La mesure de la mobilité
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Expliquer les principes de construction des tables de mobilité.
- Mesurer la mobilité sociale ascendante ou descendante ainsi que l’immobilité à partir de tables de mobilité.
- Justifier les intérêts et les limites des tables de mobilité comme instrument de mesure de la mobilité sociale.
- Les tables de mobilité mesurent l'importance de la mobilité sociale en croisant la PCS d'origine (celle du père par exemple) avec celle d'arrivée (celle du fils par exemple).
- Les tables d'origine ou de recrutement mesurent l'origine d'un groupe social et répondent à la question « d’où viennent les individus formant une PCS? ».
- Les tables de destinée mesurent la destinée d'un groupe socioprofessionnel et répondent à la question « que deviennent les fils des individus formant une PCS ? ».
- La mobilité observée mesure la mobilité sociale totale parmi une population. Cette mesure se fait à partir de tables de mobilité qui croisent la position d'un enquêté (le « fils ») avec celle de son père.
- La mobilité structurelle est due à l'évolution de la structure de la population active et aux mutations de l’emploi.
- La mobilité nette permet de mesurer « l'égalité des chances », c'est-à-dire les possibilités réelles qu'ont les individus d'évoluer dans la structure sociale indépendamment de leur milieu d'origine.
- La fluidité sociale mesure les chances relatives entre deux catégories d’accéder à une même position sociale.
- La mobilité sociale est la circulation des individus entre différentes positions de la hiérarchie sociale.
- La mobilité intergénérationnelle s’effectue lorsqu’un individu change de position sociale par rapport à l'un de ses parents.
- L'immobilité sociale se dit d’une situation de stabilité des positions sociales d'un individu.
- La mobilité verticale est un changement de position sociale ascendant ou descendant, d’un statut social à un autre à l’intérieur d’une hiérarchie sociale pour un individu ou un groupe social.
- La société est structuré en Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) ou GPS pour Groupe SocioProfessionnel, qui est une construction statistique proposée par l’Insee. Cela correspond à une répartition des actifs français dans des catégories dont les membres présentent une certaine homogénéité sociale, c'est-à-dire le même genre de comportements.
Les tables de mobilité sont construites à partir des données des enquêtes d’emploi de l’INSEE. Ces enquêtes périodiques permettent de mesurer la mobilité intergénérationnelle. Ces tables ne peuvent donc être réactualisées que sur une longue période (à court terme, les situations restent les mêmes, il faut interroger des générations différentes). Il y a une périodicité d’environ huit à dix ans.
- En colonne nous lisons l’origine (PCS ou GPS d’origine du père/de la mère).
- Les lignes nous renseignent l’actuelle position des hommes ou des femmes en fonction de leur origine.
- La diagonale donne le poids le reproduction sociale, c'est à dire l’immobilité sociale.
En marge (dernière ligne/dernière colonne) on observe :
- la structure sociale des hommes/femmes interrogé(e)s (40-59 ans) en dernière cellule de ligne ;
- la structure sociale des pères/mères en dernière de colonne.
Table de mobilité brute en 2017
GSP du fils |
GSP du père |
||||||
Agri
|
ACCE*
|
Cadres et PIS
|
PI**
|
Employé
|
Ouvrier
|
Ensemble
|
|
Agriculteur
|
200 190 | 7 839 | 7 396 | 6 601 | 4 296 | 25 870 | 252 192 |
ACCE*
|
60 570 | 265 576 | 129 856 | 116 644 | 75 780 | 315 265 | 963 691 |
Cadre et PIS
|
94 122 | 322 314 | 726 783 | 449 312 | 203 762 | 414 313 | 2 210 606 |
PI**
|
130 294 | 304 157 | 359 862 | 514 558 | 284 842 | 842 885 | 2 436 598 |
Employé
|
56 046 | 133 721 | 116 443 | 203 317 | 188 678 | 476 942 | 1 175 147 |
Ouvrier
|
276 896 | 345 863 | 135 326 | 307 231 | 296 890 | 1 856 505 | 3 214 711 |
Ensemble
|
814 118 | 1 379 470 | 1 475 667 | 1 597 663 | 1 054 249 | 3 931 781 | 10 252 946 |
Champ : Hommes âgés de 30 à 59 ans
ayant déjà exercé une
activité professionnelle
Source : INSEE, Enquête Emploi 2017
*ACCE : Artisans, Commerçants, Chefs
d’Entreprise
** PI : Professions Intermédiaires
Ainsi, on peut voir lire qu’en 2017, sur 252 192 agriculteurs, 200 190 sont fils d'agriculteurs mais qu’il y a 814 118 pères agriculteurs. Ce qui veut dire que seulement (252 192 - 200 190) 52 002 agriculteurs ne sont pas fils d’agriculteurs, et que (814 118 - 200 190) 613 928 fils d'agriculteurs ont changé de groupe socioprofessionnel.
