Le choc de la Shoah dans la pensée occidentale
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Comprendre la réflexion autour de la notion du mal dans la pensée occidentale.
- Connaître la Shoah et ses conséquences sur la pensée occidentale.
- La Shoah, « catastrophe », « anéantissement » ou « désolation » en hébreu, désigne l’entreprise systématique d’extermination des Juifs d’Europe réalisée par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1941 et 1945, 6 millions de Juifs sont ainsi fusillés, gazés, affamés et tués à la tâche. Cela représente les deux tiers des Juifs européens et quarante pourcents des Juifs dans le monde.
- Elle a été parfois distinguée des autres génocides par son caractère méthodique, bureaucratique et industriel.
- L’idéologie nazie est nourrie de représentations historiques et biologiques fausses et délirantes. Mise en œuvre par le pays qui apparaissait à beaucoup comme un modèle de civilisation, elle conserve encore aujourd’hui, en dépit des nombreuses études historiques, un noyau criminel absurde, irréductible à toute tentative d’explication, voire de dénomination.
Dans notre culture dominée par le
monothéisme, le problème du mal, dont la
Shoah est une expression extrême, est
d’abord théologique.
Comment résoudre la contradiction entre
l’idée d'un Dieu bon, omniscient (il sait
et prévoit tout), omnipotent (sa puissance
n’a pas de limites) et le constat du mal
omniprésent dans le monde ?
Nier l’existence de Dieu (athéisme) est
une façon de résoudre cette
contradiction. Une autre manière consiste
à dire que si Dieu existe, il n’est pas
bon (mais méchant ou indifférent), ou
n’est pas omniscient (il n’avait pas tout
prévu), ou n’est pas omnipotent (il
n’a pas pu faire mieux). Dans ces deux cas de
figure, le mal est alors un accident qui a des causes
(naturelles ou historiques), mais qui n’a pas de
raison. Or, il s’agit souvent là
d’un scandale à nos yeux : comment
tant de souffrances pourraient-elles n’avoir
aucune raison, aucune signification en dehors de celle
qu’elle a pour la victime ?
La tradition philosophique occidentale propose donc d’autres solutions au problème du mal. Il s’agit de sauver l’idée de Dieu, mais aussi de donner un sens aux souffrances des hommes. Ce n’est pas Dieu qu’il faudrait blâmer, mais la nature pécheresse de l’homme. La liberté et la tentation de faire le mal sont aussi ce qui rend la bonne action louable. L’homme n’aurait aucun mérite à être bon si Dieu l’avait programmé pour l’être.
Du côté de la nature, là encore, Dieu ne doit pas être accusé. Malebranche, religieux et philosophe, avance la thèse que Dieu est un souverain qui ne règne pas par décrets particuliers pour chaque événement naturel. Dieu a plus sagement établi des lois naturelles générales dont l’application particulière n’est qu’une conséquence mécanique.
Dieu nous a donné la terre où faire pousser des plantes. Il est donc bon qu’il pleuve pour nourrir nos plantations. Mais qu’il pleuve ou non à tel ou tel endroit n‘est pas une volonté particulière de Dieu : si une sécheresse produit une famine, il ne l’a pas voulu expressément.
Leibniz a condensé toutes ces réflexions en une formule célèbre qui explique que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles. Il n’a pas voulu le mal, mais il l’a permis, tout comme le peintre met de l’ombre au tableau afin de mettre en valeur certaines figures par le contraste que cela produit. Tout mal est alors relatif à un bien.
La Shoah donne de bonnes raisons de penser que
l’ombre a finalement englouti le tableau. Certains
maux sont absolus, et penser qu’ils peuvent
être des moyens pour réaliser de plus grands
biens est une erreur et une faute. Après
Auschwitz, comme l’écrit Hans Jonas,
l'idée « d’un Dieu qui pour un
temps s’est dépouillé de pouvoir
d’intervention dans le cours physique des choses de
ce monde » s’impose. Il est alors
tentant d’abandonner ce cadre théologique
qui nous laisse ni explication ni consolation.
De nombreuses explications historiques, sociologiques,
psychologiques ou philosophiques ont été
proposées pour comprendre les crimes nazis.
Comment une personne a priori normale peut-elle finir par
croire accomplir un acte héroïque en
massacrant des femmes, des enfants et des vieillards sans
défense ?
Dans son livre Soumission à
l’autorité, Stanley Milgram,
psychosociologue, présente sa série
d’expériences célèbres
où il est demandé, en variant les
circonstances, à des personnes, les
« moniteurs »,
d’électrocuter jusqu’à un seuil
potentiellement mortel un volontaire quand il
répond mal à une question. Les moniteurs
croient mener une expérience sur le rapport de
l’apprentissage et de la douleur, alors qu’en
réalité, c’est leur rapport à
l’autorité qui est étudié.
Milgram veut comprendre par quels mécanismes une
personne confrontée à un conflit entre la
morale, « il est mal de faire
souffrir », et l’autorité,
« électrocutez-le ! »,
peut s’opposer ou se soumettre à celle-ci.
Une chose de ces analyses complexes et nuancées
est à retenir : les hommes ne sont pas
naturellement des bourreaux. Ils peuvent le devenir sous
la pression d’institutions, d’une
autorité légitime, avec l’illusion de
ne faire qu’obéir aux ordres et aussi
parfois du fait d’un certain manque de culture
générale. La barbarie n’est donc
souvent que le résultat d’un projet
politique organisé. Mais même dans des
circonstances très défavorables, des gens
désobéissent.
Cela implique qu’il faut aussi arrêter de croire pouvoir expliquer les crimes nazis par la folie. Comme le montre bien l’historien Johann Chapoutot dans son livre La Révolution culturelle nazie, le nazisme repose sur une idéologie articulée autour de discours pseudo-scientifiques auxquels beaucoup de gens, qui n’étaient pas nazis, ont accordé du crédit. La croyance dans la supériorité de la race blanche et l’antisémitisme étaient, par exemple, très répandus. À cet égard, la difficulté à comprendre le nazisme pourrait être un signe positif : leur idéologie nous serait devenue radicalement étrangère.
Toutefois, comme le génocide commis contre les Tutsis par les Hutus, au Rwanda, en 1994, le rappelle, il est peut-être toujours trop tôt pour espérer avoir laissé la barbarie derrière nous.
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