Kurosawa, Ozu, Mizoguchi, Kitano
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Le cinéma, introduit rapidement par les opérateurs Lumière, s'y développe assez vite et connaît une période féconde dans les années 1920. Le travail de certains cinéastes se fait remarquer dans le pays (Ozu, Mizoguchi, Naruse), et de grandes sociétés de production s'imposent (comparables aux majors hollywoodiennes).
Les années 1940 sont bercées par un mouvement nationaliste important, et le contrôle de la création cinématographique (censure, propagande) s'accroît considérablement. Ce nationalisme est combattu pendant (et par) l'occupation américaine : les films féodaux sont interdits pour couper le pays de son passé. C'est dans ce contexte qu'émerge l'oeuvre d'Akira Kurosawa.
Le cinéma japonais est alors inconnu hors du Japon, il devra sa notoriété à des festivals européens dans les années 1950 et à la découverte de Rashômon de Kurosawa (Lion d'or 1951 à Venise). D'autres films suivent, notamment ceux de Mizoguchi : La Vie d'Oharu, femme galante et Contes de la lune vague après la pluie (Lion d'argent 1952 et 1953). La Porte de l'enfer de Kinusaga célébré au festival de Cannes par une Palme d'or en 1954.
Les grosses sociétés de production déclinent dans les années 1960, le pays connaît alors sa nouvelle vague (Oshima, Immamura), remarquable par son audace formelle et thématique.
Les prochaines décennies voient le cinéma japonais sombrer avec une production mineure, et de plus faible qualité.
Après sa mort, Yasujirō Ozu est redécouvert dans les années 1970. Seuls quelques cinéastes de la Nouvelle Vague et Kurosawa, soutenu par des productions internationales (russe pour Dersou Ouzala en 1975, américaine pour Kagemusha en 1980, française pour Ran en 1985), parviennent à se distinguer.
Depuis les années 1990, on constate le renouveau de ce cinéma, très plébiscité en Europe et en France. Ces œuvres, souvent indépendantes et en quête de style (Shinya Tsukamoto, Kiyoshi Kurosawa, Takeshi Kitano), comptent de multiples chefs-d'œuvre.
Mizoguchi s'intéresse à la condition de la femme dans son pays à travers les époques. Ses héroïnes sont opprimées et décisives : elles dévoilent à travers leurs parcours (très souvent la prostitution : La Rue de la honte, 1956) des vérités essentielles de l'existence (vanité, ambition, cupidité). À travers elles, Mizoguchi entreprend sa propre quête, celle qui consiste à révéler quelque chose de la nature profonde de l'Humanité.
Dans cette perspective, il utilise majoritairement le plan-séquence. En limitant les ruptures du découpage et du montage, il développe son cinéma avec la plus grande objectivité. Il évite de transformer le réel par des dramatisations formelles, la seule tension doit être celle des personnages, de la situation, et non pas celles de la technique (un champ-contrechamp, un montage accéléré etc.). La caméra observe les comportements des personnages et décrit parfois, en conséquence, des mouvements très libres.
Ozu s'intéresse aussi à l'existence, à l'humanité, mais surtout aux relations entre les êtres, particulièrement dans le cadre de la cellule familiale.
Ses premiers films sont marqués par une grande liberté formelle (propre au muet avec tous les effets - fondus, gros plans, etc. - qui le caractérisent), leur expressivité plastique est incontestable (Gosses de Tokyo, 1932), mais elles ne représentent guère le style qu'il va adopter par la suite.
En effet, son œuvre s'épure grandement, avec notamment trois films : Le goût du riz au thé vert (1952), Voyage à Tokyo (1953), Le Goût du saké (1962). Les mouvements de caméra se font très rares, les films sont très découpés. Le rythme du montage et la taille des plans ne varient guère (le gros plan est catégoriquement refusé). Le champ-contrechamp occupe une place centrale (frontal la plupart du temps, à 180°), le cadre n'accepte souvent qu'un seul personnage.
Les films d'Ozu reposent donc sur une très grande sobriété formelle, mais une sobriété devenue style. De même, les histoires qu'ils racontent tiennent en quelques lignes, les péripéties sont rares, banales, quotidiennes. Les images ne sont pas fonctionnelles, elles n'obéissent pas à l'articulation d'un récit : elles gagnent ainsi une valeur propre, elles sont en ce sens d'une pureté incroyable.
