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Le probème de l'induction : comment accéder à la connaissance de l'universel et du nécessaire ?

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On appelle « induction » le processus de pensée par lequel l’esprit parviendrait à passer de la connaissance de cas particuliers et apparemment contingents, à la connaissance de l’universel. C’est un processus qui semble essentiel pour la science, conçue comme « connaissance de l’universel » et non pas seulement du particulier ni même du général.
Or ce processus et ce passage sont problématiques ; c’est pourquoi on parle classiquement du « problème de l’induction » pour désigner l’un des problèmes fondamentaux de la réflexion sur la science, c’est-à-dire de l’épistémologie.

1. L’expérience, connaissance du singulier ou du général
a. L’expérience me fait connaître ce qui est singulier…
Par la perception et l’expérience, qui sont nos modes de connaissance les plus immédiats, nous n’acquérons d’abord qu’une connaissance de cas ou d’événements singuliers, c’est-à-dire d’êtres individuels et différents les uns des autres : par expérience, je connais par exemple tel individu humain, avec ses caractéristiques propres, et distinct de tel autre individu que j’ai également perçu et qui n’est nullement identique au premier.
b. … ou tout au plus de ce qui est particulier et général
Dans le meilleur des cas, on pourrait dire que l’expérience rend seulement possible une connaissance de cas particuliers par expérience, c’est-à-dire par des perceptions répétées, que je garde en mémoire, et que je peux comparer entre elles,
Par exemple, je sais que quelques hommes (et non plus seulement cet homme singulier) ont des cheveux bruns et une taille élevée.

À partir de là, mon expérience s’élargissant ou s’accroissant, on pourra dire que j’ai acquis une connaissance générale des êtres humains, qui me permet d’affirmer par exemple qu’« un grand nombre d’hommes » ont deux bras et deux jambes ; toutefois le général n’est en aucun cas l’universel : car par l’expérience je ne pourrai jamais connaître tous les individus humains possibles, à la fois passés, présents et à venir.
c. L’expérience est une connaissance de ce qui est possible mais contingent
L’expérience me donne une connaissance de choses seulement contingentes (qui peuvent « être aussi bien que ne pas être ») et non pas nécessaires (« qui ne peuvent pas ne pas être ») : si par l’expérience je constate qu’un grand nombre d’hommes est doué de langage, cela ne me prouve pas encore qu’il est nécessaire que tous les hommes soient tels.

En d’autres termes, constater qu’un fait ou un événement sont possibles ne prouve pas encore qu’ils soient absolument nécessaires : il est possible pour un homme d’avoir les cheveux bruns mais ce n’est nullement une nécessité car seul peut être dit nécessaire ce dont le contraire est radicalement impossible.
Le problème vient alors de ce que la science implique des caractéristiques bien différentes de celles de l’expérience.

2. La science, connaissance de l’universel et du nécessaire
a. La science se définit comme une connaissance universelle
Au contraire de ce que l’on nomme l’opinion (doxa en grec) qui est toujours particulière et variable, la science se doit par définition d’être une connaissance universelle, aux deux sens du terme :
• elle doit être vraie pour tous ;
• son contenu, ses énoncés doivent être tels qu’ils soient vrais toujours et partout : elle doit donc porter, non sur des phénomènes particuliers ou contingents (sur ce qui arrive seulement une fois par hasard, par exemple), mais sur des phénomènes se produisant toujours de façon régulière et identique (ainsi des mouvements des astres qui se produisent toujours suivant des lois universelles et invariables).

C’est pourquoi Aristote écrit qu’« il n’y a de science que de l’universel » et que ce qui est « particulier ne saurait être objet de science » : la science doit consister alors à rechercher, soit des définitions universelles (une définition de l’essence de l’homme, et non de tel individu humain), soit des liens de causalité universels (telle cause entraîne toujours tel effet), soit encore (comme le fait la science moderne) des lois universelles.
b. La science est une connaissance du nécessaire
De même la science a pour objet le nécessaire (« ce qui ne peut pas être ou arriver autrement qu’il n’est ou arrive ») et non ce qui est simplement contingent : elle doit être ce qui nous explique pourquoi il est nécessaire par exemple qu’un objet tombe vers le sol lorsqu’on le lâche (c’est-à-dire pourquoi il est impossible que ce mouvement soit autre), autrement dit elle doit rendre raison des événements naturels et de la manière précise dont ils adviennent.

