L'Homme et l'animal : notions clés
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Définir les notions essentielles qui différencient à nos yeux les êtres humains des animaux et montrer les problèmes ainsi posés.
- Les récits fondateurs des grandes religions monothéistes constituent l’une des sources de l’anthropocentrisme : la croyance que l’être humain est au centre de l’univers et que tout a été créé pour son usage.
- En distinguant l’esprit (défini comme parfait) et la matière (définie comme imparfaite), nous avons établi une hiérarchie artificielle entre les êtres humains (en qui se conjuguent esprit et matière) et les animaux.
- L’être humain échapperait partiellement aux lois de la nature grâce à la culture.
- Les théories de Darwin et de ses successeurs rappellent cependant que l’être humain reste un animal comme les autres, soumis aux lois du vivant.
Au début de la Bible, dans la Genèse, le statut de l’Homme est exceptionnel, comparé aux autres créatures : il est fait à la ressemblance de Dieu et toutes les bêtes du monde lui sont soumises. Dieu pourra ainsi dire à Noé : « je vous ai donné toute chair à manger au même titre que l’herbe verte ». Ces récits mythiques sont une des sources importantes de l’anthropocentrisme qui caractérise les cultures marquées par les religions monothéistes les plus connues (judaïsme, christianisme, islam). L’anthropocentrisme désigne la croyance que l’être humain est le centre de l’univers et que tout est ordonné autour de lui pour son usage. Cette croyance s’accompagne souvent d’anthropomorphisme : la tendance à projeter des comportements, des sentiments et des formes humaines sur des êtres différents de nous (animaux, dieux, objets). Tout cela présuppose la croyance en une supériorité essentielle de l’être humain sur les animaux.
Dans notre culture, cette croyance est imprégnée de représentations religieuses monothéistes. Dieu serait un pur esprit immatériel, omnipotent, omniscient et bon. Son Verbe aurait créé le monde à partir de rien et bien que ce monde soit bon, il n’est pas parfait. Il est matériel et comme toute matière, il peut changer et disparaitre. Ces caractéristiques sont la marque indélébile de son imperfection : ce qui est parfait (Dieu) ne change pas, car tout changement correspondrait nécessairement à la correction ou l’apparition d’une imperfection qui est, par définition, impossible chez un être parfait. La distinction du spirituel et du matériel correspond ainsi à une hiérarchie.
Or, dans cette hiérarchie, l’être humain a une place nécessairement supérieure à celle de l’animal. C’est par l’esprit, absent chez les animaux et présent en nous, que se manifeste la ressemblance à Dieu. Dans cette vision du monde, nous ne sommes pas seulement des corps matériels promis à la destruction. Nous possédons un esprit immortel, qui nous distingue radicalement des animaux et qui justifierait donc notre domination sur eux. Un exemple célèbre de cette conception du monde se trouve dans les théories du philosophe français René Descartes (1596-1650). En effet, il affirme que les animaux sont de pures machines dépourvues d’esprit et que, grâce la connaissance scientifique, l’homme pourra se rendre « comme maitre et possesseur de la nature » (« comme » amoindrit cette prétention, car Dieu le seul véritable maitre de la nature).
Le mot « nature » nous renvoie spontanément à la vie à la campagne, là où on trouve des plantes et des animaux. Par extension, la nature peut être définie comme l’ensemble des choses qui ne sont pas produites par l’Homme. Les minéraux, les végétaux et les animaux appartiennent à cet ensemble, au même titre que le soleil ou les atomes. Or de ce point de vue, l’Homme lui-même n’est pas seulement un être naturel. Dans la mesure où les philosophes définissent, depuis le XVIIe siècle, la nature comme l’ensemble des lois qui expliquent l’ordre des choses et qui font l’objet des sciences naturelles (physique, chimie, biologie), nous avons donc tendance à nous croire au moins partiellement affranchis de ces lois.
Cette liberté humaine se manifeste dans la culture. Le sens courant aujourd’hui de ce mot renvoie soit aux connaissances générales d’un individu, soit aux domaines artistiques ou savants de notre vie sociale. Mais la culture, en sociologie, désigne plus largement un ensemble complexe incluant des connaissances, des techniques, des croyances (pas seulement religieuses), des traditions, des mœurs, une langue, qui caractérisent une société particulière donnée. La culture française diffère ainsi de la culture allemande ou chinoise à de nombreux égards. Contrairement aux lois universelles de la nature, les déterminations culturelles sont très souvent particulières. La loi de la gravitation universelle ne change pas selon que l’on se trouve au Pérou ou au Maroc, au contraire de la langue, des mœurs, etc. De même, le comportement d’une espèce animale donnée ne parait pas connaitre d’aussi grandes variations que ce que l’on peut observer chez les humains de cultures différentes.
Mais toutes les idées exposées jusqu’ici obscurcissent une évidence. Nous sommes aussi semblables aux autres animaux. Comme eux, nous sommes des êtres vivants, capables d’assimilation, de croissance et de reproduction. Pour beaucoup, la différence entre les autres animaux et nous n’est pas assez grande pour nous placer sans discussion au-dessus d’eux. Il est alors même possible de défendre une conception naturaliste de l’être humain qui postule que nous ne sommes pas des êtres « surnaturels ». Notre spécificité, l’originalité de l’espèce humaine comparée aux autres espèces, n’est pas extraordinaire.
Le naturalisme peut opérer dans deux directions qui se rejoignent pour prendre en tenaille l’anthropocentrisme : animaliser l’être humain, en insistant sur tout ce que nous faisons comme les autres animaux ; humaniser les animaux, en montrant à quel point ils sont proches de nous. L’œuvre de Darwin et de ses héritiers illustre bien ce double mouvement avec la théorie que tous les êtres vivants sont également le résultat d’un processus de sélection naturelle, sans que l’être humain y ait le moindre privilège sur un insecte ou un virus. L’hostilité que le darwinisme rencontre encore aujourd’hui chez les fondamentalistes religieux de toutes les confessions témoigne assez de l’imprégnation de la croyance en notre propre supériorité.
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