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Histoire et cinéma iranien

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Objectif : retracer brièvement les grandes étapes du cinéma iranien et les envisager dans une perspective historique, en contrepoint des événements fondateurs de l’Iran du XXe siècle.
1. 1900-1941

Le cinéma est découvert par l’Iran lors d’un voyage à Paris du roi Mozaffar od-Din-shah en 1900. A cette occasion, il visite l’Exposition Universelle et demande au photographe de la cour qui l’accompagne de se procurer le matériel nécessaire au fonctionnement du cinématographe pour le ramener en Iran. La première salle de cinéma est ouverte à Téhéran en 1904 par un partisan du mouvement anti-monarchiste (les films projetés étaient essentiellement importés de France) mais des chefs religieux mécontents obtiennent sa destruction auprès du roi.

1906 marque le début de la révolution constitutionnaliste : une constitution est établie pour lutter contre une monarchie qui apparaît archaïque et corrompue. Une Cour de justice et un Parlement sont ainsi créés à partir du modèle occidental, mais les conséquences sont relatives et favorisent l’émergence de deux courants opposés (les laïcs réformateurs et les religieux hostiles à la liberté individuelle).

Si le cinéma se développe jusqu’au début des années 20, l’instabilité d’un pouvoir changeant a encouragé toutes sortes d’interdictions et de retours en arrière problématiques (les Moudjahedins, combattants islamiques, ordonnent par exemple la fermeture des premières salles). Cette période trouble a vu le rétablissement progressif d’une monarchie forte, la chute du roi Mahammad-Ali Shah en 1909 et son remplacement par l’héritier Ahmad Shah, installé au pouvoir par les constitutionnalistes. Mais le régime est gangrené par la corruption et fragilisé par l’ingérence russe. Le coup d’état de Reza Khan en 1921 favorise la restauration d’un régime autoritaire et la fin de l’ère constitutionnaliste.

L’activité cinématographique s’intensifie alors à Téhéran, entre 1920 et 1930. Une salle de 500 places ouvre au nord de Téhéran en 1925, les œuvres à grand spectacle tendent à remplacer les reportages de guerre qui occupaient jusqu’alors l’ensemble des programmes. Les grands films étrangers sortent en Iran (on peut voir dès 1927 Le Cirque de Chaplin et Metropolis de Fritz Lang). Des films documentaires sur l’Iran sont réalisés par des équipes étrangères autour de 1930 (ils sont censurés dès qu’ils évoquent la misère des iraniens ou la rigidité du pouvoir).

Le premier long-métrage iranien, Ali et Rabi (film comique muet d’une heure), est réalisé en 1930 par Avanes Ohanian, le fondateur de la première école d’acteurs à Téhéran. D’autres films suivent, mais ils suscitent la colère des ayatollahs (le Cheikh Fazallah Nori demande même un boycott) car ils transgressent la loi coranique qui interdit toute représentation humaine.

Le premier film parlant iranien, La fille de la tribu de Lor d’Abelhossein Sepanta est réalisé en 1933 (il est tourné en Inde, dans des studios indiens). La mise en scène est beaucoup plus subtile que celle d’Ohanian et son orientation propagandiste lui vaut la bienveillance du pouvoir royal.

Le cinéma iranien traverse une période dramatique entre 1936 et 1948. Les aides publiques sont supprimées, la production est donc interrompue pendant ces douze années et ne reprendra qu’après la fin de la seconde guerre mondiale. Le pouvoir politique a subi lui aussi un changement décisif : Reza Shah qui s’était rapproché d’Hitler a été remplacé par son fils Mohamad Reza Pahlavi en 1941 sous l’influence des pays occidentaux.

2. 1941-1979

De nouveaux films sont réalisés à partir de 1948. Les techniques sonores inédites satisfont un public important. Les histoires racontées dans ces œuvres célèbrent des valeurs morales d’abord négligées par les personnages (pour diverses raisons et ambitions), puis suivies et respectées quand la leçon a été comprise (et le personnage remis dans le droit chemin). L’amour occupe une importance décisive, il est la clé de tous les problèmes. Les chansons sont nombreuses et très appréciées par les spectateurs.

L’Iran traverse une période trouble en 1951 : le premier ministre est assassiné, le Parlement vote la nationalisation du pétrole et Mossadegh devient le nouveau premier ministre. En 1953, ce dernier refuse sa révocation. Le chah doit s’exiler en Italie, des émeutes éclatent à Téhéran. Quelques jours plus tard, la CIA dirige un coup d’état contre Mossadegh pour redonner le pouvoir au chah Mohamad Reza.

