Le processus de décentralisation
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En effet, la démocratie conduit au repli des citoyens sur leur sphère privée et aux désintérêts grandissant pour la chose publique. Face à un pouvoir centralisé, les risques de dérives despotiques et de tyrannie de la majorité sont nombreux. Le développement de pouvoirs locaux autonomes en constitue alors un rempart important.
L’histoire de la France est cependant profondément marquée par la construction d’un pouvoir central fort sous la monarchie. La construction de l’unité territoriale, et la volonté d’éliminer toute autre forme de pouvoir (féodalité) ont conduit à la centralisation du pouvoir par le monarque. La Révolution française aurait pu faire le choix de rompre avec cette centralisation, mais les circonstances historiques, et la nécessité de maintenir la cohésion politique nationale reposant sur un principe d’égalité des individus et des territoires sous inspiration des thèses jacobines, ont fait l’impasse sur un processus de décentralisation, alors que dans le même temps, certaines démocraties faisaient le choix du fédéralisme comme dans le cas des Etats-Unis ou de la Suisse.
La décentralisation peut se définir par l’existence de plusieurs centres de décisions autonomes ayant le contrôle juridique de leurs activités et disposant de la liberté de prendre dans le respect des lois nationales, les décisions qu’ils souhaitent, afin de répondre aux besoins d’administration et d’organisation des territoires dont ils ont la responsabilité.
La décentralisation est un processus différent de la déconcentration qui consiste à organiser sur un territoire le prolongement des administrations centrales à l’échelle locale, mais qui restent soumises à l’autorité nationale. La déconcentration repose sur l’existence d’un lien de subordination hiérarchique de l’autorité administrative locale à l’autorité nationale, comme dans le cas des préfets de région et des services déconcentrés qu’il dirige sous l'autorité du ministre compétent, alors que dans le cas de la décentralisation, l’autorité administrative locale est indépendante, comme dans le cas du maire.
Une première réponse à ces préoccupations a consisté à créer, en 1963, la Délégation de l’aménagement du territoire et l’action régionale (DATAR) dont l’objectif principal est de permettre l’implantation en province d’activités économiques industrielles et tertiaires. Mais cette étape vers la décentralisation reste peu convaincante pour le développement de l’autonomie des pouvoirs locaux, ce qui n’empêche pas une réussite certaine des programmes mis en œuvre par la DATAR (aujourd'hui, depuis 2005, il s'agit de la DIACT, Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires). L’échec du référendum constitutionnel organisé par De Gaulle en 1969 visant, entre autres choses, à créer les régions comme des collectivités territoriales autonomes disposant de la personnalité juridique, en leur offrant plus de compétences et d’autonomie, a retardé la mise en œuvre de la décentralisation. Il faudra attendre le début des années 1980 avec l’Acte I de la décentralisation pour que le processus fasse l’objet d’une accélération.
• L’Acte I de la décentralisation constitue un tournant majeur dans l’organisation de l’État français. Entre 1982 et 1984, trois lois déterminantes sont adoptées. Elles permettent de définir l’identité des acteurs de la décentralisation, la création des régions, précisent les domaines d’actions respectifs de l’Etat et des collectivités territoriales (régions, départements, communes et coopération intercommunales), et enfin construisent une véritable fonction publique territoriale constituée d’agents au service des collectivités.
Ce premier acte de la décentralisation transfert des compétences des préfets vers les maires et les structures de coopération intercommunales. Il permet une redéfinition des droits et libertés des collectivités territoriales grâce à la transformation du contrôle exercé jusqu’à présent par l’Etat et ses représentants (préfet, juges administratifs et financiers) sur les actes des collectivités territoriales. Il instaure une planification régionale en particulier dans le domaine économique, organisée par les collectivités territoriales. Il permet l’existence d’instruments financiers nécessaires aux activités des collectivités territoriales (fiscalité locale), et définit un nouveau statut pour les élus et fonctionnaires locaux.
• L’Acte I énonce le principe de libre administration des collectivités territoriales, transformant la tutelle de l’Etat d’un contrôle a priori vers un contrôle a posteriori. Les actes des collectivités locales deviennent ainsi exécutoires, et l’autorité représentant l’Etat n’est plus considérée comme supérieure, mais uniquement compétente pour contester la légalité de l’acte par un contrôle juridictionnel après sa publication (tribunal administratif, chambre régionale des comptes). Les droits des citoyens sont garantis par la possibilité de saisir le représentant de l’Etat dès lors que serait mise en cause une liberté individuelle ou publique.
