Le Joueur d'échecs : les rôles de l'aveu et des confidences
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Toutes les références renvoient à l'édition du Livre de Poche n° 7309.
On trouve, dans la nouvelle, différents types d'aveux ou de confidences. Il est donc souhaitable et profitable d'en faire l'inventaire préalablement à toute réflexion.
Il faut tout d'abord noter le caractère contraint ou exigé de l'aveu qui est donc une déclaration provoquée sous la pression physique ou psychologique d'un tiers. Cette définition préalable nécessaire permet de restreindre le champ d'investigation de la réflexion et de constater que, dans la nouvelle de Zweig, il n'y a guère d'aveux mais presque uniquement des confidences.
Néanmoins, ces aveux, bien qu'inexistants, sont
au centre de la nouvelle. En effet, ils sont
l'objectif essentiel des nazis qui arrêtent et
emprisonnent le docteur B…
Leur intention initiale est d'obtenir de B. des aveux
concernant ses activités anti-nazies. Le docteur B.
lui-même les mentionne en confidence au
narrateur :
« durant toutes ces années, de très
importants documents et le courrier secret de la maison
impériale passaient presque sans exception par
l'insignifiante étude que nous avions »
(p. 46).
Ces aveux recherchés sont donc ce qui
fait basculer la vie de B.
On compte deux principales confidences : celle de Czentovic et celle de B. On admet donc que du point de vue narratologique la notion de confidence soit confondue avec celle de récit enchâssé et qu'ainsi, par exemple, le récit de la vie de Czentovic soit considéré comme une confidence et pas seulement le récit du docteur B.
- Cette première confidence de la vie de Czentovic est en réalité faite par l'ami du narrateur (p. 11) et, en définitive, on ne sait trop qui est son véritable émetteur. Les détails sont trop nombreux et précis pour que, comme l'écrit Zweig, seul l'ami du narrateur ait « conté quelques traits caractéristiques de la puérile insuffisance de Czentovic » (p. 20). Cette ambiguïté de la narration permet de placer réellement cette nouvelle sous la double égide de l'aveu et de la confidence, et rend cette question encore plus centrale.
-
Plus limpide est la seconde
confidence : celle de B. au narrateur. Celui-ci
lui conte en effet sa détention dans une prison nazie
et sa rencontre providentielle avec le jeu d'échecs.
B. en donne un avant-goût :
« C'est une histoire assez compliquée, et qui pourrait tout au plus servir d'illustration à la charmante et grandiose époque où nous vivons. Si vous avez la patience de m'écouter une demi-heure… » (p. 44). - Cette confidence compose donc ce
qu'il est convenu d'appeler le second récit
enchâssé ; elle se poursuit
jusqu'à la page 80 :
« Vous comprenez maintenant pourquoi je me suis comporté de façon si incongrue, et sans doute incompréhensible, envers vos amis » (p. 80).
Son objectif est clair : expliquer sa conduite et son rapport fanatique aux échecs.
Pour le lecteur, le statut de la confidence se clarifie alors, il s'agit tout simplement de faire avancer la fiction et de faire davantage connaissance avec le personnage principal de la nouvelle.
Le narrateur est finalement celui qui déclenche la
parole et en cela son rôle
psychanalytique est indéniable.
A deux reprises, la confidence de B. est en effet interrompue par
des interventions du narrateur : pages 49 et 69. La
première interruption permet au narrateur de
mettre en évidence le mal-être du
confident :
« A la vive lueur de la flamme, je remarquai qu'un tic
nerveux, qui m'avait déjà frappé auparavant,
en tordait le coin droit et revenait toutes les quelques minutes.
[…] il donnait à tout son visage une expression
étrangement inquiète » (p. 49).
La seconde interruption voit le même
phénomène se reproduire :
« De nouveau, au coin gauche de sa bouche, reparut
l'étrange crispation qu'il ne pouvait
réprimer » (p. 69-70).
Ici, ce qui frappe, c'est qu'à la confidence
rationnelle de B. se mêle l'aveu -par le
biais des tics nerveux- d'une véritable folie mentale,
celle-là même qui s'empare de lui lors de l'ultime
partie. Cet aveu n'échappe pas au narrateur qui se trouve
alors en position de gardien-protecteur de B.
Le rôle fondamental de l'aveu et de la confidence invite à une relecture de l'ensemble de la nouvelle qui peut alors se lire comme l'ultime confidence de l'auteur. Cette position originale permet de prendre en compte, avec l'importance nécessaire, la dimension testamentaire de l'œuvre ainsi que son message humaniste. La confidence permet alors d'entrer dans le sens profond de l'œuvre de Zweig, hymne au respect de l'autre et à la liberté.
Non seulement l'aveu et la confidence structurent l'œuvre
et permettent à l'histoire d'avancer,
mais ils sont aussi un moyen privilégié pour le
lecteur de rentrer dans l'intimité du
personnage.
Enfin, ils invitent à reconsidérer l'ensemble de
la nouvelle comme l'ultime témoignage que Zweig laisse
à la mémoire collective. Dans ce cadre,
la nouvelle est à la fois une confidence
librement consentie de l'auteur qui nous raconte une
histoire, et aussi un aveu puisque toute
lecture est personnelle et qu'une telle œuvre invite
à d'infinies relectures qui supposent des aveux infinis.
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