Kurosawa a toujours réintroduit ces inspirations dans l'histoire du Japon (féodal en ce qui concerne Le Château de l'araignée en 1957 et Ran en 1985, adaptations du Macbeth et du Roi Lear de Shakespeare, ou plus moderne pour L'Idiot d'après Dostoïevski, en 1951). En outre, Mizoguchi a bien réalisé de son côté un film d'après Boule de suif de Maupassant. Quant à Ozu, il connaissait très bien le cinéma occidental dont il a beaucoup appris (car si le cinéma japonais a mis du temps avant de s'exporter, le pays a rapidement importé les grandes œuvres du patrimoine mondial). De plus, il faut rappeler que depuis l'ère Meiji, le Japon n'est plus replié sur lui-même (la période américaine d'immédiat après-guerre a amplifié ce phénomène).
C'est donc peut-être par goût d'un certain exotisme qu'on a dénoncé l'impureté du cinéma de Kurosawa, alors qu'il correspondait certainement à une situation historique et culturelle précise, tout à fait en mesure de la justifier.
L'œuvre d'Akira Kurosawa est double : les films féodaux se mêlent aux films plus actuels (empreints d'un profond humanisme, comme dans Barberousse en 1965 après Vivre en 1954), les fresques épiques font elles-mêmes alterner scènes d'action (assurées par un montage rapide qui se nourrit de plans aux tailles variées) et moments de sérénité (le montage est plus lent), comme dans Les Sept samouraïs, en 1954.
Le film qui a fait découvrir le cinéaste en Europe, Rashômon, est lui-même un étrange mélange réussi. La musique est une recréation du très occidental boléro de Ravel, le récit est inspiré par des nouvelles japonaises, et repose sur une savante mise en abîme. Un homme sous un porche évoque un procès au cours duquel des témoins d'un crime et d'un viol (les personnes concernées elles-mêmes) livrent leur version des faits (même l'esprit du mort témoigne) : chaque récit est un petit film, une transformation du récit précédent. L'unité d'action, de lieu (le porche, le tribunal et la forêt où a lieu la scène) et de temps (le temps correspondant à chaque lieu) éclate complètement.C'est évidemment le montage qui doit prendre en charge cette articulation, sans privilégier la moindre séquence. La vérité nous est ainsi inaccessible, elle reste résolument plurielle.
Les fantômes ont pourtant résisté à la modernité : les spectres habitent les ordinateurs (Kaïro, Kiyoshi Kurosawa, 2001) ou les cassettes vidéo (Ring, Nakata,1997).
Le cinéma lui-même fait preuve de continuité. Les Yakusa qui inspiraient les films de Seijin Suzuki dans les années 1950 reviennent dans ceux de Kitano (on retrouve aussi la distance prise avec le sujet, jusque dans la parodie). Kitano fait même référence aux films de marionnettes dans Dolls (2002) et aux incontournables films de sabre dans Zatoichi (2003).
Kitano opère un montage de la rupture plus que de la continuité. La juxtaposition de plans fixes, immobiles, y est récurrente (le raccord dans le mouvement est exclu). Sur ce modèle, le montage prend en charge des moments de quiétude absolue ainsi que des scènes d'une forte violence (fréquentes chez le cinéaste). La violence n'entraîne donc pas une accélération du montage mais elle n'en est pas moins stylisée : elle s'impose dans des tableaux riches en couleurs (Sonatine en 1993). Ce type de montage illustre aussi la dimension ludique de ses films. L'écart qui s'inscrit entre deux plans (deux images immobiles) peut provoquer des effets comiques (L'été de Kikujiro en 1999).
Takeshi Kitano apprécie les reprises d'images. Le récit est court-circuité par des images dont l'origine est floue (ces images peuvent être ralenties, muettes, etc.) Elles reviennent régulièrement, puis trouvent leur place et sont justifiées par le récit à nouveau (Hana-bi,1998).
Les choix de montage d'Akira Kurosawa dépendent des
scènes qu'il représente, même s'ils
favorisent la plupart du temps une certaine liaison.
En ce sens, l'auteur de Kagemusha s'oppose
peut-être aux autres.
Ozu, Mizoguchi et Kitano ont de toute évidence des
objectifs communs (si l'on met de côté la
période muette des deux premiers), la quête
d'une pureté formelle homogène,
malgré des styles et des montages très
variés (limité chez Mizoguchi,
régulier chez Ozu, et exploitant la ruptureà
des fins très différentes – expression
de la violence ou ressource comique – chez Kitano).
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