• L’Acte I confère par ailleurs au Président du Conseil général (département) un véritable pouvoir exécutif au détriment du préfet, qui exerçait auparavant cette fonction. L’Acte I permet de plus une véritable reconnaissance politique de la région en devenant une collectivité territoriale à part entière, disposant d’une assemblée élue au suffrage universel direct, et dirigée par un Président élu en son sein et disposant du pouvoir exécutif. Les régions se voient confier des compétences dans le domaine du développement économique et dans la formation professionnelle. Sur le plan des compétences, le transfert de l’Etat aux collectivités se fait par blocs de compétences auxquels sont associés les moyens prélevés sur les ressources de l’État et cela sous la forme d’une dotation globale de fonctionnement.
Par exemple, les conseils généraux deviennent compétents pour la construction et l’entretien des réseaux routiers départementaux. Pour ce faire, les fonctionnaires de l’État en charge de cette fonction et les moyens financiers correspondants, sont confiés aux départements.
Ils sont aussi compétents pour une très large partie de l’action sanitaire et sociale, comme c’est le cas pour la politique pour les personnes âgées, la protection sanitaire de la famille et de l’enfance, ou bien encore pour certaines prestations sociales comme le revenu social d’activités (RSA).
Dans le domaine de l’éducation, l’État conserve la définition du cadre national et la gestion des personnels enseignants et d’encadrement, mais les collectivités territoriales deviennent compétentes pour la gestion des investissements, des moyens matériels et personnels en charge de l’entretien. Les régions sont chargées des lycées, les départements des collèges, et les communes des écoles primaires.
- participation accrue des citoyens à la démocratie locale,
- une plus grande responsabilité des collectivités locales en matière fiscale,
- une clarification des relations contractuelles entre l’État et les collectivités locales,
- le renforcement des coopérations,
- la mise en place de mécanismes de péréquation pour éviter que la décentralisation ne conduise à un développement inégal des territoires.
• En premier lieu, l’Acte II inscrit dans la Constitution le principe selon lequel la République française est certes « une République indivisible » mais dont l’« organisation est décentralisée ». Cette inscription constitutionnelle limite ainsi les risques de recentralisation, et oblige le pouvoir législatif à élaborer des lois qui respectent ce principe de la décentralisation. L’Acte II de la décentralisation est aussi l’occasion de revoir les compétences et les moyens attribués aux collectivités territoriales.
La réforme de 2003 introduit dans la Constitution le principe de subsidiarité légitimant ainsi les transferts de compétences correspondants. Ce principe détermine que le centre de décision le plus proche du terrain et des citoyens, constitue l’échelon le plus approprié. Ainsi l’article 72 de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». En outre, ce même article introduit la possibilité pour les collectivités territoriales de mettre en œuvre un droit à l'expérimentation « pour un objet et une durée limités ». Cette réforme introduit par ailleurs davantage de démocratie participative : possibilité est offerte de faire appel au citoyen par l’intermédiaire d’un référendum local, et les citoyens disposent d’un droit de pétition permettant d’inscrire à l’ordre du jour des assemblées des collectivités territoriales une question relevant de leurs compétences.
Sur le plan des moyens, l’Acte II renforce et améliore les dispositifs existants en prévoyant que tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales doit s’accompagner de l’attribution de ressources correspondant à celles qui étaient consacrées à leur exercice avant par l’Etat. Les collectivités territoriales se voient reconnaître la possibilité de recevoir tout ou partie des impôts de toute nature et d’en fixer l’assiette et le taux. Afin de combler les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales est mise en place une péréquation, où celles qui ont plus contribuent pour celles qui ont moins.
• Le processus de décentralisation fait par ailleurs l’objet d’une attention soutenue de la part des institutions de l’Union européenne depuis le traité de Maastricht (1992) qui a consacré le principe de subsidiarité, qui concerne en premier lieu les rapports entre les institutions européennes et les Etats membres, mais qui peut aussi s’appliquer aux collectivités territoriales selon l’idée : « les décisions sont prises le plus près possible des citoyens ». L’Europe s’est d’ailleurs dotée en 1994 d’une institution représentative des collectivités territoriales. Le Comité des régions est composé des présidents, maires ou représentants élus de régions et villes. Depuis le traité de Lisbonne (2008), le Comité des régions doit être consulté durant le processus législatif européen dans les domaines inhérents à la cohésion économique et sociale, aux réseaux d'infrastructure transeuropéens, à la santé, à l’éducation et la culture, à l’emploi, la politique sociale, l’environnement, la formation professionnelle, les transports, la protection civile, le changement climatique, et l'énergie. Les collectivités territoriales, et en particulier les régions sont des intermédiaires importants des politiques européennes faisant appel aux fonds structurels européens (fonds européen de développement régional, fond social européen, fond d’ajustement à la mondialisation). Les régions françaises concernées par des difficultés économiques et sociales reçoivent ainsi des subventions européennes conséquentes et favorisent le développement économique et social des régions (plus de 7000 projets sont ainsi financés en France pour un montant de plus de 33 milliards d’euro en 2012 !).
