L'expansion coloniale : processus et débats
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Comprendre la construction et l'organisation de l'empire colonial français ainsi que les motifs de la colonisation.
- La IIIe République relance la conquête coloniale à partir des années 1880. Elle aboutit à la création d’un vaste empire colonial, pièce maîtresse de la puissance française.
- La conquête est réalisée par des explorateurs (officiers accompagnés de géographes) qui négocient des traités avec les autochtones ou, en cas de résistance, leur font la guerre.
- Les administrateurs, nommés par l’État, prennent en charge par la suite la gestion des territoires conquis.
- Cependant, la colonisation a ses détracteurs en métropole, malgré une intense propagande d’Etat colonialiste.
En 1870, la France possède l’Algérie, la Nouvelle-Calédonie et la Cochinchine. Après la défaite de la France en 1870, Jules Ferry, alors président du Conseil, voit dans la conquête coloniale un enjeu politique et économique.
Ainsi, à partir des années 1880, la IIIe République relance l'idée de conquête coloniale en Afrique et en Asie. Cette conquête s'effectue selon des modalités qui oscillent entre diplomatie et guerre, en fonction des circonstances, et dans un contexte de vive compétition entre Européens.
L’Afrique suscite la curiosité des
géographes et la convoitise des gouvernements.
La colonisation française s’y effectue
selon un axe de conquête orienté
d'Ouest en Est, des côtes atlantiques vers la
Corne de l'Afrique. Les Britanniques optent pour un
axe orienté du Nord vers le Sud (de
l’Égypte vers l’Afrique du Sud).
Ces dispositions permettent aux deux puissances de ne
pas se croiser en Afrique et d’éviter de
possibles heurts.
En Asie, la France est peu implantée. Ayant conquis Saïgon et la Cochinchine, elle veut étendre ses possessions pour de multiples raisons :
- contrer les Britanniques, très présents dans la région ;
- répondre au désir de conquêtes des militaires et commerçants installés à Saïgon ;
- soutenir les missionnaires catholiques persécutés ;
- atteindre la Chine avant les Britanniques.
Ainsi, en 1907, la France a conquis l’Indochine, constituée des provinces du Tonkin (province du Nord), du Laos, du Cambodge, de l'Annam et du Cambodge.
Ce sont d’abord des explorateurs, missionnés par le gouvernement, qui ouvrent la voie. Il s'agit de militaires de carrière expérimentés (Binger, Savorgnan De brazza, Galliéni, etc.) accompagnés de géographes. Ils découvrent et cartographient les contrées conquises en traçant leurs frontières.
Des aventuriers se lancent sur les fleuves africains ou indochinois à la recherche de passages vers l’intérieur des contrées conquises. Au nom de la France, ils négocient avec les autochtones des traités ou les leur imposent.
- En 1880, Savorgnan de Brazza signe avec le roi Makoko un traité instituant un protectorat français sur le Congo.
- En 1881, c'est la la Tunisie qui devient un protectorat français.
- En 1885, un traité d'alliance franco-malgache est signé, mais il n’empêchera pas l’invasion de Madagascar en 1895.
- En 1883, la France impose un protectorat sur l’Annam et le Tonkin (traité d’Harmand) après sa victoire à Hanoï.
La colonisation engendre tensions et risques de guerre entre Européens, notamment en Afrique.
Sur une initiative franco-allemande, une conférence internationale est organisée sur le sujet, à Berlin en 1885.
Quatorze pays européens et les États-Unis fixent les modalités et les objectifs de la conquête en Afrique. il s'agit avant tout d’assurer l’entente entre Européens et éviter les conflits sur les deux principaux fleuves (le Congo et le Niger).
Les participants s’entendent sur plusieurs points :
- assurer la liberté de naviguer et de commercer sur ces fleuves ;
- assurer la protection des missionnaires, indigènes et voyageurs ;
- apporter des améliorations aux peuples indigènes et les protéger ;
- supprimer l’esclavage et la traite des Noirs ;
- avertir les autres États de la prise de possession d’un territoire afin que d’éventuelles réclamations puissent être examinées ;
- une occupation réelle est nécessaire pour faire valoir ses droits sur un territoire.