De nombreux reportages de propagande (400 films entre 1954 et 1963 au service du Shah) sont réalisés par des documentaristes américains qui forment par ailleurs des cinéastes iraniens (l’école de Syracuse). Dans les mêmes années 50, la production de films commerciaux d’une qualité artistique médiocre se développe considérablement (les films farsi). L’Etat prélève près d’un quart des recettes de ces films. En 1953, Samuel Khatchikian réalise son premier film, Le Retour. Il prend le contre-pied des films farsi en supprimant les danses, les chants et en accordant beaucoup d’importance à la mise en scène, au montage, à la lumière et au suspense (on le considère comme le Hitchcock iranien). Il réalise en 1957 le premier film sélectionné dans un festival étranger, le festival de Berlin en l’occurrence (Une Soirée en enfer). Le film est interdit par des religieux dans quelques provinces iraniennes.

La fin des années 50 marque la recrudescence des films populaires, propagandistes et patriotiques très en retrait des réalités de l’Iran. Ces films ne sont pas taxés par l’Etat. On note à la même époque la création d’un figure importante du cinéma iranien : le Djahel. Il s’agit d’un héros issu des classes populaires, une espèce de bandit pourvu d’un certain sens de la justice.

Dans les années 60, le cinéma est un moyen pour le peuple de s’évader des réalités quotidiennes difficiles. Des films sont réalisés pour mettre en scène les rêves des plus misérables et pour donner un peu d’espoir. Le trésor de Gharon, réalisé en 1965 par Siamak Yassami, est une œuvre emblématique de ce courant populaire (qui lui doit même son nom : le gharonisme).
D’un autre côté, les intellectuels vont commencer à s’impliquer davantage dans la création cinématographique. Ils réalisent des documentaires de qualité très éloignés des films de propagande de l’école de Syracuse. Les œuvres d’Ebrahim Golestan s’inscrivent ainsi contre les discours officiels. Dans ces films, le symbole et l’ironie du comique jouent un rôle très important puisqu’ils permettent de contourner une censure très active (c’est le cas des œuvres de Nasser Taghvaï dans lesquelles les fictions allégoriques ont une fonction déterminante). Interdits ou pas, documentaires ou fictions, ces films suivent la voie du réalisme.

En 1966 est fondée une école de cinéma et de télévision à Téhéran. En 1969, le lancement du département cinéma du Kanun est confié à Abbas Kiarostami et Firouz Shirvanlou. La télévision s’investit activement dans la production. Le mouvement Motafavet émerge et encourage les films de qualité : les genres abordés sont très variés, mais une qualité artistique importante est toujours exigée (ce qui n’était pas le cas précédemment). Les deux grands films Motafavet (La Vache de Dariush Mehrjui et Gheyssar de Massoud Kimiaï) sont réalisés en 1969.
Des festivals stimulent la production nationale et des manifestations culturelles récompensent les meilleures œuvres (les Sepas, équivalents des Oscars ou des Césars). Un festival international est créé : avec cette ouverture culturelle sur le monde, le régime du Shah tente de faire oublier l’oppression qu’il exerce sur d’autres artistes emprisonnés (on peut remarquer par ailleurs que les films récompensés à l’étranger sont souvent les mêmes qui sont interdits par la censure en Iran).

En 1970, l’Iran ne compte pas moins de 400 salles de cinéma. En 1973, Le Facteur de Dariush Mehrjui est présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Nature morte de Sohrab Shahid Saless obtient plusieurs prix au festival de Berlin. Le cinéaste, surveillé par la police secrète du Shah (la Savak), décide de quitter l’Iran et de partir travailler en Allemagne.

La deuxième partie des années 70 est une période critique, la production baisse, les films étrangers monopolisent le marché et les religieux s’opposent avec virulence contre la représentation de la violence et du « sexe ». Une vague de mécontentement plus général menace le Shah en 1978, des tensions se font sentir, la révolution est imminente (Elle prend un caractère résolument religieux lors de la célébration du martyre d’Imam Hossein).  

3. De la révolution islamique (1979) aux années 1990

En janvier 1979, le chah doit s’exiler en Egypte. Le 1er février, l’ayatollah Khomeyni expulsé depuis 1964 en Turquie (d’où il avait gagné l’Irak) fait un retour triomphal en Iran. Un fort sentiment religieux gagne le pays.

