L'Atalante : la cabine du père Jules
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Un brouillard épais bloque l’Atalante. Fatigué par le comportement changeant des deux jeunes mariés, le père Jules menace de partir. Il disparaît un moment pour câliner ses chats et revient prendre son repas avec Jean et Juliette. Le temps s’éclaircit alors, Jean retourne travailler avec le mousse mais laisse le père Jules finir de manger. Celui-ci reste seul avec Juliette. Il tente de l’impressionner, en lui montrant qu’il sait coudre, en lui parlant de ses mains qui ont fait beaucoup de choses, parfois très obscures. Il lui fait ainsi comprendre, les passant autour de son cou, qu’il a déjà étranglé quelqu’un, un soir, lors d’un passage en Extrême-Orient. Elle le repousse.
La mise en scène de Vigo rassemble ainsi en quelques images les éléments essentiels de la relation du père Jules et de Juliette faite de séduction, d’émerveillement, de promiscuité, de mystères et d’exotisme. Une espèce de jeu se met en place entre les deux personnages : Juliette demande au père Jules de lui servir de modèle pour l’arrondi de la jupe qu’elle est en train de coudre ; l’autre, se sentant regardé pour une fois, profite de l’occasion pour se donner en spectacle. Il se livre à diverses danses exotiques, il énumère les villes de rêve qu’il a traversées, Yokohama, Melbourne, Shanghai, Papeete, San Francisco, Singapour, etc. Il tente ainsi, par ces nombreuses évocations, d’attiser la curiosité et le désir de la paysanne à peine mariée qui n’a encore rien vu du monde et qui s’ennuie sur l’Atalante. Elle n’est pas dupe, lui demande de partir, mais il refuse comme un enfant capricieux et joueur.
C’est alors que l’Atalante arrive à Paris, la ville de toutes les promesses pour Juliette, la ville de la modernité, des spectacles et des vitrines. La jeune femme jette un coup d’œil, elle est ravie, puis va déposer du linge dans la cabine du père Jules qu’elle visite pour la première fois… La position de cette séquence dans l’ensemble du film est absolument déterminante. Elle va répondre aux attentes de Juliette qui s’ennuie manifestement depuis un bon moment, mais aussi aux évocations d’exotisme faites par le père Jules un peu avant (évocations qui ne sont encore que paroles, et qui restent donc insuffisantes) et enfin à l’arrivée de la péniche à Paris (dont la découverte semble imminente). La séquence s’impose donc de toute évidence comme la réponse à un certain nombre de promesses qui tendent à s’incarner. La cabine est le premier véritable lieu de ces incarnations.
Le lieu est particulièrement étroit. Dans le premier plan de la scène, lorsque Juliette descend seule dans la cabine, on peut encore voir derrière elle la lumière qui descend de la trappe laissée ouverte. La perspective n’est donc pas complètement obstruée, une ouverture sur l’extérieur est conservée.
Dans le plan suivant qui est une sorte de contrechamp du premier, tout a basculé : il n’y a plus la moindre ouverture, l’exiguïté du lieu est totale. Au petit rayon de lumière précédent qui laissait l’espace légèrement ouvert s’est substitué le tableau d’une femme nue qui le ferme complètement maintenant. C’est donc très clairement un simulacre, une image, un fragment d’imaginaire (l’œuvre d’art, le tableau) qui ferme l’espace réel précédent (la lumière). S’il y a fermeture et exiguïté dans la cabine, c’est donc par l’imaginaire lui-même, littéralement. Ce tableau qui représente une femme nue, allongée sur le côté, entretient avec l’érotisme et le désir un lien tout à fait évident.
