La religion est-elle nécessaire à la moralité humaine ?- Terminale- Philosophie
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Savoir si la religion est nécessaire à la moralité humaine
- La religion, en tant que doctrine transcendante, inculque les valeurs morales aux hommes.
- L'époque des Lumières, à travers l'humanisme, réfute cette idée en la renversant : c'est l'homme qui établit les règles morales.
- L'homme, ainsi affranchi de Dieu, doit créer ses propres règles morales et les rendre universelles.
La religion demeure un terme général qui
renvoie à la croyance en un dieu ou à plusieurs
dieux. Mais que peut-il y avoir de commun entre les trois
religions monothéistes (l’islam, le
judaïsme et le christianisme) d’une part, et les
religions polythéistes d’autre part (au
sein desquelles il faudrait distinguer le bouddhisme indien,
chinois, tibétain ou japonais) ?
On doit donc assimiler la « religion »
au phénomène religieux lui-même,
et non pas au
« judéo-christianisme » auquel
nous pensons spontanément lorsqu’on
évoque le terme de « religion ».
La question se pose donc de la façon suivante :
quelles conditions doivent être remplies pour que
l’on puisse parler de religion ou de
phénomène religieux ?
Les religions proposent une interprétation du
monde qui rend celui-ci compréhensible. Mais elles
structurent également la société en
rendant possible la cohabitation des hommes entre eux,
par l’intermédiaire d’une même
croyance (la « religion » a pour
origine le terme latin religare, qui signifie
« relier »). Les individus d’une
société donnée ont en commun, par
conséquent, une même croyance qui les lie. Les
valeurs que la religion propose sont des valeurs
morales qui fondent l’existence même de cette
religion. À l’origine de toute religion, se sont
donc établies certaines règles
éthiques précises. Historiquement, la
moralité a toujours été
« religieuse ». Mais doit-on pour
autant dire que la moralité humaine est liée
à la religion ?
La philosophie s’est opposée à la
religion (à la théologie), quand elle
prétendait que l’homme, grâce à
sa raison, pouvait établir une moralité
sans le soutien de la foi. Autrement dit, l’homme
n’aurait pas besoin du secours de la foi pour
savoir ce qui est bien ou ce qui est mal, pour
établir une distinction entre les pensées
et les actions bonnes, et les pensées et les
actions mauvaises.
Mais pour un croyant, il reste qu’il ne peut
exister de morale « laïque »,
c’est-à-dire de principes moraux affranchis
des principes religieux. Pour le dire en d’autres
termes, Dieu apporte une transcendance
– définie comme ce qui est
supérieur à l’homme –
à laquelle, par définition, l’homme
ne peut prétendre. Seul Dieu sait ce que
représente des valeurs telles que le bien absolu,
le juste absolu, l’infini,
l’éternité,
l’immortalité. Dieu est
extérieur au monde.
C’est pourquoi la philosophie de Spinoza, par
exemple, au XVIIe siècle, a paru
subversive, aux yeux de la théologie officielle.
En effet, Spinoza concevait Dieu comme intérieur
au monde (Deus sive natura :
« Dieu, c’est-à-dire la
Nature »). C’est en ce sens encore que
la doctrine de Spinoza est qualifiée de
« doctrine de
l’immanence ». En affirmant que nous
ne désirons pas les choses bonnes, mais que les
choses sont qualifiées de
« bonnes » parce que nous les
désirons, Spinoza inverse les valeurs auxquelles
la religion classique avait accoutumé les hommes.
Il paraissait ainsi « immoral » aux
yeux de la plupart des juifs et des chrétiens.
Nietzsche, au XIXe siècle, va
s’inspirer de cette philosophie (qu’il
découvre toutefois assez tardivement, en 1881) en
tentant de fonder des principes indépendamment de
toute référence aux valeurs transcendantes
(le Bien, le Mal, le Bon, le Vrai, le Juste…),
qu’il s’attachera à
détruire.
Les valeurs morales, ou la moralité, ont
donc été exclusivement apportées par
la religion, jusqu’à l’époque
moderne. Certaines religions, fondamentalistes ou
intégristes, prétendent toujours être
les uniques investigatrices de ces valeurs, et contestent
la prétention des sociétés
laïques à pouvoir les fournir. En outre, les
expressions de « crises des
valeurs » ou de « perte des
repères », très employées
aujourd’hui, laissent entendre que la disparition
de la religion, ou la diminution évidente de leur
influence dans les sociétés occidentales, a
également coïncidé avec une perte de
la moralité.
L’amor dei (l’amour de Dieu)
équivalait, par exemple, au timor dei (la
crainte de Dieu) : aimer Dieu c’était
le craindre, le craindre c’était
l’aimer, et la crainte entraînait
l’obéissance aux préceptes moraux que
Dieu avait établies. L’obéissance est
souvent synonyme de contrainte : ce
n’est pas toujours spontanément que nous
sommes généreux, respectueux ou loyaux, ou
encore que nous nous efforçons de ne pas mentir.
Mais a-t-on besoin de se référer à
un dieu pour savoir que tuer un autre homme, par exemple,
est « mal », et
qu’indépendamment de la punition qui peut en
résulter pour celui qui commet un meurtre, nous
devons nous interdire de le faire, quelque soient nos
motifs ?
