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Japon/Chine : concurrences régionales et ambitions mondiales

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Durant des décennies, le Japon a été l'incontestable première puissance asiatique. Aujourd'hui, le leadership japonais est remis en question par une Chine qui tend à prendre son envol et à s'affirmer comme une très grande puissance régionale et internationale.

Problématique :
Comment se manifeste la rivalité entre ces deux États dans leur région (en Asie du Sud et de l'Est) et à l'échelle planétaire ? Que se disputent- ils ? Et dans quels domaines ? Y a-t-il un vainqueur et un vaincu ?
1. Une très forte concurrence régionale
Chine et Japon entretiennent, dans la région de l'Asie du Sud et de l'Est, des relations contradictoires : entre interdépendance économique et crispations politiques, ces deux États ne recherchent qu'une chose, à imposer leur leadership.
a. Rivalités et interdépendances économiques
• Rivalités
Les autorités chinoises mettent constamment en avant, depuis la crise financière asiatique de 1997, le dynamisme du développement de leur pays, un dynamisme qui s'étend désormais au champ économique, longtemps monopolisé par la superpuissance économique japonaise.

Les poids respectifs (dans le PIB régional) de ces deux pays pour l'année 2011 étaient de 36,4% pour le Japon et de 40,7% pour la Chine. La conquête des marchés de la région est l'objet d'une véritable bataille d'influence, notamment en Asie du Sud, en très fort développement.

• Des économies interdépendantes
- Les échanges commerciaux entre les deux États sont en constante croissance et ont dépassé les 185 millions de dollars américains en 2005. Depuis 2001 (date d'entrée de la Chine à l'OMC), les importations de produits japonais ont quadruplé en Chine et les exportations chinoises vers l'archipel nipon ont été multipliées par trois.

- Le Japon est le premier investisseur étranger en Chine. Formidable réservoir de main-d'œuvre peu exigeante et marché potentiel extraordinaire, la Chine attire les investissements étrangers. 14,4% des IDE (Investissements directs étrangers) japonais sont investis en Chine. Près de 20 000 entreprises japonaises sont installés en territoire chinois et plus de 9 millions de Chinois travaillent dans des entreprises à capitaux japonais.

- Ces deux marchés sont devenus complémentaires. Représentant plus de 20% de son commerce total, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Japon. Le Japon est le premier fournisseur de la Chine avec essentiellement des biens d'équipements.
b. Des rivaux stratégiques
« Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre » (Article 9 de la Constitution du Japon, 1946).

« Selon un communiqué de la délégation de la République démocratique de Corée, le Japon cherche à devenir une puissance militaire et son militarisme reprend de la vigueur. (...). Si la qualité de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU était autorisée pour le Japon, cela l'inciterait à devenir une puissance militaire ». (Le Quotidien du Peuple, journal chinois, mars 2001).

Ces partenaires économiques obligés sont en réalité rivaux puisqu'une même ambition les anime : le leadership en Asie. L'un et l'autre se voient en effet comme le leader naturel de l'Asie du Sud et de l'Est. Et l'un comme l'autre dispose de solides atouts pour y prétendre, mais aucun ne réunit l'ensemble des conditions nécessaires à une hégémonie totale (sur le plan économique, diplomatique et militaire).

Si pour les 20 ou 30 années à venir, l'hégémonie économique du Japon n'est pas contestable, la Chine dispose en revanche de solides atouts sur les plans stratégique et diplomatique. Membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies et puissance nucléaire, elle est un acteur de poids en matière de sécurité régionale.

• Un lourd contentieux historique
Des tensions structurelles ressurgissent régulièrement entre les deux puissances. L'opposition qui les divise a pour origines les deux guerres sino-japonaises (1894-1895), qui ont abouti à la défaite de la Chine la Deuxième Guerre mondiale. La Chine a dû céder Taïwan ainsi que d'autres territoires au Japon. Entre 1937 et 1945, les Japonais ont occupé presque la totalité des côtes de Chine et leur comportement a traumatisé les Chinois (massacre de 200 000 civils durant le sac de la ville de Nankin).

