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Histoire et mémoire, histoire et justice

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Objectif
  • Savoir quels rôles jouent les mémoires dans la construction de l’histoire.
  • Savoir comment l’historien utilise le mémoire pour connaître le passé.
Points clés
  • Le passé peut se rappeler aux sociétés sous un aspect subjectif, émotionnel et sélectif, c’est ce que l’on appelle la mémoire ou plutôt les mémoires d’un événement.
  • Au cours du XXe siècle, l’utilisation de la mémoire par les historiens est devenue un enjeu majeur dans la connaissance de l’histoire.
1. Histoire et mémoire, deux outils pour transmettre le passé
a. La mémoire, les mémoires : un passé qui ne passe pas

Le passé peut se rappeler aux sociétés sous un aspect subjectif, émotionnel et sélectif, c’est ce que l’on appelle la mémoire ou plutôt les mémoires d’un événement.

Il y a autant de mémoires que de groupes d’individus, et cette vision du passé ne retient que des fragments de l'événement selon l’intérêt, l’enjeu ou l’émotion suscitée.

Certaines mémoires vivantes de guerres et de conflits ont disparu avec la mort des derniers survivants. C’est le cas des témoins de la Première Guerre mondiale. Pour ce qui est de la Seconde, les derniers témoins sont en train de disparaître à leur tour. Bientôt, le témoignage direct de ce conflit aura disparu.

Pour que la mémoire se perpétue des commémorations sont organisées autour de lieux de mémoire. Elles prennent l’aspect de cérémonies officielles dans lequel se retrouvent des responsables politiques, des représentants de la société civile unis dans le devoir de mémoire. Ces moments mémoriels se déroulent autour de lieux de mémoires qui célèbrent le passé et rendent hommage aux victimes.

La France et l’Europe comportent de nombreux lieux de mémoire qui sont autant de cicatrices mal refermées desquelles s’échappent les cris des disparus.

Exemple
En région parisienne, Le Mont Valérien, où de nombreux résistants ont été fusillés par les nazis, est devenu un lieu de mémoire.

La célébration des mémoires peut donner lieu à des conflits mémoriels. Avec la multiplication des mémoires, des groupes s’opposent et accusent les autorités ou les médias de favoriser une mémoire plutôt qu’une autre.

b. L'histoire : la science face à l'étude du passé

Le passé peut être étudié de manière plus objective et scientifique, sans prendre parti, en étudiant l'événement dans sa globalité. Cette étude du passé s’appelle l’Histoire.

Cela reste difficile car la discipline historique est une science humaine et reste confrontée à la sensibilité du chercheur. L’historien se nourrit pour construire son récit des mémoires. Elles constituent un témoignage précieux, direct et sensible. Il joue le rôle de collecteurs de mémoires. Celles-ci constituent un document historique qui vient s’ajouter aux autres outils qui permettent au chercheur d’écrire l’histoire comme les archives par exemple.

Toutefois cette source utilisée pour connaître le passé est bien plus sensible car elle est subjective. En effet, il s’agit de transformer des témoignages souvent difficiles de survivants ou de témoins des menées génocidaires du XXe siècle en un récit objectif et précis.

Ainsi, dans son documentaire Shoah (1985), Claude Lanzmann collecte plus de 9 heures de témoignages sur les survivants et les témoins de la Shoah dans l’Est de l’Europe. Il recueille les mémoires des derniers témoins en 1979, avant leur disparition.

Les historiens doivent utiliser cette documentation pour faire progresser la connaissance scientifique du génocide des juifs de l’est-européen, comme ceux de Pologne, dont 99 % de la population a disparu. Ces deux modes de connaissances du passé se croisent, se nourrissent l’une et l’autre et parfois s’opposent.

Shoah : Terme hébreu signifiant « catastrophe », utilisé en France depuis un documentaire de Jacques Lanzmann en 1985 ; il évoque le génocide subi par les Juifs pendant la seconde guerre mondiale. On estime entre 5 et 6 millions le nombre de morts. D’autres mots sont aussi employés pour cette tragédie: holocauste, génocide juif, solution finale.
2. Les violences de masse et les pratiques génocidaires du XXe siècle

L’utilisation de la mémoire par les historiens est devenue un enjeu majeur dans la connaissance de l’histoire au XXe siècle.

La multiplication des massacres de masses, la brutalisation des forces armées pendant les guerres mondiales et les trois génocides reconnus du siècle font de la mémoire un témoignage, un outil de connaissance du passé en donnant la parole aux victimes et aux témoins.

Les populations civiles paient un lourd tribut lors des guerres et conflits. La guerre n’est plus uniquement réservée aux militaires mais se tournent contre les populations non combattantes. Elles deviennent un enjeu et une cible pour les gouvernements.

La terreur devient une arme, il s’agit de frapper également des cibles civiles afin d’écraser l’adversaire et ce qu’il représente. Des groupes entiers sont visés, la notion de crimes génocidaires apparaît avant même la Première Guerre mondiale.

Génocide : Massacre systématique d'un peuple pour l'éliminer totalement.
a. Le massacre des Héréros et des Namas

Les Héréros et Namas sont les premières victimes de pratiques génocidaires menées par les Allemands dans l’actuelle Namibie, lors de la conquête coloniale.

En 1904 les colons et l’armée allemande rencontrent une forte résistance des populations locales dans leur entreprise de spoliation de territoires et d’exploitation des ressources du pays. La violence de l’armée se traduit par des massacres de masse à l’encontre des populations qui aboutit à l’extermination d’environ 80 % du groupe héréros et 50 % de l’ethnie Namas.

