Le déclin de la modernité
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Comprendre les raisons de la faillite du monde moderne.
- Explorer les différentes représentations du monde qui font suite à celle de la modernité.
- Savoir si ces nouvelles représentations du monde sont en rupture avec la modernité ou forment une continuité avec celle-ci.
- La modernité est désormais perçue comme une impasse dont l’humanité ne peut se sortir qu’en empruntant un retour à la tradition.
- Il faut différencier les notions de postmodernité, d'hypermodernité et de non-modernité.
Rémi Brague identifie une relation de
parasitisme que la modernité entretient avec ce
qui la précède, qu’il s’agisse
du christianisme ou de l’Antiquité. Par
delà l’apparente rupture avec le monde des
Anciens, la modernité ne peut donc
qu’entretenir un lien de continuité
refoulé et surtout travesti.
Mais il faut aussi établir que la modernité
achoppe sur le problème de sa
référence ou plutôt de son fondement
: si l’Antiquité fondait l’âme
sur la Nature et le christianisme, sur Dieu, les Modernes
ne peuvent trouver de fondement du moi en dehors de
lui-même. Le Moi devient la seule
réalité, auto-fondée, à
partir de quoi il est possible de penser le monde. Or
c’est là aussi l’impasse d’un
fantasme de toute-puissance : se donner
l’être par soi-même, n’est-ce pas
céder à l’illusion d’une totale
liberté et se prendre pour un Homme-Dieu,
incréé et absolu ?
Or la condition humaine est bien celle
d’êtres éphémères, dont
l’existence est relative (elle dépendant
d’autre chose que de soi) et contingente (une
vapeur, nous rappelle Pascal, peut nous tuer). En
voulant fonder le sujet par lui-même, la
modernité signe aussi son autodestruction.
Faut-il conclure que la fin de la modernité est la
fin du monde ? Ne serait-ce pas seulement comme le
suggère René Guénon la fin
d’un cycle, où la Modernité, refusant
toute tradition s’épuise, incapable
qu’elle est de pouvoir se fonder et se
légitimer ?
En ce sens, l'opposition désormais classique entre
Occident et Orient doit davantage être vue comme
celle entre société anti-traditionnelle -
la modernité - et société
traditionnelle. Non pas que les sociétés
orientales soient les seules représentantes de la
tradition, mais que l’Occident est dans cette
période moderne dans une posture
singulière, qui l’oppose même à
sa propre tradition qu’il renie, la
reléguant dans un mépris du Moyen ge par
exemple ou une rupture affichée avec
l’Antiquité et les Anciens.
L’apparente supériorité de cette
émancipation des cadres cosmiques de
l’Antiquité et de la parole de Dieu est
alors perçue comme des faiblesses plutôt que
comme des avantages.
Et c’est le statut du sujet, en peine de se situer dans un monde privé de référence qui interroge sur la modernité désormais perçue comme une impasse dont l’humanité ne peut se sortir qu’en empruntant un retour à la tradition. Tradition comprise, non pas comme une simple coutume (c’est l’usage corrompu de la notion de tradition) mais comme inscription de la partie dans le tout.
Dans un de ses plus célèbres ouvrages, La condition postmoderne (1979), Jean-François Lyotard caractérise cette ère qui succède à la modernité et qui se signale notamment par la faillite de deux des grands méta-récits sur la science et de l’autre, l’éthique et la politique. Ces deux discours perdent leur légitimité, car tous deux font partie d’un système dont la fonction est de chercher à assurer sa performance. Aussi intègre-t-il les critiques comme des éléments de stabilité, ces discours devenant des éléments d’un système qui leur échappe et les intègre.
Or pour Gilles Lipovetsky (Les temps
hypermodernes, 2006), c’est une tout autre
révolution qui succède à cette
faillite des autorités traditionnelles.
L’absence d’autorités n’est
compréhensible que par le centrement de la
société sur l’individu :
paradoxalement à ce que les êtres des
sociétés hypermodernes affirment comme le
besoin de lien social, de prise de conscience de
l’environnement, le mépris pour le
matérialisme, tout est pensé sur le mode de
l'individualité et d’une consommation de ce
qui est nécessaire au projet d’un bonheur en
définitive personnel. La seule
réalité du corps social devient
l’individu. Non plus un citoyen qui dans une
société démocratique participe
activement à la vie de l’ensemble de la
société. Mais des êtres
différenciés au point de rompre cette
unité du corps social de l’atomiser en ses
composantes.
Le problème de la modernité ne serait-il
pas alors à situer dans l’illusion que les
êtres humains ont pu maintenir de leur propre
autosuffisance ? Dans Où suis-je ?
(2020), Bruno Latour fait de cette tendance que
l’individu a à se considérer comme
parfaitement autotrophe (soit capacité à se
nourrir de lui-même et de n’avoir aucune
incidence sur son milieu) une façon de
dénier les relations réelles que tout
vivant entretient avec son milieu et de facto, avec les
autres vivants, dans les termes d’une
causalité réciproque complexe.
En témoigne la crise du covid-19 qui nous
révèle que nous sommes des êtres
hétérotrophes (en opposition à
autotrophe), comme toute forme de vie et que nous faisons
partie d’un ensemble lui-même vivant de
toutes ces interactions et toujours en mouvement,
Gaïa.
La notion d'individualité chère à la
modernité trouve donc sa limite justement dans le
concept de limite qui relève de la fiction :
à vrai dire, tout est interdépendance dans
le domaine du vivant.
La modernité achoppe donc sur une réalité plus complexe que tous ces découpages artificiels au travers desquels nous constituons nos individualités et qui, sous une apparente indépendance, une déterritorialisation de façade, un ensemble vivant de liens à un milieu changeant.
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