Sous couvert d’objectifs humanitaires, la conférence justifie la colonisation et affirme la supériorité des Européens sur des Africains infantilisés.
Cependant, la conférence associe tous les Européens autour d’un projet d'expansion territoriale qui permet d'ouvrir à tous le commerce sur les fleuves Niger et Congo sans conflit. De ce point de vue, elle facilite la colonisation en Afrique, lui donnant un cadre juridique.
Cependant cet accord n’empêche pas la France de se heurter aux autres puissances en Afrique.
Le 18 septembre 1898, la guerre entre le Royaume-Uni et la France est évitée de justesse à Fachoda, au Soudan. Les Britanniques souhaitent relier leurs colonies par une ligne de chemin de fer allant du Caire, en Égypte, au Cap, en Afrique du Sud, selon un axe de conquête Nord-Sud. Quant aux Français, ils souhaitent créer un chemin de fer allant de Dakar, au Sénagal, au Djibouti, selon un axe de conquête Ouest-Est.
La ville de Fachoda, à la jonction des deux projets ferroviaires, devient un enjeu pour les deux camps. Conduites par le français Jean-Baptiste Marchand et le britannique Lord Kitchener, les deux expéditions se retrouvent face à face sur le Nil. La France, sommée de se retirer, laisse les Britanniques installer leur autorité sur tout le Nil.
La crise a un grand retentissement dans les métropoles. Elle enflamme l’opinion publique et exacerbe les nationalismes. En 1904, un accord appelé l’Entente cordiale, signé entre les deux États, permet de régler ces différends coloniaux.
Au Maroc, deux crises internationales menacent la paix européenne.
La crise de Tanger de mars 1905 est déclenchée par un discours de l'empereur allemand Guillaume II, prononcé à Tanger. Il s'oppose, dans son discours à la création d'un protectorat français au Maroc, afin d’y préserver les intérêts allemands. La conférence internationale d’Algésiras de 1906 réunit, sous la présidence des États-Unis, douze États européens et le sultan du Maroc :
- les Allemands obtiennent un droit de regard sur les affaires marocaines ;
- la France et l’Espagne gèrent la police des ports et peuvent créer une banque internationale, et enfin, se partagent le territoire : l’Espagne occupe le nord du Maroc, et la France le centre.
En 1911, la crise d’Agadir oppose la France à l’Allemagne. Elle est déclenchée par l'arrivée dans le port d’Agadir d’une canonnière allemande pour intimider la France et stopper sa lancée dans l’occupation du centre du Maroc. Le conflit est évité et la crise s’achève par un traité franco-allemand le 4 novembre 1911 :
- l'Allemagne renonce à ses prétentions sur le Maroc ;
- en échange, la France cède des territoires africains au profit du Cameroun.
En 1912, la France installe un protectorat sur tout le Maroc par le Traité de Fès, signé par le Sultan. Enfin, au Tonkin, la France combat contre la Chine. Le 9 juin 1885, la paix est conclue entre les deux États : la Chine accepte le protectorat français sur le Tonkin.
La promotion de l’empire accompagne sa conquête. Elle a pour objectif de fédérer les Français autour d’un idéal colonial et de construire une culture coloniale.
Les récits des explorateurs, retranscrits dans les publications des sociétés de géographie ou dans les journaux, constituent des romans d’aventure dont les lecteurs sont friands.
L'école est aussi un outil de propagande colonialiste. En effet, la colonisation fait partie des programmes scolaires. Les manuels légitiment la colonisation par un devoir moral : celui d’éduquer des peuples non civilisés. Illustrés par des cartes de l’empire, ils permettent aux élèves de connaître l’espace colonial.
Pendant ce temps-là, dans les colonies, l’école a pour objectif de fondre les identités locales dans l'identité française : l’apprentissage du français est imposé et les cours suivent le programme de la Métropole.