Ces groupes meurent par les armes, la faim et les mauvais traitements. Les Allemands massacrent sans distinction enfants, hommes et vieillards. Des camps de concentration sont créés pour parquer les populations et en réduire le nombre. Des médecins pratiquent des expériences médicales qui annoncent la barbarie nazie dans les camps du IIIe Reich. Le tout est guidé par une idéologie racialiste qui perçoit ces groupes comme des indigènes non civilisés et inférieurs aux peuples européens. C’est un avant-goût des actions génocidaires à venir.

b. La Première Guerre mondiale et le concept de brutalisation des sociétés

La première partie du XXe siècle est marquée par la guerre moderne, celle qui touche les populations civiles en ayant recours à des outils industriels.

La Première Guerre mondiale inaugure un cycle de violences qui se perpétue tout au long du siècle. Plus de dix millions de personnes meurent dans ce conflit, appelé dans les années 1920 la Grande Guerre. Jamais dans l’histoire un affrontement armé n'a été aussi violent et meurtrier. Les armées, emportées dans une spirale meurtrière, utilisent tous les moyens disponibles pour annihiler l’adversaire. Celui-ci est déshumanisé par la propagande, taillé en pièce par l’armement, humilié dans la défaite.

Les historiens utilisent le terme de brutalisation ou de barbarisation pour qualifier cette violence anormale, même en temps de guerre.

La Grande Guerre constitue un moment de violence inédit dans l’histoire des conflits puisque c’est en pleine guerre que les Ottomans entreprennent d’attaquer les populations arméniennes de l’Empire.

Considérées comme proches des occidentaux, les chrétiens d’Arménie sont la cible d’exactions et de massacres de masse par les turcs à partir de 1915. Assassinés, déportés dans des régions désertiques ou les civils meurent de faim et de soif, près d’un million de personnes sont assassinées alors que dans le même temps, les soldats meurent en masse dans les tranchées qui s’étirent de l’Europe occidentale au front d’Orient.

 

 

c. La Seconde Guerre mondiale, une guerre d'anéantissement

La Seconde Guerre mondiale marque l’apogée des actions génocidaires commis contre les civils. Les populations deviennent la cible des systèmes totalitaires. Ces régimes implacables s’engagent dans des massacres sans nom emportés dans leur idéologie destructrice et profitant du chaos de la guerre pour transgresser toutes les règles internationales.

Avec l’invasion de l’Est de l’Europe, le régime criminel nazi mène des opérations de grande ampleur qui ont pour but de faire disparaître des groupes entiers de population. Les Slaves, les Tziganes et les Juifs deviennent des groupes cibles vers lesquelles se concentrent des actions d’une violence extrême.

À la conférence de Wannsee, en janvier 1942, les responsables nazis décident de la « solution finale du problème juif ». La décision est prise de faire disparaître l’intégralité de la population juive européenne.

Le plus grand génocide de l’histoire se met en marche, les populations civiles sont méticuleusement exterminées en suivant un processus industriel. C’est la Shoah, qui massacre par balles, par gaz, par la privation de nourriture plus de 6 millions de personnes en l’espace de 6 ans.

3. Juger, condamner et réparer : le rôle de la justice internationale

Les actions génocidaires depuis 1945 et les procès de Nuremberg qui condamnent les responsables du IIIe Reich pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité retiennent désormais l’attention de la communauté internationale.

 

Dignitaires nazis lors des Procès de Nuremberg, 1945-1946 | © Look and Learn / Bridgeman Images

 

En 1993 et 1994, le génocide Tutsi et les crimes de masse commis par les Serbes de Bosnie contre les musulmans ont réactivé la gouvernance judicaire mondiale. Deux tribunaux internationaux se mettent en place : le TPIY (Tribunal pénal international pour la Yougoslavie) et le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda).

Les responsables sont jugés et certains sont condamnés à l’image de Mladik ou de Milosevic, commanditaires serbes de massacres commis contre les civils.

Pour le Rwanda les organisateurs du génocide sont poursuivis, à l’image de Kabunga, qui a été arrêté en 2020 en région parisienne près de 25 ans après la fin de la guerre civile rwandaise.

Le retour de la paix est particulièrement difficile dans le cadre des nouvelles conflictualités. Si, au cours du XXe siècle, des armistices suivis de conférences pour la paix permettaient d’ouvrir une nouvelle ère de stabilité, la situation a changé. Face à la difficulté d’identifier des acteurs, de les réunir, de satisfaire des revendications, le retour à la paix n’est pas aisé. Elle nécessite des trésors de diplomatie, des concessions souvent trop importantes, l’interventions des organisations de la gouvernance mondiale et des acteurs régionaux. Réunir des acteurs institutionnels et des groupes protéiformes est très complexe car les intérêts de chacun divergent.

Ainsi, dans le cas de l’ex-Yougoslavie, les haines séculaires entre les groupes ne peuvent s’éteindre si aisément. Pour garantir le retour à la paix, des troupes d’interposition onusienne restent présentent au Kosovo. Les Serbes n’ayant pas accepté l’indépendance de cet État, la tension est persistante.

Au Rwanda, le million de morts rend long et difficile le retour à la paix, les cicatrices et les mémoires restent vives. La réconciliation sera longue et le risque d’un retour des conflictualités reste bien réel.

 

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