La production cinématographique va faire l’objet de changements considérables. Les interdits religieux ressurgissent (ils affectent notamment la représentation des femmes, des hommes qui consomment de l’alcool), tous les films (étrangers et iraniens) tournés sous le régime du Shah sont censurés, des salles sont incendiées. Des documentaires sont réalisés pour dénoncer l’oppression exercée par le régime précédent. La guerre contre l’Irak (1980) inspire de nombreux films de propagande pour mobiliser le peuple iranien.

Seuls les cinéastes qui participent à la propagande islamique peuvent travailler sereinement (c’est le cas de Massoud Kimiaï, ancien cinéaste du Motafavet, qui devient même directeur de chaîne), leurs films sont d’ailleurs exonérés de taxes. D’autres réalisateurs doivent quitter le pays : Parviz Kimiavi part en France, Ebrahim Golestan en Angleterre et Sohrab Shahid Saless en Allemagne, puis aux Etats-Unis. Ceux qui continuent à travailler à l’étranger critiquent Khomeyni dans leurs œuvres, c’est pourquoi des films produits en Iran sont envoyés dans des festivals internationaux pour défendre le pouvoir en place.

De grands réalisateurs émergent dans ce contexte particulier. Mohsen Makhmalbaf réalise ainsi son premier film en 1982Nassouah le repenti, après avoir passé cinq ans en prison, de 1974 à 1979, pour avoir lutté activement contre le Shah en attaquant un commissariat de police. Ses œuvres suivantes sont formellement plus abouties, tout particulièrement Boycott en 1985, Le Camelot en 1987 et Le Cycliste en 1988 grâce auquel il obtient son premier grand succès international (et le Grand prix du festival de Rimini). Avec le temps, il prendra un peu plus de liberté par rapport à sa religion en donnant à ses films et à sa foi un tournant beaucoup plus personnel et philosophique.

Depuis quelques années, sa fille Samira Makhmalbaf réalise des films qui sont très bien accueillis dans les festivals internationaux. Très précoce, elle réalise La Pomme en 1998 alors qu’elle n’a que 18 ans : le film est présenté à Cannes et suscite un grand intérêt. Elle compte aujourd’hui parmi les cinéastes iraniens les plus importants, avec Jafar Panahi (ancien assistant de Kiarostami qui obtient la caméra d’or à Cannes pour son premier film, Le Ballon blanc, en 1995), Majid Majidi et quelques autres…

Des thèmes inépuisables qui ont d’ailleurs traversé l’ensemble de l’histoire du cinéma iranien retrouvent un nouvel élan dans les années 80 et 90. L’enfance fait partie intégrante de ces thèmes. Kiarostami lui a accordé beaucoup d’intérêt tout au long de son parcours cinématographique, d’abord dans le cadre des courts-métrages pédagogiques du Kanun, puis dans ses autres films (notamment dans Où est la maison de mon ami ? qui l’a révélé au public international averti en 1987). Ce thème est au centre d’un film essentiel du cinéma iranien, Bashu, le petit étranger réalisé par Bahram Beyzaï en 1986. Les enfants sont importants parce qu’ils représentent une part essentielle de la population iranienne (la moitié des iraniens ont moins de 18 ans en 1985), et parce qu’ils sont permettent de mettre en place toutes sortes d’allégories, de quêtes initiatiques ou métaphysiques qui font écho à la culture iranienne du conte et qui permettent de contourner les prescriptions idéologiques du pouvoir.

L’essentiel

La production cinématographique iranienne a toujours été particulièrement dépendante du pouvoir en place et largement soumise à la censure exercée par les autorités successives. De 1941 à 1979, le régime du Shah a contrôlé tous les films et interdits ceux qui diffusaient des informations ou des idéologies susceptibles de l’embarrasser (les œuvres commerciales inoffensives et les films de propagande sont au contraire systématiquement encouragés). A partir de 1979, la « république islamique » interdit et confisque tous les films réalisés du temps du Shah, tous les films étrangers, toutes les scènes musicales (chantées ou dansées) ainsi que celles qui contreviennent d’une façon ou d’une autre à certaines prescriptions religieuses. Mais l’ayatollah Khomeyni, figure emblématique de cette période, n’a jamais fait complètement interdire l’image et la représentation humaine… Il a toujours su profiter de ses possibilités de diffusion (notamment de celles de la télévision) pour servir, par l’intermédiaire d’une bonne communication, sa propagande et ses propres objectifs politiques.

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