L'être humain : un être perfectible
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Comprendre la notion de « perfectibilité » de l’être humain.
- Le concept de perfectibilité évolue depuis l'Antiquité jusqu'aux Lumières.
- On distingue la perfectibilité morale de la perfectibilité scientifique et physique.
- Éducation nouvelle
- Éduquer ou instruire
Chez Platon, dans Protagoras, l’Homme est une créature oubliée lors de la répartition, par Prométhée et Épiméthée (deux frères titans), à toutes les créatures vivantes, des capacités de subvenir à leurs besoins. Par exemple, tel animal est doté de vitesse, tel autre de force, tel autre d'agilité, tel autre encore de piquants ou d’une fourrure épaisse. À la fin de cette distribution, Épiméthée se rend compte qu’il n’a rien gardé pour l’Homme : il est faible, nu et sans qualité physique remarquable.
Ce mythe tente de rendre compte de la faiblesse
native de l’être humain. Dans ce mythe,
la faiblesse de l’Homme est compensée par
Prométhée, qui vole le feu et les arts
techniques aux dieux qui les pratiquent, pour les
offrir aux êtres humains, afin qu’ils
puissent subsister. Par la suite, Zeus leur offrira le
sens de la pudeur et de la justice, pour leur permettre
de vivre en société.
Cette idée est reprise plus tard par Pic de
la Mirandole à la Renaissance, dans De la
Dignité de l'Homme. Dans ce discours,
l’être humain est présenté
comme une œuvre « indistinctement
imagée », sans place
déterminée, ni aspect propre, ni don
particulier. Pic de la Mirandole fait de cette
indétermination la plus grande dignité de
l’être humain, car il doit
définir sa propre nature par son jugement, et se
modeler lui-même, au risque de sombrer dans la
bestialité, mais aussi par décision de se
hisser jusqu’à la divinité.
On voit ainsi que ce qui est perçu dans Protagoras comme une faiblesse, est présenté par Pic de la Mirandole comme une force et une opportunité unique, qui fait de l’Homme une créature libre de se déterminer elle-même.
Cette capacité de se déterminer
soi-même devient chez Rousseau à
l’époque des Lumières ce
qu’il appelle la « perfectibilité
» de l’être humain,
caractéristique qui le rend supérieur aux
autres créatures vivantes.
Selon Rousseau (Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les
hommes, 1755), dans l’animal, la nature
s’exprime librement et le contraint
complètement. À l’inverse,
l’être humain est libre, il peut
s’autodéterminer, s’adapter, se
perfectionner, acquérir des capacités et
des connaissances. Son indétermination lui
permet de choisir sa destinée. Attention
cependant, cette indétermination peut être
source de progrès comme de malheurs.
En effet, ce qui peut être acquis peut tout aussi
bien être perdu. De plus, cette
perfectibilité nous a tirés aussi de
notre condition originaire dans laquelle
l’être humain coulait « des jours
tranquilles et innocents ».
Constatant l’aspect aussi bien positif que
négatif de cette caractéristique,
Rousseau ne nous invite pas cependant à
regretter l’état de nature qu’il
imagine être le premier état de
l’Homme, au contraire. La perfectibilité
de chaque individu a donné naissance à la
notion d’éducabilité de
l’enfant.
À l’époque des Lumières, ce concept de perfectibilité de chaque individu s’étend aussi à l’humanité entière. Dans son essai Qu’est ce que les Lumières (1784), Kant propose comme idéal pour chaque être humain de sortir de « l’immaturité intellectuelle », état dans lequel ils ne peuvent librement utiliser leur entendement sans être guidés.
À l’inverse, les philosophes des Lumières luttent contre la puissance de l’Église et contre le despotisme monarchique qui maintiennent les êtres humains dans cet état de soumission intellectuelle. Ils ont foi en un progrès politique et social. La notion d’égalité entre les êtres humains s’impose comme un idéal, chaque être devant être éduqué pour devenir un citoyen « éclairé » qui puisse se servir librement de son propre entendement.
