Le modèle syndical français
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Le 19e siècle est cependant marqué par deux textes légaux qui empêchent l’existence des syndicats pour une grande partie de ce siècle. Né dans un rapport de force, le modèle syndical français évolue cependant avec l’arrivée au pouvoir de responsables politiques davantage enclin à percevoir l’importance des syndicats comme partenaires de la gestion d’un Etat-providence naissant. Les syndicats deviennent des partenaires sociaux et se voient confiés des responsabilités importantes de la gestion de la protection sociale. La généralisation du salariat et le compromis salarial fordiste favorisent d’autant plus leur rôle dans la société qu’ils exercent une influence importante sur l’évolution des droits sociaux.
Cependant, la crise du salariat et du modèle fordiste dans les années 1970 bouleversent profondément leur place et fonctions au sein de la société.
Il faut attendre 1864 pour que le délit de coalition soit supprimé et soit autorisé le droit de grève, et cela après que de nombreuses grèves et mouvements ouvriers eurent lieu illégalement et furent souvent réprimés plutôt violemment. Les trois épisodes les plus marquants de l’histoire du mouvement syndical sont la révolte des canuts à Lyon en 1831, les 3 glorieuses en 1848, et la Commune de Paris en 1870.
Doc.1. Deuxième révolte des
canuts à Lyon, pendant la révolution industrielle, en 1834. |
Doc. 2. Commune de Paris (1870) - hommes politiques français du parti socialiste : E. Arago, J. Ferry, J. Simon, J. Favre, L. Gambetta, H. Cremieux, Pelletan, Trochu et Rochefort. |
Il faut attendre 1884 pour que la loi Le Chapelier et les articles du Code pénal napoléonien soient supprimés et que la loi autorise l’existence des syndicats (loi Waldeck-Rousseau). Entre temps, cela n’a pas empêché les ouvriers de construire des organisations de secours mutuel et d'unions fraternels et d’utiliser ces organisations pour mener à bien leurs revendications par l’action collective.
Doc. 3. Portrait de Pierre Waldeck
Rousseau (1846-1904) - homme politique |
Le modèle syndical français est par ailleurs fortement influencé par l’analyse de Marx et les thèses anarchistes (Joseph Proudhon). Si au début de la Révolution industrielle, les ouvriers sont un groupe social minoritaire face à l’importance de la paysannerie, leur poids numéraire grandissant tout au long du 19e siècle leur confère une importance accrue sur le plan social et politique. La fondation en 1864 de l’Association internationale des travailleurs à l’initiative de Marx, a pour membre important le mouvement ouvrier français marqué par un fort courant proudhonien. L’objectif des syndicats est alors d’organiser la classe ouvrière et de participer à son émancipation complète du capitalisme en prônant sa disparition. L’abolition du salariat devient l’objectif principal du modèle syndical français et marque le syndicalisme français par une empreinte révolutionnaire forte.
Doc. 4. Une séance du congrès ouvrier dans la salle des Ecoles de la rue d'Arras à Paris en 1876. Le congrès réclamait la liberté de réunion et d'association, le droit au travail, un salaire décent et les assurances chômage, vieillesse et maladie. |
Les réformes de 1864 et 1884 ouvrent la voie à l’existence des organisations et chambres syndicales, et par conséquent à l’action collective dans le monde du travail. Le rétablissement de la République parlementaire (IIIe République) en 1875 et de ses composantes politiques marquées par la question sociale, est plutôt favorable à l’action syndicale.
La loi de 1884 (loi Waldeck-Rousseau) limite cependant l’objet du regroupement syndical afin d’en éviter la politisation. Elle transforme les syndicats en personne publique en leur conférant le droit d’ester (= soutenir une action) en justice pouvant ainsi défendre les droits des salariés et leur reconnaît le droit de s’organiser en unions. Elle leur impose en revanche l’obligation de déposer leurs statuts et d’indiquer les noms des responsables.
La première Fédération nationale des syndicats est créée à Lyon en 1886. Grâce à la loi de 1884 sur la Charte municipale, sont créées à la même époque les bourses du travail offrant des moyens matériels aux organisations syndicales et dont l’objectif était de modérer l’action syndicale et de renforcer leur participation aux décisions publiques. La conception réformiste de la Fédération des bourses du travail s’oppose à la conception revendicative et indépendante de la Fédération nationale des syndicats. L’opposition entre les deux organisations aboutit à un compromis en 1895 avec la création de la première centrale syndicale de France, la Confédération générale du travail (CGT).
D’autres organisations naissent à la même période, en particulier celles qui donneront naissance à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC, 1919) comme le Syndicat des employés du commerce et de l'industrie créé en 1887.
Il faut attendre véritablement le Front populaire avec le gouvernement de Léon Blum en 1936 et les premiers accords de Matignon, pour que les organisations syndicales se voient reconnaître un rôle de partenaires sociaux dans les négociations avec le patronat et l’Etat. Sont reconnus avec ces accords un véritable droit syndical reposant sur l’existence de délégués du personnel et la généralisation des conventions collectives définissant les conditions de travail des salariés dans les entreprises. Les fonctions syndicales sont ainsi consacrées et une institutionnalisation des conflits permet la régulation des tensions dans le monde du travail.