Il serait possible de reprocher à la décentralisation d’être à contre-courant du processus de mondialisation. En effet, face à ce processus, il est possible de s’interroger sur la pertinence de renforcer la décentralisation à l’échelle locale, alors que les structures économiques se construisent à l’échelle mondiale. Malgré l’apparente contradiction entre mondialisation et décentralisation, il faut constater, que confier davantage de responsabilités aux territoires, constitue un moyen de renforcer les stratégies des acteurs locaux visant à disposer des atouts nécessaires à l’attractivité de leurs territoires (éducation, infrastructures, financements…) afin de faire face à la concurrence internationale.
Par conséquent, donner aux pouvoirs locaux davantage de compétences et de moyens, et de liberté pour les mettre en œuvre, détermine sans aucun doute la capacité de ces territoires à s’insérer de manière efficace dans la mondialisation. L’exemple de l’implantation de l’entreprise Toyota à Valenciennes, ou le développement des pôles d’excellence dans le domaine de la recherche scientifique en sont des manifestations probantes.
La décentralisation ne présente pas que des avantages. Il peut lui être reproché de renforcer les fiefs locaux et le cumul des mandats des élus. En outre, le découpage des territoires est un problème sans fin. Un découpage du territoire nécessite que soient par ailleurs pensées des solutions de coopérations entre les collectivités territoriales afin de réduire les risques de décisions qui placent les territoires directement en concurrence, ou qui rejetteraient sur leurs voisins la responsabilité et les coûts des activités collectives. La juste taille des collectivités territoriales est une question importante.
En 2011, l’ensemble des dépenses des collectivités locales représentent 219,2 milliards d’euros, comparé aux 286,4 Md€ de dépenses pour l’Etat. Les collectivités territoriales demeurent fortement dépendantes de la dotation globale de fonctionnement fournie par l’Etat (41,4 Md€ en 2011). Lorsque des compétences leurs sont transférées, celles-ci doivent s’accompagner vraiment des moyens correspondants. En 2011, l’effort financier total de l’État en faveur des collectivités locales s’élève à 99,5 Md€.
La recentralisation peut aussi prendre une forme législative, à savoir l’adoption de projets de lois du gouvernement visant à imposer aux collectivités locales davantage de responsabilités et de contraintes, qui auront forcément une incidence sur leurs finances. C’est le cas par exemple, de la législation concernant la prévention et la lutte contre la pollution. Par conséquent, la décentralisation suppose que s’instaure un dialogue constructif entre l’Etat et les collectivités territoriales, afin de mesurer l’impact des décisions réciproques.
Il faut de plus constater que l’Etat français a su profiter du dispositif de décentralisation pour déléguer sa politique d’investissement sur le territoire aux collectivités territoriales. Elles sont en effet devenues avec la décentralisation, le premier investisseur public devant l’Etat. Les investissements réalisés concernent les infrastructures publiques (transports, réseaux routiers et de communication, établissements scolaires, hôpitaux, etc.). En 2011, Les collectivités ont réalisé pour près de 54 Md€ de dépenses d’investissement.
La décentralisation ne doit pas être confondue avec la déconcentration qui consiste à rapprocher au plus près du terrain les administrations centrales, tout en conservant une subordination hiérarchique, alors que la décentralisation renvoie à l'idée de liberté et d'autonomie des collectivités territoriales.
Le point de départ véritable de la décentralisation a lieu en France entre 1982 et 1984 avec l'Acte I qui détermine, pour la première fois, une autonomie réelle des collectivités territoriales et crée les régions. Un transfert de compétences est réalisé au profit des communes, départements, et régions. Chaque type de collectivités territoriales se voient attribuées un champ de compétences spécifiques. Par ailleurs, est énoncé un principe fondamental de la décentralisation, celui de la libre administration des collectivités territoriales.
L'Acte II de la décentralisation en 2003 va renforcer le processus de transfert de compétences, en fixant le principe d'attribution des moyens correspondants afin de garantir son effectivité. La volonté de cet Acte II est de renforcer la démocratie locale, de confier davantage de responsabilité en matière fiscale aux collectivités, et de renforcer le dispositif contractuel avec l'Etat. Les principes de subsidiarité et la décentralisation sont consacrés par ailleurs par la Constitution.
La décentralisation constitue, de plus, un mode de gouvernance favorisé par la construction européenne, qui considère les régions comme les destinataires privilégiés des budgets des fonds structurels européens, et mis en œuvre par la Commission européenne. Les régions sont d'ailleurs représentées par un Comité dédié qui est consulté dans le processus législatif européen.
La décentralisation pose la question des rapports entre Etat central et collectivités territoriales, et de la gouvernance démocratique de nos sociétés. La décentralisation est considérée comme particulièrement favorable à la démocratie, malgré certains risques de népotisme local.
Les relations entre Etat central et collectivités territoriales reposent principalement sur la nature des transferts financiers et des compétences, et pose plus largement la question de l'importance des moyens qui sont transférés par l'Etat aux collectivités pour les assumer.
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