À la Sorbonne, une chaire de Géographie coloniale est créée en 1893. Enfin, les Français découvrent les colonies lors de l'Exposition universelle de mai à octobre 1889 à Paris : elle célèbre le centenaire de la Révolution française et l'étendue et la diversité de l’empire colonial.
De nombreuses cartes postales ou timbres véhiculent dans l’esprit des Français l’idée d’un empire pacifié et de la mission civilisatrice de la France. La promotion de l’empire crée des archétypes durables dont celui de la supériorité de la race blanche sur la race noire. Mais la colonisation ne fait pas l'unanimité et suscite de nombreux débats
Adversaires et partisans de la colonisation se livrent bataille sur la scène publique.
Le 18 mai 1879, Victor Hugo (1802-1885), dans un discours prononcé lors d’un banquet en l’honneur de l’abolition de l’esclavage, et en présence de Victor Schoelcher, défend la colonisation. selon lui, les Français doivent aller en Afrique pour plusieurs raisons :
- lutter contre l’esclavage et réparer le mal fait lors de la traite des noirs (« [...] leur enseigner la liberté, l'horreur de l'esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine [...] ») ;
- unir l’Europe autour d'un objectif commun pour dépasser ses divisions (« Le moment est venu de faire remarquer à l'Europe qu'elle a à côté d'elle l'Afrique. (…) Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de nations : Unissez-vous ! allez au sud. (…). » ;
- civiliser l’Afrique, qu'il considère comme un territoire vierge, livré à la violence, sans loi, sans foi (« L’Afrique n’a pas d’histoire. ») ;
- ouvrir le continent au commerce avec l’Europe (bâtir des ports, des routes, des villes) ;
- régler la question sociale en permettant aux Français les plus modestes de s’établir dans les colonies.
De nombreuses associations de soutien à la colonisation se créent (le Comité de l’Afrique française (1890), l’Union coloniale (1893), le Comité de l’Asie française (1904)) et sont réunies au sein du Parti colonial.
Il constitue un groupe parlementaire composé de 42 députés à l’Assemblée Nationale à partir de 1892. En 1902, le groupe comprend 200 députés.
Eugène Étienne, sous-secrétaire d'État aux colonies de 1889 à 1892, en est le leader. L’action du Parti colonial contribue à forger une culture coloniale et influence la politique extérieure de la IIIe République.
Le débat sur la colonisation est porté à l’Assemblée. Jules Ferry, alors député de Paris, et Georges Clemenceau, député du parti radical, se répondent dans deux discours en juillet 1885. Jules Ferry, le 28 juillet, défend la colonisation en développant des arguments économiques, moraux, géopolitiques et militaires :
- la colonisation permet d'obtenir des débouchés aux productions françaises ;
- la France a une mission civilisatrice envers le peuples colonisés, c’est une « devoir » de civiliser des races inférieures, leur apporter la technologie, la liberté ;
- les colonies permettent à la France de retrouver son rang de puissance après la défaite de 1870 ;
- les colonies représentent un atout stratégique en fournissant des soldats et des points de ravitaillement.
Georges Clémenceau, dans son discours du 30 juillet, réfute ces arguments. Pour lui, l’aventure coloniale éloigne la France des affaires continentales – notamment la question de l’Alsace-Moselle – et affaiblit militairement le pays alors que l'ennemi est l'Allemagne. De plus, elle coûte plus qu'elle ne rapporte à la France. Coloniser c’est exploiter et soumettre des peuples, les spolier de leurs terres et ressources.
Jean Jaurès, député socialiste, s’oppose lui-aussi à la colonisation qu'il juge être la conséquence du système capitaliste et qui « gaspille des richesses et des forces qui devraient être dès maintenant appliquées à l'amélioration du sort de notre peuple ». La colonisation engendre corruption et violence.
