Inquiétantes dystopies
- Fiche de cours
- Quiz et exercices
- Vidéos et podcasts
- Comprendre la notion de dystopie.
- Comprendre la fascination pour les dystopies.
- Le mot « dystopie » a été inventé au XIXe siècle en opposition à l'utopie.
- Le but des dystopies et des utopies est de nous pousser à questionner notre société.
Cette ambiguïté signifie-t-elle que le bonheur n’a pas de place dans le monde réel ? Ces temps-ci, en tout cas, notre culture imagine plus facilement des dystopies, que des utopies.
Les fictions dystopiques sont en effet très nombreuses. La Servante Écarlate, Mad Max : Fury Road, Matrix ou Walking Dead ne sont que des exemples fameux de ce genre relativement ancien. Toutefois les dystopies n’ont attiré longtemps qu’un public restreint. Est-ce que leur succès récent révèle quelque chose de notre époque ?
En 1868, à l’occasion d’un discours
politique, le philosophe anglais John Stuart Mill
fabrique le mot « dystopie » afin de
critiquer ses adversaires :
« Il est, peut-être, trop élogieux de
les nommer utopistes, ils devraient plutôt
être nommés « dystopistes ». Ce
que nous qualifions couramment d’utopique est
quelque chose de trop parfait pour être
réalisable ; mais ce qu’ils semblent
préférer est trop mauvais pour être
réalisable ».
Cette citation pose au moins deux questions. Comment est-il possible de confondre les utopistes et les dystopistes ? Et qui pourrait consciemment vouloir réaliser une dystopie ?
Dans un débat, qualifier son contradicteur d’utopiste est une manière de le disqualifier en suggérant que ses théories sont généreuses, mais qu’elles sont aussi impossibles à mettre en pratique.
Un courant philosophique et politique, incarné en France par Saint-Simon (1760-1825) ou Fourier (1772-1837) et en Angleterre par Owen (1771-1858) sera ainsi qualifié de socialisme utopique » par Marx et Engels qui lui opposent un « socialisme scientifique » plus réaliste et plus efficace à leurs yeux.
Mais la critique de l'utopie va parfois plus loin : si l’on ignore qu’un idéal est irréalisable et que l'on met tout en œuvre pour le réaliser malgré tout, alors cet idéal devient dangereux. Ne pouvant abolir la pauvreté, on serait destiné à persécuter les plus favorisés. Et la belle utopie se transforme alors en sinistre dystopie.
Dénoncer la dystopie cachée au cœur de l’utopie est un lieu commun de la pensée conservatrice, toujours méfiante à l’égard des progressistes. Les conservateurs ont sans doute tort de refuser a priori toute tentative d’amélioration de la société. Mais leur critique a le mérite de souligner l’ambiguïté réelle de presque toutes les utopies.
- la famille y est abolie afin que tout le monde soit élevé de la même façon par l’État ;
- le métier de chacun y est déterminé autoritairement par les éducateurs en fonction de nos capacités reconnues et après quoi aucune évolution sociale n’est possible ;
- les arts y sont censurés, certaines mélodies interdites parce qu’elles ramollissent les soldats, certains poètes chassés s’ils ne donnent pas une image des dieux conformes aux besoins politiques.
Les militants et les théoriciens de la politique ne s’attardent pas aujourd’hui à décrire dans ces moindres détails le futur qu’ils espèrent réaliser ou qu’ils craignent de ne pas pouvoir empêcher. Les utopies et les dystopies se trouvent davantage dans les fictions, littéraires ou cinématographiques.
Mais qu’est-ce qui les distingue des autres
fictions ?
La plupart des fictions sont vraisemblables :
elles se déroulent dans un monde où les
règles sociales et les lois naturelles sont
identiques à celles que l’on
connaît.
Au contraire, les fictions utopiques ou dystopiques se
déroulent dans des mondes où ces
règles et ces lois sont radicalement
différentes :
- tous les humains sont devenus sages et pacifiques dans un monde d’abondance ;
- les morts reviennent à la vie pour nous dévorer ;
- les machines devenues conscientes d’elles-mêmes ont pris le pouvoir et utilisent nos corps comme source d’énergie ;
- les femmes sont réduites en esclavage et tuées à la tâche quand elles ne sont plus fertiles, etc.
Le but avoué de ces fictions particulières
est souvent de nous inciter à questionner notre
société. En nous confrontant à
la possibilité d’un monde en apparence
radicalement différent du nôtre, les utopies
et les dystopies ne nous éloignent de la
réalité que pour nous forcer à mieux
la voir d’un point de vue plus distant.
À cet égard, utopies et dystopies
relèvent de la satire : elles caricaturent
certains aspects de notre société afin de
dénoncer leur injustice ou leur absurdité.
La fiction est alors un détour qui nous
ramène à la politique.
- Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley semble décrire un monde parfait où tout le monde est heureux. Mais à mesure que l’histoire avance, on comprend qu’il a fallu sacrifier la liberté, la créativité, la spiritualité et même la profondeur des relations humaines à la réalisation d’un bonheur universel grossier fondé sur des divertissements superficiels et des drogues anesthésiantes.
- Inversement, Orwell, dans 1984, décrit d’emblée un monde totalitaire étouffant d’où toute joie et toute liberté ont disparu sous la domination d’un État omnipotent et impitoyable. Rédigé au milieu des années 1940, ce récit, selon Orwell lui-même, décrit notre monde tel qu’il pourrait être si nous manquons de vigilance à l’égard des théories et des pratiques totalitaires déjà à l’œuvre (nazisme et stalinisme).
Le succès actuel des dystopies pourrait bien s’enraciner dans la crainte d’Orwell : un futur cauchemardesque n’est-il pas déjà en gestation dans nos vies ?
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