L'opposition entre patriciens et plébéiens
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Dans la Rome royale, les patriciens constituent une véritable aristocratie, qui tend à se renforcer dans les domaines politique, religieux et militaire : elle a fait valoir au conseil fédéral un droit à l'hérédité, elle cumule les sacerdoces religieux (comme les Flamines majeurs) et encadre l'armée. La Rome royale a ainsi vu naître une noblesse héréditaire, qui ne se désigne plus seulement par le terme de patres, mais aussi par celui de patricii, c'est-à-dire « descendants de patres ». Mais cette noblesse prend en horreur la royauté étrusque, qui s'est construite au-dessus d'elle. Elle va précipiter l'avènement de la République, prenant une part active à la révolution de 509 av. J.-C. qui chasse le dernier des Tarquins.
La noblesse des patriciens met sur pied la constitution républicaine des origines ; c'est un modèle parfait d'oligarchie (type de gouvernement où le pouvoir est aux mains d'un petit nombre de personnes). Le patriciat fait du consulat la source de son pouvoir politique et, sur cette base, devient de plus en plus fermé sur lui-même. On assiste véritablement à la création d'un patriciat républicain qui restreint toujours plus l'accès au consulat, organe majeur du pouvoir politique : nous savons d'après les annales qu'à partir de 433 av. J.-C., tous les consuls sont des descendants directs d'anciens consuls. Les membres des autres magistratures peu à peu créées provenaient, dans leur écrasante majorité, du même cercle restreint. Le pouvoir (l'imperium) consulaire se dote même d'une légitimité religieuse à travers une cérémonie d'investiture placée sous les auspices de Jupiter.
Les patriciens, comme à l'époque royale, sont à la tête des principaux sacerdoces et, naturellement, possèdent la grande majorité des richesses.
Pour l'époque royale, on évoque les descendants des peuples vaincus, des individus arrivés plus tardivement sur le sol romain... Cette définition manque de pertinence, ne serait-ce que parce qu'elle regroupe sous un même terme des catégories bien différentes : hommes libres pauvres ou riches, clients, affranchis, esclaves, urbains et ruraux, etc.
Il semble plus intéressant de considérer que la plèbe, qui se définit alors comme une force politique et est constituée de la masse des citoyens, naît en 494 av. J.-C. Ses chefs sont généralement des riches, des «notables » qui ont, avec la fermeture progressive du consulat, perdu tout espoir d'accéder un jour à des fonctions au sein des institutions républicaines. La masse, qui n'a rien gagné à l'avènement de la République, les soutient activement. On trouve même parmi ces révoltés quelques patriciens qui prennent la défense des aspirations plébéiennes, à l'exemple de Spurius Cassius, consul en 493 av. J.-C. ! La plèbe se définit alors par la fraction de la Cité, toutes classes confondues, qui a combattu l'organisation patricienne de la Cité.
Les causes politiques sont évidentes, produit d'une frustration et, peut-être, d'un espoir déçu après la chute de la monarchie. Mais il faut sans doute ajouter aux déceptions les espoirs que fait naître le modèle athénien contemporain : Clisthène, brisant la domination aristocratique, répartit tous les citoyens en dix tribus qui mêlent hommes de toutes origines et de toutes conditions sociales. Toutes les institutions sont divisées en dix sections qui font intervenir dans la vie publique les individus issus des tribus.
Par ailleurs, les difficultés économiques s'accumulent dans les années qui précèdent, touchant gravement une frange importante de la population. La chute de la monarchie a été suivie d'un ralentissement des constructions et des échanges commerciaux, les paysans sont touchés par plusieurs années de mauvaises récoltes et par la confiscation de terres publiques par l'aristocratie foncière. Surtout, les guerres éloignent les cultivateurs de leurs terres, voire ravagent ces dernières. Nombreux sont, à cette époque, les hommes qui deviennent esclaves pour cause de dettes (nexi).
La situation est bien entendu dramatique pour les patriciens, puisque les plébéiens jouent un rôle économique central, sans parler du danger qu'il y a pour Rome à ne plus avoir d'armée.