La lecture en valeur absolue n’étant pas pertinente, les tables de mobilité brutes sont généralement transformées en tables de « destinée sociale» et en tables de « recrutement social » pour en faciliter la lecture.
Une table de destinée répond à la question : que deviennent les enfants qui avaient un père de telle ou telle catégorie sociale ? Cette table part du passé (GCS du père) et se projette dans l'avenir (GPS du fils). Il faut donc la lire en colonne. La diagonale explique l'hérédité sociale ou l’immobilité sociale. Pour calculer cette représentation en valeur relative, on divise case de la diagonale ou de la colonne/total des pères de la CSP observée.
Tableau des destinées sociales en %
GSP du fils |
GSP du père |
||||||
Agri
|
ACCE*
|
Cadres et PIS
|
PI**
|
Employé
|
Ouvrier
|
Ensemble
|
|
Agriculteur
|
24,6 | 0,6 | 0,5 | 0,4 | 0,4 | 0,7 | 2,5 |
ACCE*
|
7,5 | 19,3 | 8,8 | 7,3 | 7,2 | 8,0 | 9,4 |
Cadre et PIS
|
11,6 | 23,4 | 49,3 | 28,1 | 19,3 | 10,5 | 21,6 |
PI**
|
16,0 | 22,0 | 24,4 | 32,2 | 27,0 | 21,4 | 23,8 |
Employé
|
6,9 | 9,7 | 7,9 | 12,7 | 17,9 | 12,1 | 11,5 |
Ouvrier
|
33,5 | 25,1 | 9,2 | 19,2 | 28,2 | 47,2 | 31,4 |
Ensemble
|
100,00 | 100,00 | 100,00 | 100,00 | 100,00 | 100,00 | 100,00 |
Champ : Hommes âgés de 30 à 59 ans
ayant déjà exercé une
activité professionnelle
Source : INSEE, Enquête Emploi 2017
*ACCE : Artisans, Commerçants, Chefs
d’Entreprise
** PI : Professions Intermédiaires
Ainsi, on peut observer que :
- les agriculteurs ne représentent plus que 2,5 % de de la structure socioprofessionnelle actuelle ;
- il y a une forte immobilité pour les enfants de cadres supérieurs (49,3 % des fils de cadres sont devenus cadres) et les enfants d’ouvriers (47,2 % des fils d'ouvriers sont devenus ouvriers) ;
- il y a une plus grande mobilité pour les enfants d’agriculteurs (100 - 24,6 = 75,4 % des fils d'agriculteurs ne sont pas agriculteurs), de petits patrons (81,7 %), de professions intermédiaires (67,7 %) et d’employés (82,1 %) ;
- il y a une prédominance des trajets courts ou mobilité de proximité : 27 % des fils d’employés ont atteint une profession intermédiaire (mobilité ascendante courte) et 28,2 % sont devenus ouvriers (mobilité descendante courte).
Une table de recrutement répond à la question : quelle est l’origine sociale (recrutement) d’une catégorie sociale donnée ? Cette table part du présent (GCS du fils) pour se projeter dans le passé (GCS du père). Il faut donc la lire en ligne. La diagonale représente l'auto recrutement et les marges en bas des colonnes expriment la structure sociale en %. Pour calculer cette représentation en valeur relative on divise case de la diagonale ou de la ligne/total des fils du GSP observé.