Dans les colonies, des voix s’élèvent contre le travail forcé infligé aux autochtones. À Madagascar, 51 colons français rédigent une pétition adressée au gouverneur de l'île en janvier 1900 pour demander l'arrêt de la construction de la route Tananarive-Tamatave. Ils mettent en exergue la forte mortalité des autochtones et la baisse de la main-d'œuvre préjudiciable à l’agriculture et au commerce.
En 1905, une rébellion éclate et est réprimée dans le sang par l’armée française. Malgré ces oppositions et résistances, la IIIe République poursuit son œuvre coloniale : elle administre et exploite ses colonies.
En 1914, la France devient la seconde puissance coloniale après l’Angleterre. L’empire s'étend sur trois continents (l’Asie, l’Afrique et l’Amérique). Une fois la conquête achevée, la France pacifie les territoires conquis. Elle leur attribue un statut juridique : la colonie ou le protectorat.
On distingue différentes formes de colonies :
- des colonies d’exploitation où la présence de colons français reste faible. Dans ces territoires les matières premières sont exploitées (Union indochinoise, AOF, AEF) ;
- des colonies de peuplement, comme l’Algérie, où les colons français sont très présents. L’Algérie se découpe en un ensemble départemental (avec trois départements : Oran, Alger, et Constantine) ;
- des protectorats, comme le Maroc, la Tunisie, le Laos (jusqu’en 1899) et le Cambodge jusqu’en 1887.
Dans les faits, le pouvoir réel est aux mains des Français. La France possède également quelques comptoirs commerciaux situés sur les littoraux indiens (à Pondichéry, Chandernagor et Mahé).
Les colonies sont placées sous l'autorité d’un gouverneur général qui représente l'État français. Nommés par le gouvernement français, les gouverneurs sont des officiers, ou ont suivi une formation à l'École nationale de la France d'outre-mer. Ils dépendent du Ministère des Colonies depuis 1894 ou du Ministère de l’Intérieur pour l’Algérie. Ils mettent en place la politique de pacification en réprimant les révoltes et en menant des actions sociale (scolarisation, lutte contre les épidémies, interdiction de l’esclavage, etc.).
De nombreux fonctionnaires français sont également présents pour administrer la colonie et enseigner. Les administrateurs s’appuient sur les élites locales, gagnées aux valeurs républicaines.
Les colonies sont représentées à l’Assemblée Nationale par 15 députés en 1871 (6 pour l’Algérie, 1 pour l'Inde, la Guyane et le Sénégal, 2 pour la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion). Ils sont majoritairement républicains. Mais en 1875, la représentation passe à 7 sièges (3 pour l’Algérie et 4 pour les colonies) avant d’être rétablie à neuf en 1879, puis à seize en 1881.
Le nombre de représentants varie en fonction des majorités politiques : lorsque les républicains sont majoritaires, ils étoffent la représentation des colonies.
Les colonies sont mises en valeur au profit de la métropole. Des infrastructures de transport (routes, ports, voies ferrées...) sont construites, avec la main d'œuvre autochtone, à laquelle on impose ce travail forcé.
Ces infrastructures relient les régions de production aux ports des littoraux. On exporte des matières premières agricoles (bois, sucre, vin, huile de palme, l'ivoire, l’huile d’arachide, riz) et industrielles (caoutchouc, phosphates) par les ports du Golfe de Guinée.
Les marchandises arrivent aux ports de Marseille et Bordeaux. La métropole exporte ensuite vers l’empire des produits finis (tissus, matériels agricoles, etc.).
Les échanges sont donc inégaux entre la métropole et ses colonies. La mise en valeur des territoires colonisés est financée par des prélèvements fiscaux : taxes, impôts et travail forcé. Elle peut être confiée à des investisseurs privés à qui la France octroie des concessions d’exploitation de mines ou de terres agricoles.
L’industriel Michelin (fabricant de caoutchouc manufacturé, puis de pneumatiques à partir de 1891) est propriétaire de plantations d’hévéas (une plante qui produit le latex, base du caoutchouc) en Cochinchine en 1907.
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