Elle doit nous faire connaître, dit Aristote, non pas seulement « les faits », mais « le pourquoi », les causes de ces faits et de leur nécessité ; elle doit nous apprendre, pour reprendre une formule de Leibniz, pourquoi il est nécessaire que les choses soient ainsi et non pas autrement.
c. Le problème de l’induction
L’expérience, grâce à laquelle je ne peux connaître au mieux que des généralités (un grand nombre de cas), ne me permet en aucun cas de connaître l’universel (tous les cas). Pour reprendre l’exemple de Karl Popper : le fait d’avoir vu un grand nombre de cygnes blancs ne me permet en aucun cas d’affirmer que « tous les cygnes sont blancs » car cette expérience ne prouve en aucun cas qu’il n’existe aucun cygne non-blanc ; il se peut que je rencontre à l’avenir un cygne noir.
Mais comment alors est-il encore possible de fonder une science universelle ?

3. Trois solutions classiques du problème de l’induction
a. Une science universelle de la nature est impossible : la solution sceptique
Si l’on suppose, avec les penseurs empiristes, qu’il ne saurait y avoir aucune autre source de connaissance que l’expérience, il est clair alors qu’une connaissance universelle de la nature demeure radicalement impossible : ainsi David Hume démontre-t-il qu’il nous faut renoncer à énoncer légitimement des énoncés universels tels que « le soleil se lèvera toujours chaque matin » car le fait d’avoir vu le soleil se lever un grand nombre de fois ne prouve nullement qu’il en sera toujours de même.

On peut, dans l’ordre pratique, continuer de croire que le soleil se lèvera toujours, que le pain continuera de nous nourrir, et d’agir « comme si » c’était le cas – mais de tels énoncés universels ne sauraient avoir de validité logique ou scientifiques – ils ne peuvent être légitimes que s’ils proviennent d’une source autre que la seule expérience.
b. L’expérience est le commencement mais non le fondement de la science
Pour qu’une connaissance universelle soit possible, il faut donc supposer qu’il existe des sources de connaissance autres que l’expérience : ainsi Platon fonde-t-il la science en supposant qu’il existe des idées ou essences des choses au-delà de la réalité sensible, qui sont ce qu’il nous faut connaître si nous voulons disposer, non plus de simples opinions mais d’une science à proprement parler.

De façon plus précise, Aristote reconnaît que l’expérience peut constituer le point de départ nécessaire de notre connaissance de la réalité mais que nous n’accédons à l’universel que lorsque l’expérience répétée de cas semblables éveille en nous la capacité d’avoir enfin une intuition de la forme universelle qui est toujours « enveloppée » dans le singulier lui-même : l’expérience serait donc le commencement mais non le fondement de la science universelle qui ne dépend pas des sens mais de la Raison ou de l’esprit intuitif.
c. Karl Popper et « la falsifiabilité »
Enfin, une solution en quelque sorte intermédiaire consisterait à considérer avec la « théorie de la falsifiabilité » de l’épistémologue autrichien Karl Popper (1902-1994), que l’on peut penser, provisoirement, comme universellement valide une loi qui n’a pas été réfutée jusqu’alors, tout en sachant qu’il n’est pas impossible qu’elle le soit à l’avenir. Le propre d’une une théorie scientifique est précisément d’être réfutable ou « falsifiable » (to falsify, « prouver la fausseté »), c’est-à-dire de pouvoir être soumise à des tests, des expérimentations, susceptibles de l’invalider, de l’infirmer. Une théorie absolument irréfutable, qui ne pourrait en aucun cas être soumise à des tests expérimentaux (c’est le cas, selon Popper, des croyances religieuses, des idéologies politiques comme le marxisme, ou des doctrines psychologiques comme la psychanalyse) est une théorie dogmatique, non-scientifique.
En ce sens, on considèrera les théories scientifiques comme universellement vraies dans la mesure où elles ont été « corroborées », c’est-à-dire confirmées par un grand nombre de tests ; mais cette vérité doit nécessairement être pensée comme étant provisoire, toujours susceptible d’être remise en question : aussi grand que soit le nombre d’expérimentations menées, il ne saurait pourtant pas prouver que cette loi ou cette théorie ne seront jamais réfutées à l’avenir.
Ainsi Karl Popper met en place une conception rationaliste et critique de la vérité scientifique : une théorie scientifique est toujours susceptible d’être repensée, réévaluée, corrigée – cette possibilité de changement est preuve même du sérieux scientifique. La science authentique est toujours ouverte au doute et à la reconstruction.

Pour aller plus loin
Aristote, Seconds analytiques, II, 19 : sur l’induction et l’intuition de l’universel.

David Hume, Enquête sur l’entendement humain, IV : sur l’illégitimité des énoncés universels issus de l’expérience.

Bertrand Russell, Problèmes de philosophie, IV : « Sur l’induction ».

Karl Popper, Conjectures et réfutations : Avant-propos et texte sur l’induction et le critère « faillibiliste » de la science.

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