La plèbe rassemblée se donne une constitution et ne regagne la Ville qu'une fois obtenue la création des concilia plebis (assemblées de la plèbe) qui élit les deux premiers tribuns de la plèbe (tribuni plebis) ; par leur droit de veto (intercessio), ils peuvent s'opposer à toute décision jugée nuisible pour les plébéiens.
À partir de 493 av. J.-C. : Le tribunat de la plèbe se renforce. La plèbe introduit pour leur élection deux principes d'importance : l'élection et la collégialité. De deux à l'origine, ses élus passent à quatre en 471 av. J.-C., puis à dix. Certes, le pouvoir donné aux tribuns ne vise pas le commandement, mais, pour sa mission de défense de la plèbe, il est très étendu. Par son intercessio, un tribun peut suspendre la décision d'un consul de convoquer une assemblée, de faire voter une loi, de réunir le Sénat... Les tribuns sont inviolables, c'est-à-dire sacrés : toute atteinte à leur personne, à leur autorité et, par extension, aux intérêts de la plèbe, voue le coupable aux divinités infernales. En 449 av. J.-C., le patriciat lui-même doit reconnaître cet extraordinaire pouvoir. Manifestation de l'aspect religieux du pouvoir plébéien, un temple fut construit sur l'Aventin qui, à la triade Capitoline (Jupiter, Junon, Minerve) répond par une triade plébéienne : Cérès, Liber et Libera.
450 av. J.-C. : Les plébéiens obtiennent la mise en route d'un processus qu'ils réclamaient depuis longtemps : la mise par écrit des lois, qui marque la fin de la connaissance exclusive du droit ainsi que celle d'un certain arbitraire. Une commission de dix hommes est chargée de fixer par écrit le droit coutumier. Pendant cette entreprise, qui aboutit à la rédaction d'un monument législatif fondamental, présenté sous la forme de douze tables de bronze, consuls et tribuns de la plèbe sont suspendus. Les XII tables comprennent un certain nombre de mesures qui affaiblissent la domination patricienne ; elles ont par exemple enlevé aux consuls le droit de prononcer la mort au terme d'un jugement. Le patriciat, en revanche, obtient la pérennisation de l'accès au consulat, ainsi que l'interdiction des mariages entre patriciens et plébéiens.
449 av. J.-C. : Trois lois, appelées Valeriae Horatiae, du nom des deux consuls qui les firent voter, consacrent officiellement les conquêtes de la plèbe :
• L'inviolabilité des tribuns devient un fait légal.
• Une autorité officielle est reconnue aux plébiscites (décision des consilia plebis).
• Le droit d'intercessio (voir plus haut) des tribuns est lui aussi officiellement reconnu.
367-366 av. J.-C. : Après d'autres coups de force (deux tribuns de la plèbe bloquent les institutions pendant cinq ans), l'élément central de l'édifice patricien « saute » : la plèbe obtient l'accès au consulat. C'est la mesure principale de ce que l'on nomme le compromis licino-sextien, du nom, cette fois, des deux tribuns de la plèbe en exercice. Ce plébiscite aboutit en outre à deux mesures sociales à destination des petits et moyens possédants : la remise des dettes et la fixation d'une limite à l'étendue des propriétés particulières.
Dans les années qui suivirent ces avancées décisives, les patriciens tentèrent d'amoindrir le pouvoir des consuls en déléguant certaines de leurs prérogatives à des magistratures nouvelles accessibles aux seuls patriciens. Mais le mouvement était imprimé et, les unes après les autres, ces magistratures durent s'ouvrir aux plébéiens.
Une réserve de taille doit cependant être émise quant à ce qu'on pourrait prendre pour une démocratisation des institutions : seuls les plébéiens riches pouvaient, dans les faits, être candidats à des magistratures, dans la mesure où les campagnes électorales étaient coûteuses, et où ces fonctions n'étaient pas rémunérées.
Les luttes acharnées qui opposèrent patriciens et plébéiens durant les premiers siècles de la République ont donné à la Constitution de la République romaine son originalité : c'est une constitution mixte, qui partage le pouvoir entre l'oligarchie patricienne et l'oligarchie (non la masse, faute d'argent) plébéienne.
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