers, et les priver de leur identité en
créant les conditions de
l’indignité humaine. On retrouve en
ce XXIe siècle, remise en quelque
sorte à l’honneur cette notion de
« dignité »,
qu’il faut préserver pour que
l’homme puisse demeurer un homme. Ainsi, les
conditions ne doivent pas être
créées pour qu’un individu se
trouve en situation de ne pouvoir maintenir sa
dignité.
Pour détruire l’individualité de
l’homme, on choisit, comme première cible,
son corps. Affamer, torturer, imposer des
travaux pénibles, l’exposition des corps
nus aux yeux de tous font que peu à peu les
corps ne sont plus des corps. « Le froid est
plus meurtrier que le SS », constate Primo
Lévi. La faim provoque les maladies. La
saleté, les poux, la vermine, la gale ou les
punaises rendent les camps pareils à des
cloaques. Il s’agit bien d’animaliser
l’homme pour lui soustraire son
identité.
Une fois tuée la personne morale, il ne subsiste
qu’un obstacle à la métamorphose
des hommes en cadavres vivants : la
différenciation des individus,
l’identité unique de chacun (Hannah
Arendt, Le système totalitaire).
H. Arendt a finalement la certitude que
« la nature de l’homme n’est
humaine que dans la mesure où elle ouvre
à l’homme la possibilité de devenir
quelque chose de non naturel par excellence, à
savoir un homme » (ibidem,
page 270).
Robert Antelme, dans L’espèce
humaine, exprime des sentiments similaires :
(Avant-propos, 1947)
On ne pourrait, finalement, opposer, comme l’a fait une certaine tradition philosophique, les besoins et les désirs, le naturel et le non-naturel, l’animalité de l’homme et l’humanité de l’homme. Ceux qui nient à certains hommes leur qualité d’homme ne fait que renforcer l’idée selon laquelle il existe bien une « espèce », et donc une « nature » humaine.
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