Le père Jules qui descend alors dans sa cabine bénéficiera évidemment d’une telle atmosphère. Il va dresser l’inventaire des principaux objets de sa collection, suscitant ainsi la curiosité et l’intérêt de Juliette. Alors qu’il s’était contenté un peu plus tôt de mentionner les pays qu’il a eu l’occasion de traverser, il peut maintenant montrer quelques uns des objets qui composent son univers hétérogène. Ces objets éveillent les sens de Juliette, l’ouïe évidemment par l’intermédiaire du coquillage contre lequel elle pose son oreille pour y entendre le bruit de la mer (objet naturel chargé de mystères par les croyances populaires), des boites à musique ou du réveil (des choses mécaniques aussi fascinantes), mais aussi la vue grâce à tous les autres objets aussi étonnants les uns que les autres.
Le plaisir du regard est d’ailleurs accentué par la mise en scène de la découverte de la marionnette (le père Jules enlève la bâche qui cachait son « bonhomme ») et par le numéro très réussi dont Juliette est la spectatrice privilégiée. Le cadrage de la caméra qui épouse les limites du corps de la marionnette (de sa tête à sa taille, en dissimulant les jambes du père Jules) se met lui aussi au service du spectacle.
Le filmage accompagne et renforce ainsi le mystère de la cabine. Les plans sont de plus en plus serrés à la fois pour isoler tous les objets merveilleux que présente le père Jules, mais aussi pour accentuer encore l’exiguïté de la pièce qui rapproche forcément les deux personnages. Ce double mouvement d’isolement des objets et de rapprochement des corps atteint son plus haut degré d’intensité avec l’apparition de l’éventail : Juliette le déploie devant la caméra, nous laissant un très faible espace de visibilité (une très faible profondeur de champ) dans lequel les deux personnages tiennent à peine, serrés l’un contre l’autre.
Grâce à la réalisation de Vigo (cadrages, traitement de l’espace, mises en scène des corps, mouvements de caméra qui nous conduisent de mystères en mystères), la découverte des objets du père Jules se poursuit ainsi immanquablement avec une intensification de l’intimité qu’il partage avec Juliette. Le désir et l’émerveillement de la jeune femme devant ce monde inconnu ne fait d’ailleurs finalement que faire écho au propre désir que le père Jules éprouve pour elle. A deux reprises au moins, il fait allusion à ses trésors tout en la regardant : il observe sa nuque quand il lui répète qu’il ne possède « rien que des belles pièces » et la regarde encore furtivement quand il lui dit, en lui montrant l’immense l’éventail, que celui-ci a été confectionné « tout à la main ». De cette façon, Juliette, fascinée par le musée hétérogène du père Jules, en devient elle-même une pièce (« rien que des belles pièces ») qui le fascine et dont il aimerait certainement se saisir (« tout à la main »).
La cabine du père Jules exerce sur Juliette un pouvoir de séduction irrésistible. Il ne faut pas perdre de vue que la jeune femme vient d’épouser Jean et que son désir est ainsi sous le contrôle de l’ordre et de la loi (la loi du mariage, relation légitime, qui seule autorise, dans son cadre très précis, l’expression d’une sexualité qui n’est plus que « devoir conjugal »). Or Juliette est très attirée par d’autres appels, plus libres, plus désordonnés, moins raisonnables (d’où probablement la dimension surréaliste de l’œuvre de Vigo). C’est elle qui essaie de montrer à Jean que l’on peut voir dans l’eau l’image de celui qu’on aime, c’est elle qui est sensible aux charmes encore inconnus de la ville.
L’intérêt qu’elle éprouve pour la cabine du père Jules n’est donc guère étonnant. On y trouve des symboles des vanités de la chair (un petit crâne, un masque, un miroir), ce que toute pensée édifiante condamne. Ni Vigo (fils de révolutionnaire), ni Juliette ne rejettent de tels signes. La jeune femme n’est pas insensible à l’entaille qui laisse apparaître un peu de sang sur la main du père Jules (l’appel de la chair, irrépressible ici, cause un véritable désordre et la force, nouveau vampire, à sortir sa langue, presque malgré elle), elle regarde ses tatouages (sa peau), elle n’hésite pas non plus à lui brosser les cheveux, alors que les cheveux comptent parmi les éléments les plus incontournables de la séduction.
