Jean Vigo : contexte (histoire et cinéma)
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Au sortir de la première guerre mondiale, de nombreux pays avaient fondé beaucoup d’espoirs sur le capitalisme. Ceux-ci sont largement déçus le 24 octobre 1929, le krach de Wall Street marque en effet le début d’une crise économique sans précédent. Il s’agit de la plus grande dépression de l’Histoire. En une année, deux millions et demi d’Américains perdent leur emploi, les usines ferment en masse et le commerce est considérablement ralenti.
La crise gagne l’ensemble de l’Europe entre octobre 1929 et l’été 1931, les pays dont l’économie reste très largement tributaire des Etats-Unis sont les plus gravement touchés. L’Allemagne qui dépend étroitement en effet des investissements américains n’est même plus en mesure d’honorer les dettes et les remboursement qui lui ont été imposés par le traité de Versailles en 1919. La crise frappe durement la Grande Bretagne, la Livre Sterling est rapidement dévaluée. Ce ne sont pas les produits qui manquent mais bien l’argent pour les acheter…
La France pense d’abord pouvoir échapper à cette crise et compte beaucoup sur ses réserves en or (une part importante des réserves mondiales). Le pays est en effet épargné par le chômage jusqu’en 1930. Mais les exportations sont en chute libre dès 1929, et les usines tournent très vite au ralenti. En 1932, il y a près d’un million de chômeurs… La soupe populaire est instituée pour permettre à ces nouveaux démunis de subsister. Les gouvernements successifs en activité ne prennent pas de mesures politiques déterminantes pour changer la situation, ils demandent au peuple de patienter et d’accepter une période d’austérité passagère. Les mouvements extrémistes profitent évidemment de cette situation désastreuse.
Un scandale politique, l’affaire Stavisky, finit de tendre la situation générale. Il s’agit d’une affaire d’escroquerie au crédit municipal de Bayonne dévoilée en décembre 1933, initiée par Alexandre Stavisky et impliquant des hommes d’état. Cette affaire entraîne la chute du ministère Chautemps. Le régime, déjà fragilisé par la situation économique, apparaît corrompu.
Des manifestations d’anciens combattants de gauche et de droite éclatent alors le 6 février 1934. Elles donnent lieu à des tensions particulièrement vives, les gardes mobiles sont très vite dépassés par de violentes émeutes. Des incendies sont provoqués, des individus sont jetés dans la Seine, on déplore une quinzaine morts. Daladier est contraint à démissionner le lendemain, mais le régime reste en place.
La gauche lance un « Appel à la lutte » que signent notamment Louis Chavance et Jean Vigo lui-même. Elle se mobilise surtout de son côté contre la montée du fascisme un peu partout en Europe. Trois partis souvent opposés, les radicaux, les socialistes et les communistes, se réunissent et fondent le Front Populaire.
C’est dans ce contexte très particulier et très tendu que Jean Vigo réalise son dernier film. Le tournage a lieu entre novembre 1933, juste avant la révélation de l’affaire Stavisky, et début février 1934, au moment des manifestations évoquées un peu plus haut. Le film s’inscrit plus largement pendant la grande crise économique de la décennie.
Certaines scènes font directement référence à cette situation, notamment pendant le séjour de Juliette en ville. Elle passe par exemple à côté d’une file d’ouvrier sans emploi avant de lire sur un écriteau que personne ne sera embauché…
La crise économique a bien évidemment
affecté la production
cinématographique des années 1930. Mais
les réactions dans les pays touchés
diffèrent sensiblement les unes des autres.
Aux Etats-Unis par exemple, on se bat pour
ne pas fermer les salles tandis que les films
produits éludent la question de la
crise : on veut combattre la morosité
ambiante en privilégiant les œuvres à
grand spectacle.
En France, la production prend un
tournant plus satirique.
Les cinéastes travaillent alors sous ce que Langlois appelle le diktat de Pathé et de Gaumont dont les représentants semblent très peu concernés par les préoccupations artistiques contemporaines. Leurs motivations sont exclusivement commerciales, ils pensent d’abord les œuvres en terme de rentabilité.
L’année 1934 est particulièrement éprouvante pour certains grands réalisateurs en France comme Clair, Pabst (qui réalise alors son Don Quichotte), Lang (On ampute son Liliom de plus d’un tiers de sa durée) et Renoir (On mutile son adaptation de Madame Bovary).
Le sort du dernier film de Jean Vigo n’a donc rien de très original, même s’il conserve un caractère particulièrement tragique en raison bien évidemment de la mort du cinéaste et des ambitions qu’il a toujours nourries en réalisant ses œuvres. La trahison semble ainsi beaucoup plus grande… Vigo s’inscrit en effet dans une lignée de cinéastes-artistes d’avant-garde qui ont toujours négligé les potentialités commerciales de leurs expériences. Mais il restait cependant lui-même, malgré une liberté incontestable, un professionnel de l’industrie cinématographique.
Le dernier film de Jean Vigo s’inscrit dans un contexte politique (marqué par l’affaire Stavisky et la violente manifestation du 6 février 1934) on ne peut plus brûlant. Le cinéaste, fils d’anarchiste, ne pouvait certainement pas rester insensible à la grande dépression des années 30 qui frappe la France et de nombreux autres pays. Il fait quelques allusions à cette situation économique dans son œuvre, il lui oppose même une espèce d’élévation poétique admirable. Mais son film a aussi fait les frais d’une situation cinématographique critique (Pathé et Gaumont règnent alors sans partage et sans concessions), il a été mutilé en effet comme d’autres le furent la même année en France.
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