• Des rivalités géopolitiques
Deux sujets sont à l'origine de lourdes hostilités entre le Japon et la Chine : la course aux armements et l'accès aux ressources énergétiques.

- L'enjeu militaire : les capacités militaires du Japon sont différentes de celles de la Chine. L'article 9 de sa Constitution proclame que le Japon n'a plus le droit de recourir à la guerre. Les États-Unis, alliés militaires du Japon, sont censés assurer la défense de son territoire (depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'armée américaine dispose de nombreuses bases sur le sol japonais).

Le Japon a changé sa politique de défense dans les années 90. Désireux de dépasser son statut de grande puissance économique et d'acquérir une véritable dimension politique, se sentant menacé par l'instabilité de la Corée du Nord et par la montée en puissance de la Chine, il a cherché à s'affranchir de l'article 9. Progressivement, les FAD (Forces Armées de Défense) japonaises ont obtenu le droit de participer à des opérations de maintien de la Paix sous mandat de l'ONU (Cambodge, 1993), puis sans mandat mais pour une durée limitée (Irak, 2003). Aujourd'hui, le Japon occupe le 7e rang mondial pour les dépenses d'armement, ce qui le place au même niveau que l'Allemagne. Le budget militaire représente le 4e poste de dépenses de l'État.

Cependant, le Japon ne dispose pas de l'arme nucléaire, contrairement à la Chine.

- L'accès aux ressources énergétiques : la Chine est le 1er consommateur et importateur de pétrole d'une région très fortement dépendante du reste du monde en ce qui concerne son approvisionnement énergétique (plus de 60 % de ce qu'elle consomme en hydrocarbures est importé). Le Japon craint donc pour son propre approvisionnement. Pékin et Tokyo sont en concurrence sur le marché du pétrole russe autour des projets de pipe-lines qui devraient relier la Sibérie orientale soit à la Chine soit au Japon, ainsi que sur les recherches en hydrocarbures off-shore.
c. Une volonté affirmée de pacification des relations politiques
Depuis 1972 et la visite du Premier Ministre japonais en Chine, on a pu observer une réelle volonté d'amélioration des relations diplomatiques entre les deux pays. En témoignent les signatures de la Déclaration commune sino-japonaise (1972), du Traité de paix et d'amitié sino-japonais (1978), ainsi que le projet de création (2003) d'un Comité d'amitié nippo-chinois pour le 21e siècle. Ce comité aurait pour mission d'étudier l'évolution des relations sino-japonaises dans des domaines tels que l'économie, la politique, la culture, les sciences et la technologie. Un certain nombre de puissants chefs d'entreprises japonais se démènent pour que les relations entre les deux pays s'améliorent et que les tensions s'apaisent. La Chine elle-même n'est pas tout à fait sourde à ce désir intéressé. Mais les nationalistes des deux camps ne l'entendent pas de cette oreille et s'activent pour que ces projets ne puissent réellement aboutir.
2. Deux puissances asiatiques aux ambitions mondiales
a. Deux puissances économiques incomplètes et vulnérables
Les deux géants asiatiques pèsent très lourdement sur l'économie planétaire (leurs deux PIB réunis représentent 18 % du PIB mondial). Ces deux États sont devenus les deux premiers banquiers des États-Unis.

• Le Japon, une formidable puissance économique
En dépit de la stagnation économique qui le mine depuis 20 ans, il conserve, pour l'instant, le leadership économique. Il est encore considéré comme le « laboratoire du monde ». Historiquement, il a une longueur d'avance qui lui permet de disposer de deux atouts de taille :
- sa suprématie financière. Le Japon est le premier créancier d'Asie du Sud et de l'Est.
- Sa suprématie technologique (recherche et innovation permanente). Son industrie possède à elle seule 45 % du parc mondial des robots et produit presque autant que la Chine, avec plus de 10 fois moins de main-d'œuvre.

• L'avancée chinoise

Au début des réformes, en 1978, la Chine ne pesait que 0,4% du commerce international. De 1968 à 2011, le Japon était la 2e puissance économique mondiale derrière les États-Unis. En 2011, la Chine l'a devancé et certains experts estiment qu'elle pourrait détrôner les États-Unis de la 1re place d'ici à 2025.