C’est parce qu’elles étaient
convaincues que la moralité pouvait être
établie par les hommes que les
sociétés laïques se sont
progressivement constituées. Cela coïncide
évidemment avec un renoncement à la
religion, un abandon de la croyance. Tout s’est
passé comme si l’homme avait eu besoin de se
soustraire à l’autorité de Dieu, pour
devenir véritablement humain. Les philosophies de
la liberté passent par la négation de Dieu,
c’est-à-dire par
l’athéisme. L’homme se
débarrasse de la sujétion ou de
l’allégeance à Dieu.
L’humanisme du XXe siècle
peut ainsi être qualifié
d’athée, même s’il a
existé un humanisme – qui se traduit
dans le courant existentialisme –
chrétien, représenté initialement
par le philosophe danois Sören Kierkegaard
(1813-1855) puis par les philosophes français
Gabriel Marcel (1889-1973) et Emmanuel Mounier
(1905-1950). L’humanisme suppose une confiance
établie en l’homme, capable
d’être libre, raisonnable et autonome. Ce
n’est plus Dieu, mais l’homme, qui est
érigé en valeur suprême.
L’homme n’a plus besoin de Dieu, et il ne le
craint plus.
À ses origines, l’humanisme, apparu en
Italie dès le XIVe siècle,
puis en France aux XVe et
XVIe siècles, luttait
déjà contre l’autorité
omnipotente de l’Église, et le
contrôle qu’elle exerçait sur tous les
esprits. Il contribue donc à affranchir
l’homme de la tutelle des représentants de
Dieu sur terre, c’est-à-dire des hommes
d’Église. Érasme, Rabelais ou
Montaigne sont les principaux représentants de ce
premier humanisme. Peu à peu, la religion sera
assimilée aux yeux des humanistes, à un
obscurantisme.
D’où l’apparition d’une
« philosophie des
Lumières », ces Lumières qui
éclairent par la raison la sombre caverne de
l’ignorance. La religion, peu à peu, si elle
est enfermée dans un dogme, devient aux yeux de la
plupart des philosophes du
XVIIIe siècle une
« superstition ». On
connaît l’expression de Voltaire, au moyen de
laquelle il avait l’habitude de terminer certaines
de ses lettres : « Écrasez
l’infâme… ». Le
31 octobre 1740, il écrivait au
président Hénault :
« Autant je déteste la basse et
infâme superstition, qui déshonore tant
d'États, autant j'adore la vertu
véritable... ». La « vertu
véritable » est bien cette morale que
l’homme peut se forger lui-même, sans le
secours d’une morale officielle, qu’elle soit
dictée par une idéologie politique ou par
la religion.
Selon Nietzsche (1844-1900), la religion fait partie de ces « idoles » que les hommes ont fabriquées pour tenter de conjurer leurs angoisses ou pour donner un sens à leur existence. Mais l’homme ne deviendra libre qu’en assumant sa condition d’homme, et en créant lui-même ses propres valeurs. Il écrit dans Aurore :
La mort de Dieu, annoncée par Zarathoustra (Ainsi parlait Zarathoustra) est également évoquée dans Le Gai savoir :
Disparaissent en même temps que Dieu les valeurs de
la morale véhiculées par la religion ;
il est nécessaire, pour comprendre la
pensée de Nietzsche, d’établir un
lien entre la mort de Dieu et l’émergence du
nihilisme. Dieu a toujours été
« un extraordinaire pourvoyeur de
sens », comme le dit encore Alain
Renaut ; si Dieu disparaît, ce
« sens » disparaît en
même temps, et il ne reste plus
« rien » (nihil
signifie : « rien ») des
valeurs et de la morale transmises par la religion. Il
n’est donc pas étonnant que les hommes,
désorientés, se tournent vers de
nouvelles formes de spiritualité.
Sartre (1905-1980) défend, dans
L’existentialisme est un humanisme (1946),
un « existentialisme
athée », après avoir
expliqué pourquoi, selon lui,
l’existentialisme chrétien,
représenté alors par Gabriel Marcel,
n’était pas tenable. Sartre déclare,
pour défendre l’existentialisme athée
dont il se réclame, que si « Dieu
n’existe pas », l’homme, lui,
existe ; et chez cet homme,
« l’existence précède
l’essence » : « cela
signifie que l’homme existe d’abord, se
rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se
définit après ». À sa
naissance, l’homme n’est rien. Il ne
deviendra homme qu’en se construisant comme
tel : « Ainsi, il n’y a pas de
nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu
pour la concevoir ».
Ainsi, « l’homme n’est rien
d’autre que ce qu’il se fait ».
Mais se faire ou se choisir, c’est
également faire et choisir, parce que
précisément l’homme est homme, pour
tous les autres hommes :
Ainsi, explique Sartre, l’homme, lorsqu’il conçoit sa propre morale, la conçoit pour les autres. La morale humaine décrite par Sartre a par conséquent une vocation universelle, à l’instar de la morale religieuse. Il ne s’agit pas, dans l’optique sartrienne, de créer une morale seulement individuelle.
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