Selon Kant, c’est la destinée de l’espèce humaine entière que de se rapprocher à chaque génération d’une société plus juste, plus égalitaire et surtout instituée librement par les citoyens et les citoyennes eux-mêmes. D’où le rôle majeur que les philosophes des Lumières attribuent à l’éducation.
La perfectibilité de l’être humain, une fois posée comme principe, nécessite cependant d’être envisagée de différentes façons. Il y a en effet plusieurs domaines dans lesquels les êtres humains peuvent se développer.
Dans la lettre que Pantagruel adresse à son fils Gargantua pour lui donner des directions concernant son éducation, Rabelais expose l’idéal humaniste de l’éducation qui consiste à ne pas seulement s’intéresser au développement intellectuel de l’enfant, mais à s’adresser à tous les différents aspects de l’être, et pour commencer, « à bien progresser en savoir et en vertu », c’est à dire moralement comme intellectuellement. L’éducation artistique est aussi valorisée, ainsi que religieuse et physique (le maniement des armes par exemple). Il insiste pour finir sur l’importance d’allier et la connaissance (la science) et la sagesse (la conscience) pour développer aussi son sens moral : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Dans quels domaines l’être humain est-il éducable ou perfectible ? Doit-on l’éduquer moralement ? À ce sujet deux visions s’opposent.
L’une est défendue par des philosophes
plutôt pessimistes (comme Hobbes par
exemple), qui prétendent que sans
éducation l’être humain serait un
être sauvage et cruel, un « loup
» sans pitié qui serait incapable de vivre
dans une société pacifiée. Cette
vision a donné naissance à toute une
tradition philosophique dans laquelle
l’être humain est présenté
comme étant par nature un être
égoïste, prêt à lutter sans
pitié pour sa survie, et à donner libre
cours à toutes ses envies.
Selon Alice Miller, cette vision pessimiste se
retrouve aussi dans une certaine méfiance envers
les enfants, qui sont perçus comme des
êtres égocentriques, avides et violents
qu’il faut à tout prix éduquer pour
les rendre aptes à la vie d’adulte en
société.
Cependant d’autres philosophes ont une vision
différente. Pour Rousseau,
l’être humain est naturellement bon
et c’est la civilisation et les institutions
qui rendent les Hommes méchants. Dans son
Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes,
Rousseau défend l’idée que
l’Homme était libre et bon avant
l’apparition de l’agriculture, des villes
et des États. Selon lui, même
l’écriture ou l’imprimerie,
perçues spontanément comme des
progrès essentiels de l’humanité,
n’ont fait qu’empirer les choses.
La pensée de Rousseau, qui proposa
lui-même un traité de pédagogie, a
beaucoup influencé le mouvement de
l’éducation nouvelle, notamment dans
le fait de prôner une intervention très
limitée dans l’éducation de
l’enfant, en suivant sa nature. Dans les
pédagogies influencées par cette
pensée, les enfants doivent subir le moins de
contraintes possible, et l’enseignant doit
davantage être un accompagnateur qu’un
maître.
Une autre façon de concevoir cette perfectibilité de l’être humain est liée à la pensée scientifique et aux progrès technologiques. Les avancées de la science donnent de plus en plus la possibilité aux êtres humains de se rendre maîtres de la nature. Les nombreuses avancées de la médecine moderne, de l’informatique, de l’intelligence artificielle, de la biologie et des neurosciences offrent la perspective d’augmenter l’être humain en tant qu’espèce. De le réparer, voire de dépasser les contraintes de l’espèce humaine pour créer, selon la pensée transhumaniste, une nouvelle espèce, libérée des contraintes liées au corps, à sa dégénérescence et sa mortalité, le corps étant perçu alors comme une « machine » susceptible d’être améliorée indéfiniment.
Dans cette perspective, l’Homme pour se perfectionner ne peut se raccrocher qu’aux progrès de la technoscience. Ce qui relègue à l’arrière-plan l'idéal politique et social des Lumières où les êtres humains prenaient collectivement en main leur destin de façon autonome.
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