La Chine a pour ambition de devenir la 1re puissance économique d'Asie. Pour ce faire, elle s'est ouverte avec succès aux échanges commerciaux internationaux et est devenue le pays-atelier le plus puissant et le plus dynamique du continent. Aujourd'hui, elle considère que l'étape suivante qu'elle doit franchir est de devenir le « laboratoire du monde » à la place du Japon, c'est-à-dire de le dépasser sur le plan technologique. Le TGV chinois se voudrait le symbole même de ce début de rattrapage technologique alors même qu'il est fabriqué à partir de pièces conçues et produites à l'étranger, et notamment au Japon.

Puissance économique récente, la Chine est encore très dépendante de l'extérieur. Si elle est devenue l'« atelier du monde » en se transformant en immense plateforme d'assemblage pour de nombreuses entreprises nationales, régionales et transnationales, elle doit importer une grande partie de ses matières premières de différentes parties du monde, ce qui l'oblige à offrir des contreparties.
b. Deux puissances géopolitiques ambitieuses
« Longtemps Tokyo s'est contenté d'être le supplétif militaire des Américains dans la région. Mais la donne a été modifiée par l'émergence de la Chine dans les affaires du monde, qui a conduit les États-Unis à chercher des contrepoids asiatiques. Après la révision de l'accord stratégique signé en 2005 avec Washington, les forces militaires nippones, jusqu'alors purement défensives, se transforment en armée d'intervention apte à se projeter à l'extérieur. » (E. Guyonnet, Le Japon méconnu, « Le Monde Diplomatique », juin-juillet 2009).

« Les Américains s'inquiètent de l'augmentation des capacités militaires chinoises portée par une puissante industrie de l'armement, et se demandent quels sont les réels objectifs du géant chinois : assurer au mieux sa défense ou effrayer des voisins protégés jusqu'ici par le bouclier américain » (S. Delannoy, Géopolitique des pays émergents, 2012).

• Le Japon
Leader économique de l'Asie, le Japon veut s'affirmer comme puissance globale. Il ne manque pas d'atouts sur le plan stratégique pour contrer les ambitions de la Chine :

- Il est l'État qui a le plus souvent occupé un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Depuis les années 1960, il cherche à y obtenir un siège de membre permanent. Sa candidature lui paraît justifiée par son action diplomatique : pays démocratique, il estime œuvrer activement au maintien de la paix dans la région et dans le monde (présence des FAD japonaises en Irak en 2003) et se pencher de plus en plus dans la recherche de solutions aux grands problèmes internationaux.
Son premier obstacle est la Chine qui, en tant que membre permanent, s'oppose vivement à sa candidature. Au printemps 2005, de violentes manifestations anti-japonaises ont éclaté dans plusieurs villes chinoises pour contester cette candidature. Les nationalistes chinois œuvrent pour que le souvenir des exactions japonaises durant la Seconde Guerre mondiale ne disparaisse pas des mémoires.

- Il cherche à jouer un rôle politique mondial en s'émancipant de la tutelle des États-Unis dont il a été l'allié durant la guerre froide. Il cherche à établir des relations avec ses voisins en dépit des différences de régimes politiques. Depuis 1992, le Japon participe à des opérations de maintien de la paix.

• La Chine

La Chine a pour ambition de jouer un rôle politique international. La très forte croissance économique de la Chine lui a permis d'entrer sur la scène internationale :

- L'un des premiers objectifs de la politique étrangère chinoise est de conforter, aux yeux des citoyens chinois, la légitimité du Parti communiste par le renforcement de l'influence internationale du pays. Pour cela, elle cherche à réduire l'influence des États-Unis (alliés et soutien du Japon) en Asie et à empêcher ce dernier de s'y imposer comme la puissance dominante. En novembre 2009, elle n'a pas hésité à décliner l'invitation de Barak Obama à constituer avec son pays un G2 qui se voulait le socle d'un nouvel ordre mondial. Si la Chine entend devenir un partenaire privilégié des États-Unis, ce sera à ses conditions.

