L'existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre
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Edition de référence : Folio Essais (Gallimard).
« L'existence précède
l'essence » : par cette formule qui,
à première vue, semble bien énigmatique,
Jean-Paul Sartre signe toute sa philosophie. C'est dans sa
conférence, L'existentialisme est un humanisme,
prononcée après la Deuxième Guerre mondiale,
que Sartre présente de façon claire et relativement
simple cette philosophie qu'il a appelée
« existentialisme » et dont il est un des
principaux initiateurs. Cette doctrine est centrée sur
l'existence humaine et tente de définir l'homme d'une
façon foncièrement différente des
philosophes classiques. L'être humain n'a pas une essence
qui serait fixe et indépassable, mais, bien au contraire,
il ne cesse de se dépasser lui-même.
En quoi consiste plus précisément l'existence
humaine pour Sartre ? Pourquoi, alors qu'il définit
l'homme d'une façon inédite, peut-il affirmer que
sa philosophie est un « humanisme » ?
- une oeuvre littéraire : à la fois romancier (La Nausée) et dramaturge (Les Mouches, Huis clos), il fut d'abord rendu célèbre par des ouvrages jugés scandaleux ;
- une oeuvre philosophique : L'Etre et le Néant, écrit en 1943, est le grand ouvrage, très technique, où Sartre expose sa philosophie ;
- une oeuvre d'intellectuel engagé : en 1945, il fonda Les Temps modernes, une revue réunissant plusieurs grands intellectuels et prenant position sur les problèmes du monde actuel.
L'existentialisme est un humanisme est le texte publié en 1946 d'une conférence prononcée en octobre 1945. Cette conférence eut à l'époque beaucoup de succès et elle permit de faire connaître les thèses de Sartre dans le grand public. Deux ans plus tôt, Sartre avait déjà exposé la doctrine de l'existentialisme dans L'Etre et le Néant, mais ce gros ouvrage était d'un abord bien difficile pour un public de non spécialistes. Au contraire, il a ici la volonté de s'adresser à tout le monde et de vulgariser sa pensée, même s'il faut pour cela la simplifier.
Un autre objectif de cette conférence est pour Sartre de répondre aux nombreuses critiques que les principes de sa philosophie innovante avaient suscitées. En effet, les Catholiques conservateurs d'une part, et les marxistes d'autre part, avaient accusé Sartre d'avoir développé une pensée dégradant l'homme : les chrétiens reprochaient à Sartre d'avoir revendiqué une philosophie athée et un monde sans Dieu, et les communistes de prôner une vision conservatrice et non engagée de l'existence.
L'ouvrage est structuré autour de la volonté de défendre l'existentialisme : après avoir exposé les principales critiques adressées à l'existentialisme, il s'agit de présenter les concepts fondamentaux de la philosophie et de revendiquer le qualificatif d'humaniste.
- p. 21-25 : exposé des principales critiques faites à l'existentialisme (marxistes et catholiques)
- p. 25-33 : définition de l'existentialisme
- p. 33-50 : caractérisation des principaux concepts de l'existentialisme (angoisse, délaissement, désespoir)
- p. 50-56 : conséquences morales de l'existentialisme
- p. 56-74 : réponses à la critique de subjectivisme
- p. 74-78 : définition de l'existentialisme comme humanisme.
L'existentialisme de Sartre est une pensée qui a pour but de décrire les structures de l'existence. Loin de se fonder sur des définitions déjà toutes faites de l'être humain, cette philosophie prétend partir d'expériences concrètes. Elle mène une réflexion sur l'existence humaine et considère que la liberté est une notion fondamentale pour penser la vie humaine. Sartre donne ainsi cette définition de l'existentialisme au début de son texte :
« une doctrine qui rend la vie humaine possible et qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine » (p. 23).
En effet, il s'agit de « partir de la subjectivité » (p. 26), c'est-à-dire de la conscience de soi et non pas de définir l'homme de façon substantielle (comme une substance, ou une essence).
L'essence est ce qui constitue la nature d'un être, ce qu'est véritablement cet être. L'existence, au contraire, désigne le fait d'être ici et maintenant dans un espace déterminé, propre à chacun.
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Affirmer que l'essence est antérieure à l'existence, c'est dire que pour faire exister un être, pour lui donner une présence effective et actuelle, il faut, avant de le fabriquer, en avoir une idée et envisager un concept de ce qu'il sera. De la même façon que l'artisan s'inspire du concept préexistant de coupe-papier pour fabriquer cet objet, Dieu, pour les philosophes classiques, est comme un « artisan supérieur » (p. 27) qui conçoit l'homme dans son entendement avant de le créer et de l'amener à l'existence.
Il y aurait donc une nature humaine abstraite : chaque existence individuelle et concrète ne serait qu'un échantillon contingent d'une essence universelle de l'Homme. -
Pour l'existentialisme, « l'existence précède l'essence » : Sartre reproche aux philosophes de n'avoir pas interrogé l'existence comme telle et d'avoir oublié l'historicité de l'homme. Il affirme en effet la nécessité d'inverser le rapport traditionnel entre essence et existence.