Tableau de recrutement social en %
Ainsi, on observe que :
Tableau des destinées sociales en %
GSP du fils |
GSP du père |
||||||
Agri
|
ACCE*
|
Cadres et PIS
|
PI**
|
Employé
|
Ouvrier
|
Ensemble
|
|
Agriculteur
|
79,4 | 3,1 | 2,9 | 2,6 | 1,7 | 10,3 | 100,00 |
ACCE*
|
6,3 | 27,6 | 13,5 | 12,1 | 7,9 | 32,7 | 100,00 |
Cadre et PIS
|
4,3 | 14,6 | 32,9 | 20,3 | 9,2 | 18,7 | 100,00 |
PI**
|
5,3 | 12,5 | 14,8 | 21,1 | 11,7 | 34,6 | 100,00 |
Employé
|
4,8 | 11,4 | 9,9 | 17,3 | 16,1 | 40,6 | 100,00 |
Ouvrier
|
8,5 | 10,8 | 4,2 | 9,6 | 9,2 | 57,8 | 100,00 |
Ensemble
|
7,9 | 13,5 | 14,4 | 15,6 | 10,3 | 38,3 | 100,00 |
Champ : Hommes âgés de 30 à 59 ans
ayant déjà exercé une
activité professionnelle
Source : INSEE, Enquête Emploi 2017
*ACCE : Artisans, Commerçants, Chefs
d’Entreprise
** PI : Professions Intermédiaires
- les pères agriculteurs représentent 7,9 % de leur structure socioprofessionnelle ;
- il y a des catégories qui s’auto-recrutent : agriculteurs (79,4 % des agriculteurs sont fils d’agriculteurs) et ouvriers (57,8 % des ouvriers sont fils d’ouvriers) ;
- il y a des catégories qui recrutent à l’extérieur : seulement 16,1 % des employés sont fils d’employés, et 21 % des fils de professions intermédiaires sont dans le même GPS que leur père.
La mobilité observée est la mobilité telle qu'elle est affectée par l'évolution de la distribution socioprofessionnelle des fils par rapport à celle des pères que l’on mesure à l’aide des tables de mobilité brutes.
Pour calculer la Mobilité sociale brute, on applique la formule suivante :
Ainsi, en 2017, 63,4 % de la population a changé de GSP par rapport à son père.
La mobilité structurelle est due à l'évolution de la structure de la population active. C'est la mobilité imposée par l'évolution de la structure sociale au cours du temps. Pour la mesurer on applique la formule suivante :
Ainsi, en 2017, la mobilité sociale de 16,5 % des actifs est due à l’évolution de la structure sociale.
Structure des fils | Structure des pères | Écarts |
2,5 | 7,9 | -5,4 |
9,4 | 13,5 | -4,1 |
21,6 | 14,4 | 7,2 |
23,8 | 15,6 | 8,2 |
11,5 | 10,3 | 1,2 |
31,4 | 38,3 | -7 |
En additionnant les écarts positifs (7,2 + 8,2 +1,2) ou négatifs (5,5 + 4,1 +7), on obtient la mobilité structurelle qui s’élève à 16,5 %. Ce qui veut dire 16,5 % de la mobilité s’explique par les mutations de la structure de l’emploi.
La mobilité nette a pour objectif de faire disparaître la mobilité liée aux variations de structures de la société afin d'étudier les possibilités d'évolution des individus dans la hiérarchie sociale. Pour la calculer on applique la formule suivante :
En France en 2017, la mobilité nette s’élève donc à 63,4 - 16,5 = 46,9, ce qui signifie que 46,9 % de la population a connu une mobilité qui n’est pas due au mutations sectorielles.
C'est donc la mobilité nette qui permet de mesurer « l'égalité des chances », c'est-à-dire les possibilités réelles qu'ont les individus d'évoluer dans la structure sociale.