C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’intervient Jean, le mari, l’amour légitime. Il s’impose à nouveau comme représentant de l’ordre, il interdit (« Je te défends de remettre les pieds ici », « Ne me regarde pas comme ça »), il punit (il donne un coup à Juliette), le musée séduisant du père Jules n’est pour lui qu’un vulgaire « bazar » qui « empoisonne » et dont il se plaît, rempli de colère, à casser les objets…
Cela dit, Vigo n’en reste pas là. Car si Jean veut remettre de l’ordre dans le désir de Juliette, s’il s’impose pour l’empêcher de s’abandonner aux séductions de la cabine, il relance l’orientation ludique de la scène, malgré lui. Il se fend d’abord d’un jeu de mot (énervé, il balance un chat par terre en accompagnant son geste d’un « chaleté » tout à fait approprié), puis il montre une photo de femme complètement nue en demandant des explications au père Jules qui lui répond : « c’est moi quand j’étais p’tit ». Ce dernier s’éclipse d’ailleurs un bref moment et réapparaît tondu (le plan d’un tondeur pour chiens qui ramasse les cheveux entouré d’un public amusé vient expliquer la scène juste après) : il a ainsi fait raser l’objet du délit en soulignant peut-être par la même occasion qu’il sent bien qu’on le traite comme un chien… Il finit enfin son numéro en cassant une dernière assiette dans sa cabine sens dessus-dessous : « ils ont oublié ça ! ».
Cette touche d’humour qui clôt la séquence montre bien que ce n’est pas tant le père Jules qui avait séduit Juliette (le personnage incarné par Michel Simon n’a pas vraiment l’apparence ni le caractère d’un baroudeur attirant), mais bien ce qu’il représente, et ce qu’exprime parfaitement sa cabine, c’est-à-dire la diversité, l’altérité, le désordre, l’inventivité, l’inconnu, l’exotisme, tout ce que la jeune femme était venue chercher auprès de Jean dans l’Atalante, mais que celui-ci, travailleur et peu attiré par le monde, ne lui propose guère (ainsi que le signale la chanson des mariniers).
Juliette a été séduite par l’imaginaire et l’inventivité du monde du père Jules. Elle retrouvera d’ailleurs Jean, à la fin du film (grâce au père Jules), quand il aura basculé lui-même du côté de cet imaginaire, ce dont témoigne une série d’événements qui acquièrent de ce fait une valeur quasi-rituelle : Jean aura plongé dans l’eau pour y voir l’image de sa femme, il aura vécu avec elle un rapprochement mystérieux, intense et érotique, malgré leur séparation (grâce au montage parallèle qui a accompli le miracle du rapprochement des corps). Jean, ancienne figure de l’ordre et de la loi, retrouve Juliette (et un véritable désir) grâce à son imagination…
La cabine du père Jules est un musée intime de
l’hétérogène (sorte de nouveau
cabinet de curiosité ou d’exposition universelle
de soi) qui révèle le goût de Juliette pour
l’étrange, le divers et l’inconnu.
L’exiguïté du lieu
n’est plus vécue comme un enfermement, elle
devient une ouverture sur l’imaginaire
(ce que souligne très clairement la réalisation
de Vigo car si les objets occupent et saturent tout
l’espace visible, accentuant ainsi
considérablement l’impression
d’exiguïté du lieu, ils favorisent dans le
même temps la naissance du désir et
évoquent d’autres mondes, notamment
l’Extrême-Orient, susceptibles de laisser
l’esprit s’évader vers un ailleurs plein de
promesses).
C’était déjà le cas dans le
compartiment de Zéro de conduite qui
malgré son étroitesse n’a pas
empêché les deux amis de sortir de leurs poches
toutes sortes d’objets nouveaux et amusants. Ici aussi,
c’est l’inventivité qui
domine, c’est l’imagination qui
constitue le principal enjeu de la séquence,
l’imagination dont Jean (mari légitime) manque
cruellement et dont il devra faire preuve à nouveau
avant de retrouver Juliette (redevenant ainsi amant plein de
désir).
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