L'anarchisme classique
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L’absence d’État a pu être observée chez certains peuples dits « premiers », qui sont considérées, selon la formule de Pierres Clastres (ethnologue français mort en 1977), comme des « sociétés sans État ». Elles ne peuvent néanmoins être considérées comme des sociétés anarchistes, au sens où nous comprenons ce terme aujourd’hui.
Les anarchistes classiques défendent en premier lieu l’idée de liberté, laquelle justifie que l’on reconnaisse à l’individu le pouvoir suprême ; c’est en ce sens que l’anarchisme est qualifié d’« individualisme ». Valeur transcendante, la liberté sera pleinement réalisée lorsque l’État aura été détruit. Il va de soi que la volonté de supprimer l’État est directement inspirée par l’idée que tout État s’attache à détruire les libertés individuelles. L’État et les individus ont des intérêts fondamentalement opposés, selon les anarchistes classiques.
Seuls les individus sont en mesure d’apprécier, en outre, ce qui concourt à leur bonheur. Ce type d’anarchisme se rattache à la croyance selon laquelle les individus sont capables, d’eux-mêmes, d’atteindre une certaine perfection, à partir du moment où ils sont complètement autonomes ; cela signifie principalement qu’ils peuvent construire eux-mêmes leurs propres règles morales. « Pour l’État, des individus libres et autonomes sont menaçants : c’est pourquoi il cherche soit à les détruire, soit à les asservir » (George Crowder, philosophe américain contemporain, auteur de Classical anarchism, 1991 ; citation tirée du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, 1996, dans l'article intitulé « La réflexion morale dans les courants anarchistes »).
Les recettes proposées par Godwin peuvent laisser dubitatifs. Les individus de la société parfaite qu’il imagine « ne travaillent plus qu’une demi-heure par jour […] et le travail est devenu un repos agréable ». Quant au sexe, il n’est plus qu’« une vieille survivance d’un état de civilisation antérieur corrompu », montre M. Onfray : les « nouvelles relations désexualisées » sont désormais « construites sur l’amitié ou l’affection tendre ». M. Onfray voit finalement peu de bonheur ou de béatitude dans cette société désincarnée, où « la chair se voit déspiritualisée, conduite en tout par la raison pure ».
On retrouve de tels éléments (épanouissement de l’individu, prééminence de la loi morale) chez Bakounine ou Kropotkine – outre la conviction qu’ils partagent, selon laquelle l’État doit être aboli.
Proudhon disqualifie en outre la philosophie et le texte des droits de l’homme, sous le motif qu’ils impliquent, à l’instar de la démocratie, la présence de l’État. On connaît la formule de Proudhon selon laquelle « la propriété, c’est le vol ». Il s’oppose ainsi à la majorité des théoriciens de son époque, qui présentaient la propriété comme un droit naturel et sacré. Proudhon s’accorde sur ce point avec les thèses communistes de Marx, en affirmant que la richesse produite par le travail collectif des ouvriers est confisquée par les capitalistes, qui sont les « propriétaires » des outils de production. Dans cette optique, pour Proudhon, la propriété est une usurpation.
Ainsi, lorsque Proudhon énonce que « la propriété, c’est le vol », il entend par « propriété » celle que les détenteurs du capital ont confisquée. En évoluant, les deux courants se sont beaucoup plus nettement démarqués, les anarchistes dits « classiques » prônant la collectivisation des moyens de production (communisme) et les anarchistes individualistes défendant la propriété, et les règles des échanges et du marché.
Si la religion est un facteur d’oppression de l’individu (et l’humanisme est en quelque sorte de dernier avatar de l’aventure religieuse de l’homme), l’État reste son le principal ennemi. Selon Stirner, l’État n’a jamais eu qu’un but : borner, lier, subordonner l’individu, l’assujettir à une quelconque généralité. « Il ne dure aussi longtemps que l’individu n’est pas tout dans tout, il n’est que la marque évidente de l’étroitesse de mon Moi, ma limitation et ma servitude » (citation extraite de L’État, par Atila Özer, à l'article « anarchisme »). C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à lui substituer la « société d’égoïstes » que Stirner préconise.
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