La cité industrielle de Tony Garnier
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Malgré un premier refus en 1901, il put joindre son projet, constitué de plusieurs centaines de planches, en annexe de son travail de troisième année. Ce dernier, grâce auquel Garnier obtint le premier prix, consistait en une reconstitution de la cité antique de Tusculum dans son entier (l'usage était alors à la reconstitution d'un seul édifice). Les planches de la cité industrielle furent finalement exposées à Paris et à Rome en 1904.
A l'examen des plans de sa cité industrielle, il apparaît que Tony Garnier a fait preuve d'une étonnante lucidité face aux enjeux urbanistiques contemporains, sachant qu'il les a conçus dans l'isolement de la Villa Médicis, apparemment bien loin des bouleversements urbains, des échanges d'idées et des jeux d'influences qui avaient cours au même moment à Paris ou ailleurs. Qu'il ait éventuellement pu prendre connaissance de projets contemporains comme celui de Soria y Mata n'enlève rien au fait que sa cité formait un ensemble aussi cohérent qu'original.
Garnier avait donc choisi pour sa cité un emplacement adéquat, pour ainsi dire idéal, présentant le projet comme un cas d'ordre général, auquel toutes les applications étaient possibles. L'usine principale devait être construite dans la plaine, en pleine nature, tandis que la ville proprement dite était bâtie en surplomb, sur un plateau.
Il adopta donc une stricte répartition entre zone industrielle, zone résidentielle, zone commerciale, selon une pratique (également appelée zonage) préconisée par les premiers socialistes et largement appliquée de nos jours ; ces zones seraient reliées entre elles par le tramway.
Le tissu urbain embrassait aussi un quartier scolaire (écoles mixtes, écoles secondaires, vouées à l'enseignement technique ou artistique), des centres sociaux, un centre d'héliothérapie et un grand stade.
Sa cité industrielle étant par nature destinée aux ouvriers, Garnier avait également prévu une Bourse du travail, des centres de réunions pour les syndicats et un hôtel des Invalides du travail.
En revanche, il n'intégra à son projet ni caserne, ni poste de police, ni tribunal, ni prison, ni église, ce qui fut interprété comme une provocation.
Le seul but de Garnier était d'édifier une cité adaptée à la société socialiste idéale qu'il appelait de tous ses vœux. Il posa d'ailleurs comme préalable à toute fondation l'abolition de la propriété privée, sans laquelle rien n'était possible. Sur le bâtiment central de la cité devaient être inscrits des extraits de Travail, le livre d'Emile Zola paru en 1901.
Outre la répartition en zones distinctes qui dès lors pouvaient se développer indépendamment les unes des autres, il adopta le principe d'une ville construite en longueur (6000 mètres sur 600) et desservie sur son axe principal par un tramway, conception pouvant s'apparenter à la ville linéaire de Soria y Mata mais qui s'en distinguait par le plan en damier des premiers utopistes.
La ville n'était pas coupée de l'extérieur, puisque le tramway permettait d'accéder aux fermes modèles de la périphérie, tandis que le chemin de fer partait d'une gare centrale souterraine, desservait l'usine et reliait la nouvelle cité à une ville ancienne.
Une autoroute express et une piste d'essai pour avions étaient également prévues tandis qu'une séparation nette était faite entre les voies de circulation motorisée et les chemins piétonniers.
Les espaces verts unifiaient le tissu urbain et
servaient de lien organique entre tous les
éléments de la cité : les
maisons individuelles ou collectives étaient
toujours ouvertes sur un plan dégagé,
aéré et lumineux, rompant ainsi avec le
schéma traditionnel de l'ouverture sur rue ou sur
cour intérieure.
Garnier institua aussi l'orientation des chambres
à coucher au sud, l'installation de chauffages
électriques collectifs, le contrôle
thermique, etc.
Mais l'apport fondamental et décisif de Tony
Garnier aurait été une innovation
à la fois technique et
esthétique : le recours
systématique, pour tous ses édifices, au
béton armé ; l'adoption d'un
style épuré,
équilibré, justement autorisé
par la souplesse d'utilisation du béton
armé.
Cela se traduisit par tout un ensemble de principes
architecturaux inédits qui, du
toit–terrasse aux fenêtres disposées
en lignes continues, des brise–soleil au plan de
verre, de la fenêtre horizontale à l'usage
des pilotis, anticipaient de près de vingt ans sur
« le style international ».
Tony Garnier rêva d'une cité socialiste idéale, fondée sur l'industrie et pleinement autonome.
Les lignes directrices de son projet synthétisaient les utopies précédentes et annonçaient la plupart des dispositions urbanistiques et architecturales adoptées au 20e siècle : plan en damier, répartition entre zone industrielle et quartier résidentiel, espaces dégagés et paysagés faisant le lien entre les bâtiments, aménagement des transports en commun, création d'une architecture épurée et libérée de la tradition grâce au béton armé.
Lorsqu'il revint de la villa Médicis, Tony Garnier s'installa à Lyon, dont le maire Edouard Herriot fut enthousiasmé par la cité industrielle. Ce dernier le nomma architecte en chef de la ville de Lyon, ce qui lui donna l'occasion d'appliquer certaines de ses idées, en particulier lorsqu'il réalisa l'ensemble de logements du quartier des Etats–Unis (1928–1935), qui était alors un des plus importants chantiers au monde, dans lequel il put réutiliser certains préceptes de sa cité industrielle : juste répartition entre habitations et équipements collectifs, séparation assurée par les espaces verts. Cependant, malgré ses talents visionnaires et la grande influence qu'eurent ses idées, notamment sur Le Corbusier, il ne parvint jamais à retrouver dans la pratique le génie de ses dessins.
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