La mesure de la mobilité nette vise à quantifier la fluidité sociale, qui exprime la fréquence et la facilité avec laquelle les individus peuvent changer de milieu social indépendamment des changements de structures, en observant les chances de deux catégories différentes de la population d'accéder à la même position sociale, à l'aide d'un instrument nommé « odds ratio ». C'est un rapport des chances relatives d'accès aux différentes positions sociales, c'est-à-dire le rapport entre la probabilité pour un individu d'une catégorie A d'accéder à une certaine position sociale X plutôt qu'une autre position Y, et la probabilité pour un individu d'une autre catégorie B d'accéder à la même position sociale X plutôt que la position sociale Y. Plus il est proche de 1, et plus la société est fluide, car alors les individus issus de deux catégories d'origine différentes ont la même probabilité d'accéder à une certaine position sociale.
Ainsi, en 2017 en France, les chances de devenir cadre plutôt qu'ouvrier sont 24,1 fois plus élevées pour les fils de cadres que pour les fils d'ouvriers. Une société est d'autant plus fluide que la mobilité nette est élevée. Une société est au contraire rigide s'il y a peu de mobilité nette.
Les tables de mobilités permettent d’observer les évolutions de la structure sociale.
Grâce à leur construction, on observe que la mobilité observée est plutôt faible aux extrémités de la classification en GSP. Si on regarde la table de destinée, 24,6 % des fils d’agriculteurs sont devenus eux-mêmes agriculteurs (alors qu’ils ne représentent plus que 2,5 % des actifs), 47,2 % des fils d’ouvriers le sont restés et 49,3 % des fils de cadres ont la même profession que leurs pères. On peut plutôt parler de reproduction sociale pour ces catégories. Même s’il y a mobilité pour les fils d’agriculteurs ou d’ouvriers, elle s’explique d’abord par des raisons structurelles (la baisse des effectifs dans le secteur primaire et secondaire).
On observe également que la mobilité est plus importante pour les classes moyennes du secteur tertiaire. Ce sont ces catégories qui ont profité d’une certaine mobilité ascendante lors des Trente Glorieuses. On constate que le destin des fils d’employés s’écrit en partie chez les professions intermédiaires (27,9 %) ou les cadres (19,3 %). Ceux qui avaient un père de profession intermédiaire se retrouvent en partie chez les cadres (24,4 %).
Pour finir, on observe que la mobilité au sein de la catégorie artisans, commerçants et chefs d’entreprise est plus difficile à analyser. On retrouve des fils dans toutes les PCS notamment du fait de la baisse du nombre de professions indépendantes depuis la fin des Trente Glorieuses. Les tables de mobilité sont donc d’un grand intérêt dans l’analyse de la société.
Ces tables de mobilité ne sont pas des instruments parfaits car elles ne prennent en compte qu’une partie de la population, à savoir les hommes âgés de 40 à 59 ans. Cela s’explique par le fait qu’à partir de quarante ans, les trajectoires professionnelles se sont a priori stabilisées.
De plus, la mobilité sociale n’est pas mesurée pour les femmes. Les explications sont nettes : les femmes ne sont rentrées sur le marché du travail massivement qu’à partir des années 1960 et se sont concentrées dans la catégorie « employés » du fait de leur faible niveau de diplôme à l’époque. Cela n’est donc pas représentatif d’une certaine mobilité sociale vis-à-vis de leurs pères. Les futures tables de mobilité devront intégrer ce paramètre néanmoins.
Ensuite, les actifs concernés sont des hommes français. Les étrangers sont exclus du fait de la structure socioprofessionnelle différente dans leur pays d’origine (pour eux ou pour leurs pères à cause d’un niveau de développement différent notamment).
Enfin, les générations interrogées sont en décalage avec la situation actuelle du marché du travail. Au mieux, les hommes âgés de 40 ans en 2017 sont entrés dans la vie active dans les années 1990 et ceux de 59 ans dans les années 1970. La mobilité observée est donc en grande partie encore celle de la fin des Trente Glorieuses et ne représentent pas des tendances récentes (la montée de la précarité par exemple qui fragilise les trajectoires sociales).
En conclusion, les tables de mobilité sont un outil indispensable pour le sociologue et pour toute analyse de l’évolution de la société en mesurant l’évolution de la structure sociale mais aussi les chances de pouvoir accéder à une position dans l’espace social.
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