L'existentialisme refuse de considérer que l'homme a une essence fixe et déterminée. L'homme, à sa naissance, se caractérise d'abord par une indétermination totale (« il n'est d'abord rien », p. 29) : il n'existe pas une fois pour toutes, mais c'est lui qui a à faire ce qu'il est. Il ne naît pas tout fait, mais il reste toujours à réaliser. C'est à l'homme de se faire, de devenir lui-même, par ses décisions et ses actions et en usant de sa pleine liberté.
Il n'y a donc pas de nature humaine, pour Sartre. C'est à chacun de réaliser, dans une époque et un lieu déterminés, sa propre histoire qui ne peut être fixée d'avance. L'homme construit donc son existence à chaque instant en choisissant sa vie et en la réalisant in situ :
« l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et [...] il se définit après » (p. 29).
En d'autres termes, l'homme n'est pas créé, mais il se crée par son activité subjective.
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L'humanisme classique : c'est un mouvement littéraire et philosophique apparu à la Renaissance et qui affirme la valeur de l'homme en tant qu'homme. Au XVe et XVIe siècles, des philosophes comme Erasme, Rabelais, Montaigne, défendent ainsi la dignité de l'homme et montrent qu'il tient une place éminente au sein de l'univers.
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L'humanisme existentialiste : Sartre refuse ce sens classique de l'humanisme qu'il considère comme « absurde » (p. 75). Pour Sartre, en effet, il n'y a ni valeurs absolues ni moralité pré-existante définissant l'homme d'une façon fixe.
L'humanisme existentialiste affirme au contraire que l'homme n'a pas une essence figée, mais qu'il se fait à chaque instant : c'est dans cette liberté que réside sa dignité. Seul l'homme possède des valeurs et peut les poser. Ces valeurs ne lui sont pas soumises de l'extérieur, mais c'est lui qui les fonde.
En effet, Sartre affirme qu'« il n'y a de réalité que dans l'action » (p. 51) : ce n'est que par rapport à ses actes effectifs que l'on peut définir l'homme. Seule l'action peut réaliser l'être humain. Sartre refuse ce qu'il appelle péjorativement le « quiétisme », c'est-à-dire toute attitude qui aurait pour idéal la contemplation et l'inaction. Il privilégie en effet l'acte sur la puissance et fait de sa pensée une philosophie de l'effectivité.
La principale conséquence de cette vision du monde est l'affirmation de la totale responsabilité de l'homme : l'homme est entièrement responsable de ce qu'il est. Il doit aller jusqu'au bout de sa liberté et ne pas rejeter en dehors de lui (dans un prétendu destin par exemple) ce qui ne dépend que de son pouvoir de choix.
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L'angoisse : lorsque Sartre affirme que « l'homme est angoisse » (p. 33), il considère que c'est là un sentiment existentiel fondamental qui ne peut se réduire à un état pathologique. L'angoisse est le vertige de la liberté se découvrant elle-même. L'homme se rendant compte que sa liberté lui confère un pouvoir infini est saisi d'une angoisse qui, si elle est vécue authentiquement, le mènera à l'action responsable. Il ne doit pas se masquer dans la « mauvaise foi » cette angoisse fondamentale. Par elle, l'homme s'aperçoit qu'il est au fondement de ses propres actes et a donc le sentiment douloureux, mais aussi épanouissant, de sa propre liberté.
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Le délaissement : dramatisant les implications de l'athéisme, Sartre affirme que l'homme est nécessairement « délaissé ». Il tire ainsi les conséquences du principe athée « Dieu n'existe pas ». En effet, s'il n'y pas de dieu à l'origine de son existence, l'homme est donc seul et c'est à lui d'assumer le poids de sa responsabilité. L'homme est totalement livré à lui-même et il est l'unique instigateur de ses actes. C'est ainsi que Sartre peut affirmer que « l'homme est condamné à être libre » (p. 39) : il n'y a pas de déterminisme et l'homme ne peut refuser la liberté qui constitue son être.
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Le désespoir : Sartre montre que l'homme ne peut pas compter sur des possibles qui seraient donnés à l'avance, car le possible ne préexiste pas au réel. On ne peut pas savoir d'avance ce qui va se passer et il est donc vain de compter sur un vague espoir.
« l'homme est constamment hors de lui-même, c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme » (p. 76).
L'homme ne se définit pas par un ensemble de qualités fixes et immuables : ce qui le caractérise, ce n'est pas ce qu'il est, mais ce qu'il peut être. Par conséquent, l'homme est un projet, toujours tourné vers un avenir qu'il peut seul réaliser. C'est finalement ce que signifie le mot « ex-sistence » : être littéralement hors de soi et ne jamais coïncider ni avec soi-même, ni avec le monde.
Sartre parle donc ainsi de transcendance : l'homme est toujours au-delà (comme le signifie le préfixe latin trans-) de lui-même. Il ne cesse à chaque instant d'inventer lui-même l'existence qui seule peut le réaliser.
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