• Un déploiement stratégique de la Chine au sein des institutions internationales pour affirmer son leadership

La Chine possède un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. En étant admise à l'OMC (Organisation mondiale du Commerce) en 2001, elle a franchi un pas décisif. Son budget de la défense est passé de 32,8 milliards de dollars en 2003 à 119 milliards de dollars en 2010. Son armée est la première au monde par les effectifs. En matière de conquête spatiale, l'objectif de la Chine est de conquérir la Lune (d'ici à 2025) et la Planète Mars. Ils ont deux stratégies d'alliances : 

- 'alliance avec les BRICS. Ce groupe concentre les États émergents (Brésil, Russie, l'Inde, Chine et Afrique du Sud). Les projets de coopération sont encore bilatéraux, aucune règle de fonctionnement commune n'a été, pour l'instant établie et aucune structure réellement mise en place. La Chine est à la tête de ce groupe (elle représente à elle seule 50 % du PIB du groupe et occupe la place de « premier partenaire » des pays qui le composent). Dans les négociations entre BRICS, le poids de la Chine est énorme.

- Une diplomatie de plus en plus active, notamment en Afrique et en Amérique du Sud. Les Chinois multiplient les accords avec ces deux continents pour sécuriser leurs approvisionnement en matières premières. Elle investit beaucoup dans des sociétés africaines, surtout dans les pays pétroliers (Nigeria, Gabon, Angola...) et  fait en sorte que se mettent en place des flux commerciaux nombreux avec ces pays. En contrepartie, les Chinois offrent la construction d'infrastructures.
c. Japon et Chine : différences de stratégies
Deux différences majeures séparent le Japon de la Chine : le niveau de vie et le respect des droits de l'homme. Puissance établie depuis les années 1950, le Japon bénéficie, depuis longtemps, d'un niveau de vie élevé. La Chine elle, n'est encore qu'une puissance ascendante, un pays émergent dont le niveau de vie, s'il s'est amélioré pour des millions de personnes, demeure globalement faible :

- en 2011, entre le PIB/PA (PIB par habitant) du Japon et celui de la Chine, il y avait un écart de l'ordre de 10 à 1 (ce qui signifie que le niveau de vie des Chinois est dix fois moins élevé que celui des Japonais.

- L'IDH démontre lui aussi que la Chine demeure une puissance ascendante : l'IDH de ce pays est passé entre 1980 et 2010 de 0,404 à 0,687 alors que, dans le même temps, celui du Japon est passé de 0,778 à 0,901 (sachant que l'IDH moyen mondial est de 0, 682).

- Le problème récurrent du non respect des droits de l'homme illustre également le phénomène : la liberté d'expression est loin d'être acquise en Chine et les dissidents, qu'ils soient en dissidence politique ou sociale risquent leur vie ou leur liberté. Les réformes politiques n'ont pas suivi, dans ce pays, le même rythme que celui des progrès économiques. Certaines minorités (Tibétains et Ouïghours, par exemple) vivent des situations très dures.

Rappel :
Une puissance établie est un centre de pouvoir ancien et reconnu qui a un poids économique et un niveau de vie élevés. Alors qu'une puissance ascendante est un centre de pouvoir nouveau et en ascension qui a un poids économique élevé mais un niveau de vie faible.
L'essentiel
Les relations qu'entretiennent le Japon et la Chine sont caractérisées par une interdépendance paradoxale : la nécessité pratique d'une véritable coopération économique est sans arrêt remise en question par les oppositions profondes (historique, culturelle, géopolitique et militaire) qui font régulièrement surgir des tensions entre les deux États.

Partenaires économiques obligés et rivaux stratégiques, ces deux géants asiatiques restent divisés par le poids du passé et, plus encore, par leurs ambitions. Cependant, aucune de ces deux puissances ne peut, aujourd'hui, prétendre à un véritable leadership économique et politique en Asie. Ce leadership ne peut être que partagé. Le Japon a besoin du boom économique chinois pour sortir de sa stagnation économique et la Chine ne peut pas se passer de l'avancée technologique japonaise.

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