La religion est-elle essentiellement irrationnelle ?- Terminale- Philosophie
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Savoir si la religion est essentiellement irrationnelle
- La religion est un acte de croyance : elle est en cela contraire au savoir, qui est démontrable.
- Il existe néanmoins, selon certains, une religion « naturelle » et donc rationnelle.
- La religion, et le sacré en général, permettent de nommer ce qui transcende toute explication rationnelle ou naturelle.
À la lecture de l'énoncé, deux
difficultés apparaissent : d'un côté
la relation entre la religion et la raison et de l'autre
l'essence de la religion elle-même. Ces deux aspects se
rejoignent à partir de la religion définie
comme un acte de croyance. S'il existe une différence
essentielle entre croire et savoir alors on peut en effet
considérer que la religion n'est pas de l'ordre du
savoir puisqu'elle s'éloigne nécessairement de
la possibilité d'être prouvée et
attestée par la raison. Toutefois cet
éloignement demande à être
interrogé : est-il une négation de la
raison et en ce sens, une croyance non-rationnelle ou bien
est-il un dépassement de la raison, une croyance
intervenant aux limites de la raison ?
Mais la question de l'essence de la religion est-elle
résolue en l'évaluant à partir de la
raison ou de la connaissance en général ?
L'expérience religieuse est-elle comparable à
l'expérience ordinaire ou l'expérimentation
scientifique ? In fine, on comprend que
l'énoncé présuppose une approche
rationaliste de la religion, ne serait-ce que pour l'en
éloigner alors qu'elle est peut-être tout autre.
La religion est un acte de croyance. L'adepte
d'une religion est un croyant et on pense naturellement
trouver là son essence même. Mais le
phénomène de croyance est plus large que la
foi religieuse. Elle consiste essentiellement à
donner son assentiment à une représentation
ou un état de chose en général. Or
il faut nécessairement distinguer dans la croyance
la disposition d'esprit et le contenu de la croyance. Si
croire consiste toujours à tenir pour vrai quelque
chose, ce qui est cru peut varier selon qu'il est
vérifiable ou non. Par exemple je peux croire
qu'il fera beau demain ou que
2 + 2 = 4 ; dans ces cas
là, la croyance n'est que provisoire puisque je
sais que je pourrais le vérifier : le savoir
remplacera la croyance une fois
vérification faite.
On comprend déjà en quoi la foi religieuse
s'éloigne de cet type de croyance dans la mesure
où aucun savoir n'est attendu mais qu'elle se
suffit à elle-même. Autrement dit, le
contenu de la croyance religieuse n'est pas du même
ordre que le contenu du savoir, il se situe sur un autre
plan. On peut ainsi la considérer comme
irrationnelle puisqu'elle croit en un contenu irrationnel
au sens de non vérifiable ou
d'indémontrable. En quoi consiste alors la
foi religieuse si elle n'est pas une croyance en attente
de savoir ?
Elle est bien une disposition d'esprit mais qui consiste
à affirmer ce que l'on conçoit
indépendamment de tout raisonnement. La valeur de
la croyance dépend alors uniquement de la valeur
de son affirmation et non de sa possible
vérification. Plus précisément, elle
est une confiance absolue exprimant une
conviction, elle a en commun avec le savoir
d'être certaine tout en étant d'une autre
nature.
Alain définit la croyance comme à partir
d'un genre, « la certitude sans
preuve », et la foi en est son plus haut
degré. La certitude de la foi est d'un autre ordre
que la certitude d'un théorème
mathématique car elle ne repose pas sur la raison
mais sur la volonté. La foi religieuse est
donc irrationnelle au sens où la certitude qu'elle
engendre n'est pas de l'ordre de la raison mais de
l'intimité du cœur.
Pascal distingue nettement l'ordre du cœur
et l'ordre de la raison afin de ne pas situer la foi sur
le même plan de réalité que le
raisonnement. Le cœur a ses raisons que la raison
n'explique pas. L'inexplicable est donc un
fait de la raison attestant d'une indépendance du
cœur donc de la foi.
Toutefois si l'inexplicable est du côté
d'une impuissance de la raison à tout expliquer,
ne peut-il pas engendrer aussi une forme de
religion ? La religion pourrait alors siéger
au cœur même de l'activité de la
raison.
On peut distinguer une religion de la
transcendance, impliquant le dépassement de
la réalité donnée grâce
à la foi, et une autre forme de religion, cette
fois immanente à l'exercice de la raison,
cherchant un principe d'explication général
de la nature telle que l'étudie le
scientifique.
La « religion naturelle »
est précisément une religion de la raison
engendrée par la science et la philosophie. Elle
s'oppose à la religion
révélée puisqu'elle cherche à
fonder sa croyance sur des arguments rationnels. La
religion naturelle permet de postuler une identité
entre raison et religion, elle se veut essentiellement
rationnelle.
Toutefois Hume démontre que l'irrationalité
de la religion révélée et la
rationalité de la religion naturelle se
rejoignent. Elles sont toujours motivées par un
certain type d'expérience. Les lois de la nature,
que le savant découvre, l'amènent
insensiblement à croire en l'existence d'un Dieu
ordonnateur du monde tandis que l'expérience du
désordre des affaires humaines conduit
naturellement les hommes à croire
c'est-à-dire à espérer qu'un Dieu
veille sur leur destin.
L'affinité entre ces deux types de croyance,
par-delà le fait que l'une est dite rationnelle et
l'autre irrationnelle, repose sur une essentielle
passivité de la nature humaine. La religion
est une passion, soit violente (crainte, colère,
peur), soit calme (raison) et par conséquent, elle
est un acte de croyance faute de raison suffisante.
L'homme est essentiellement
« religieux » parce que sa nature
est d'être affecté par l'expérience
et ainsi d'être d'abord passif donc croyant au sens
large. Toutefois la critique humienne, reposant sur la
notion d'expérience passive, épuise-t-elle
le sens de l'expérience religieuse ?
Pour envisager l'essence de la religion, il est
nécessaire de faire appel à une
catégorie qui néglige volontairement le
côté rationnel et spéculatif de
l'homme croyant. Elle n'est pas passive mais totalement
active puisque l'expérience religieuse
consiste essentiellement à sacraliser le
monde, à lui donner une existence tout autre que
l'existence naturelle ou humaine.
Rudolf Otto définit l'expérience religieuse
comme une expérience terrifiante parce qu'elle
fait l'épreuve de ce qui est totalement autre
chose que le monde humain ou naturel. Le
phénomène du sacré nomme cette
modalité de l'expérience religieuse. Le
sacré est irrationnel au sens où il est
« tout autre » que la raison, il
rend manifeste le surnaturel. Faire
l'épreuve d'une réalité d'un autre
ordre que naturel, c'est reconnaître
l'incapacité de l'homme à dire le
mystère du Tout Autre qui est au fondement de
toutes les religions. De manière plus
générale, le sacré nomme ce qui
transcende toute explication rationnelle ou
naturelle. Il permet de penser la religion comme
essentiellement exempte de comparaison et de ressemblance
avec autre chose.
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