La fonction de représentation des salariés par les syndicats dans le monde du travail constitue une étape déterminante pour leur place au sein de la société.
C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que les syndicats voient leurs rôles et leurs fonctions consacrés. Le Préambule de la Constitution de la IVe République en 1946 précise ainsi dans ses principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » et que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Les syndicats de par leur participation à la Résistance contre le Régime de Vichy et l’occupation allemande, mais aussi comme membre du Programme national de la résistance, vont devenir des acteurs importants de la protection sociale et plus largement de la gestion de l’Etat-providence. La mise en place de la Sécurité sociale française par l’ordonnance du 4 octobre 1945 détermine que les conseils d’administration des caisses primaires, régionales et la caisse nationale sont composés majoritairement par des « représentants élus des travailleurs ». Les syndicats deviennent dans une large mesure cogestionnaire de la protection sociale.
L’adhésion syndicale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est forte. En 1949, le taux global de syndicalisation s’élève à 42%, soit presque un salarié sur deux est syndiqué. L’institutionnalisation des conflits et l’encadrement par la loi du droit de grève organisent une régulation et une mise en scène des conflits du travail. Cela signifie que le jeu des rapports de forces dans le monde du travail entre salariés et employeurs est canalisé par l’action syndicale. Les syndicats anticipent les conflits et permettent d’éviter la radicalisation des mouvements sociaux dans le monde du travail.
Cependant, les années 1970 vont sonner le glas de cette institutionnalisation des conflits. En effet, les syndicats sont débordés par certaines revendications et certains mouvements sociaux. Cela sera particulièrement le cas dans certains conflits dans lesquels naissent des coordinations qui souhaitent s'émanciper de la tutelle syndicale (mouvement des infirmières en France à la fin des années 1980). De plus, le compromis fordiste se fissure avec la crise de l'économie industrielle, la concurrence des nouveaux pays industrialisés et les premières délocalisations de la production.
Cette désyndicalisation s’accompagne d’un rejet de la bureaucratie syndicale par les salariés qui considèrent l’action de leurs représentants davantage motivée par la satisfaction d’intérêts en rapport avec le syndicat que les adhérents. L’institutionnalisation des conflits a réduit par ailleurs les tentatives de mobilisations collectives car les salariés sont de moins en moins dupes du jeu des négociations. Cette crise de légitimité syndicale s’explique aussi par la montée de l’individualisme et le développement des comportements de passagers clandestins. Certains salariés ne voient aucun intérêt à adhérer à un syndicat ou à se mobiliser collectivement quand le coût individuel qu’il supporte risque d’être plus élevé que le gain obtenu, et que par ailleurs, adhérent ou non, le salarié profite des luttes syndicales.
Par ailleurs, les causes de cette crise sont aussi exogènes. La structure de la population active évolue rapidement durant cette période. À partir du milieu des années 1990, les ouvriers ne sont plus le groupe majoritaire, ce sont les employés. La désindustrialisation et la tertiarisation sont largement responsables de cette transformation de la structure de la population active. La population active se féminise. Le marché du travail est de plus profondément marqué par la montée de la précarité et le retour du chômage de masse. Cette précarité renvoie à la multiplication des formes atypiques d’emplois (contrat à durée déterminée, travail intérimaire…) qui sont autant de facteurs d’affaiblissement du lien au collectif de travail. Les structures productives évoluent et en particulier la taille des entreprises. Les années de croissance des « trente glorieuses » étaient marquées par des structures industrielles de grande taille dans lesquelles les ouvriers très nombreux avaient pris conscience du pouvoir important qui leur était conféré par le nombre. Le développement de la sous-traitance, les délocalisations à l’étranger, la dispersion du capital qui rend la figure du patron moins perceptible, conduisent à fragmenter le collectif de travail. L’opposition des salariés à un employeur invisible devenu actionnaire est beaucoup plus difficile que celle qui existait quand le patron était dans l’entreprise.
Les syndicats voient par ailleurs leur rôle de partenaires sociaux régulièrement remis en cause par les responsables politiques. Les règles concernant la représentativité syndicale font l'objet d'une réforme en 2008 qui conduit à revoir celles fixées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les critères permettant d'être reconnu comme un partenaire social sont renforcés : respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, influence, effectifs d'adhérents et cotisations, audience selon les niveaux de négociation. Les élections professionnelles reprennent de l'importance dans la détermination de l'audience syndicale. Ainsi l'audience est déterminée à chaque élection et n'est plus acquise comme cela était le cas auparavant.
Les années 1970 vont cependant faire vaciller l'édifice syndical à la fois en raison de facteurs endogènes liés à une crise institutionnelle et une crise de légitimité, mais aussi en raison de facteurs exogènes liés aux transformations économiques et politiques des années 1970.
La question de la représentativité syndicale a fait débat et a donné lieu à une réforme en 2008 qui a modifié de manière importante l'audience et l'importance des syndicats dans le monde du travail.
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