Kurt Schwitters
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Par l'originalité de sa démarche artistique, il sera souvent associé au mouvement Dada qui, au même moment, s'épanouit à Berlin et Hanovre. Mais cette assimilation à Dada se fera malgré lui. Les dadaïstes eux-mêmes chercheront à se démarquer de Schwitters, qu'ils voient comme un petit-bourgeois allemand, typique et maladroit, qui se serait lancé dans l'art pour d'obscures raisons.
En effet, Schwitters ne se présente aucunement comme un révolutionnaire : il s'habille, se comporte, parle d'une manière tout à fait anodine. Pourtant, le génie est bien là, en ce sens que son art sera unique et irréductible à un quelconque courant artistique, Dada ou autre.
Concrètement, Schwitters poursuit des expérimentations de formes qu'il a entamé en peinture, expérimentations portant sur l'évocation abstraite, symbolique, de la machine et des mouvements mécaniques : dans le tableau H Abstraktion (Abstraction 31), aujourd'hui disparu, il représente des emboîtement de roues « animées » par des barres. L'animation de la toile vient de la disposition rythmée de ces formes. Il est probable que l'inspiration machiniste de Schwitters, encore proche de Dada, vienne de son activité d'alors : dessinateur industriel dans une usine.
En 1919, avec Bommbild, Schwitters réalise un dessin montrant à nouveau un emboîtement de roues, dessin dans lequel apparaissent des éléments collés, morceaux de carton et de papier à dessin soigneusement découpés, par lesquels il introduit la forme du triangle dans son oeuvre ; une flèche semble indiquer le sens giratoire. Désormais, cercles et triangles s'animeront mutuellement en imprimant au motif son rythme saccadé. Dans Bommbild se trouvent aussi des lettres, incluses pour la première fois dans l'esthétique du tableau, ici : « BOMM », encore écrites à la main, mais bientôt imprimées au tampon ou extraites de supports réels et collées, comme dans Merz, pierre angulaire de l'oeuvre de Schwitters.
Merz provient du mot kommerz, que Schwitters a extrait d'une publicité pour une banque et dont il n'a gardé que la dernière syllabe, collée dans l'angle supérieur gauche du tableau. L'utilisation du fil de fer joue également un rôle important dans l'élaboration de Merz.
Dans Merz, un treillage de fils plus ou moins tordus dessine en diagonale des triangles, des trapèzes qui créent une impression de tension. Aux fils de fer répond en haut à gauche un morceau de petit train électrique. Constituant le fond du tableau dans sa partie inférieure, des pièces de carton sont surmontés d'un fragment de grillage et d'un bandeau de métal.
Schwitters a exposé Merz avec d'autres toiles à l'exposition Der Sturm à Berlin, au début des années 20. Il désigne alors ses toiles du nom générique « tableaux MERZ ». De fil en aiguille, Schwitters fera de MERZ le nom de sa nouvelle manière de travailler. Un nom qui n'a aucun sens mais a fini par acquérir son autonomie et recèle de ce fait une dimension magique.
L'invention de MERZ permettra à Schwitters de se démarquer des autres mouvements qui ont inventé (les cubistes) ou utilisé (les futuristes italiens et les dadaïstes) le collage : « MERZ n'est pas Dada », écrit-il.
Le collage selon Schwitters n'a rien à voir avoir avec le collage selon Dada. Schwitters n'a pas de revendication politique, n'adopte pas une posture anarchiste, n'a pas l'intention de tout mettre en pièce, mais plutôt de guérir les plaies ouvertes de la société allemande d'après-guerre ; c'est justement cette attitude constructive que lui reprocheront les dadaïstes.
Car Schwitters ne prétend pas s'adresser aux artistes ou aux intellectuels éclairés, mais au peuple, en adoptant son « langage » dans sa peinture et ses collages, mais aussi dans ses poèmes dont le plus célèbre est Anna Blume (« Anna Fleur »). En récupérant des objets laissés au rebut, destinés à la poubelle, Schwitters leur rend une seconde vie ; en les intégrant au tableau, il leur redonne un sens propre qui transcende leur réalité et leur donne la valeur de fétiches.
Symboliquement, Schwitters donne une nouvelle dignité à tous les déchets, les « exclus » de la société industrielle : vieux titres de transports, numéros de vestiaire, bouts de ferraille, morceaux de verre ou de bois vermoulu, etc. Tous ces fragments sont liés entre eux, physiquement et esthétiquement, par la colle de pâte et la peinture, dont la palette, peu aguichante au premier abord (noir, bruns, ocres, verts et bleus éteints), se révèle remarquablement adaptée à la mise en oeuvre des collages.
Schwitters jouera également un rôle important dans le mouvement constructiviste à partir de 1923. Il a effectivement fréquenté l'artiste et théoricien hollandais Theo Van Doesburg, instigateur du mouvement De Stijl, auquel appartient Mondrian. Van Doesburg convainc Schwitters de la pertinence de l'art géométrique.
Dans ses oeuvres « constructivistes » (qu'il appellera Art i), Schwitters compose presque exclusivement ses collages avec des horizontales et des verticales, d'une manière de plus en plus épurée ; il produira même des oeuvres « seulement » peintes, sans collage, de style purement géométrique. Cette évolution de style touchera également le Merzbau, dont les développements seront de moins en moins hétéroclites pour finalement se ramifier en une composition blanche et pure, sans aspérité.
Le collage selon Schwitters n'est pas assimilable aux collages cubistes ou dadaïstes, même si l'artiste a fréquenté le mouvement Dada.
La démarche de Schwitters n'est effectivement ni purement formelle, ni politique : il entend juste redonner vie et fonction magique (comme des fétiches) à des débris, des fragments d'objets sortis des poubelles et assemblés dans des tableaux regroupés sous le vocable MERZ.
Il y a une part d'humanisme dans l'art de Schwitters, teinté d'un humour très particulier mais réel, animé par un élan créateur fort, bien loin des tendances autodestructrices des artistes allemands de son temps.
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