Godard
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Comme quelques autres cinéastes (Eisenstein en premier lieu), il s'est toujours beaucoup interrogé sur sa propre discipline (« ni un art, ni une technique : un mystère » dit-il parfois). Son œuvre entretient en effet avec ses textes critiques ou théoriques un lien extrêmement étroit, les films suscitent diverses interrogations qui inspirent à leur tour de nouveaux films.
Les premiers écrits, ceux d'avant la pratique, publiés dans Les Cahiers du Cinéma, ont eux-mêmes été inspirés par les films des autres (par les Classiques américains en particulier).
Godard a ainsi saisi l'opportunité de réfléchir sur certaines propriétés du cinéma pendant qu'il réalisait ses premiers courts-métrages dans les années 1950. Le montage a occupé une place importante parmi ces réflexions.
On connaît l'importance de ce premier long-métrage dans l'Histoire du cinéma, son tournage en extérieurs, ses dialogues non théâtraux, son montage haché. Un montage qui s'inscrivait donc à la fois contre le découpage classique américain (montage narratif fluide, fondé sur des raccords hyper-codés, et donc transparents) et contre le plan-séquence préconisé par André Bazin (probablement parce qu'il fallait « tuer le père », ce qui témoignait déjà d'un esprit de contradiction que Godard n'a jamais perdu).
Le début du film (un film où, plus encore que dans n'importe quel autre, le faux-raccord et le Jump-cut font office de loi) donne l'un des exemples les plus célèbres des audaces du montage. Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) qui prononce le nom de sa fiancée, Patricia (Jean Seberg), fait apparaître à chaque syllabe un plan différent du paysage qui défile devant lui.
L'effet rompt avec les règles de la continuité classique de façon très brutale tout en créant un effet de discordance entre la bande-son et la bande-image. Celles-ci ne sont plus liées comme avant (leur rapport n'est plus illustratif, il ne donne plus l'illusion d'une représentation cohérente), elles ne sont pas indépendantes non plus mais deviennent au contraire encore plus liées, trop liées (une syllabe, partie de mot, accompagne ici un plan, partie d'espace et de temps). La démarche est tout à fait gratuite par ailleurs, elle ne répond à aucune exigence du récit (scénario de film noir tout à fait banal).
Godard montre ainsi qu'il est possible de faire des films différents, de raconter des histoires peu originales certes, mais de façon inédite en leur redonnant ainsi l'âme que la pression des conventions et du code tendait à leur faire perdre. Le montage n'est plus soumis à la mise en scène, au seul découpage, il devient mise en scène lui-même, précisément parce qu'il lui redonne une nouvelle vitalité.
Godard avait déjà mis l'accent sur cette fonction du montage dans l'un de ses textes les plus célèbres, Montage, mon beau souci, paru en 1956, trois avant À Bout de souffle (le film ne fait qu'accentuer une telle fonction). Il y expliquait en effet que le montage et la mise en scène sont inséparables, que le montage contribue à insister sur les éléments que la mise en scène elle-même souhaite privilégier (c'est pourquoi les monteurs devraient assister aux tournages et le metteur en scène au montage, ce qui est déjà plus fréquent), qu'il ajoute le temps à l'espace et que l'un et l'autre sont évidemment inséparables.
Le montage ne sert donc pas à rattraper des erreurs de mise en scène, des approximations, pas davantage à mettre bout à bout les pièces d'un puzzle déjà constitué, il permet au contraire de révéler l'âme de cette mise en scène, il transforme, ainsi que le dit explicitement Godard, « le hasard en destin ».
D'abord parce que le contrôle du final cut qu'il a toujours considéré comme absolument primordial à l'élaboration d'une œuvre lui a donné le statut d'un auteur (en vertu, très précisément, de la politique des auteurs défendue par les Cahiers).
Mais aussi parce qu'en refusant la transparence et l'illusion cinématographique, en clamant que tout n'est que convention, il a rendu aux images et aux sons leur statut de signes (considérés non plus comme des fragments d'un réel qu'ils devraient reconstituer, mais comme les parties d'un langage à produire). Il joue avec les signes, ajoute des filtres de couleur sans justification par le récit (comme dans la soirée de Pierrot le fou), modifie inopinément la lumière d'une scène (sur Juliette, Marina Vlady, au début de Deux ou trois choses que je sais d'elle), interrompt brutalement la musique, recouvre des parties de dialogues par d'autres sons, etc.
De cette façon, le spectateur n'oublie jamais qu'il est devant des images (avant d'être devant des lieux ou des histoires), il éprouve la présence d'une énonciation, d'une figure d'auteur qui ne s'efface pas derrière ce qu'elle montre, parce que ce qu'elle dévoile son discours (le cinéaste ne nous fait pas croire qu'il nous montre des images, des relations d'images, qui existent hors de lui) : un discours fait d'images et de sons.
D'ailleurs Godard lui-même apparaît de plus en plus dans ses films, par l'intermédiaire de sa voix ou de son corps : il se montre au travail, il incarne le cinéaste, il fait l'objet d'un autoportrait (JLG/JLG, 1994). Tout ceci obéit à une logique infaillible : si ses films se présentent comme une écriture cinématographique (puisqu'ils ne cherchent pas à donner l'illusion du réel), si on sent à tout moment une énonciation, le développement d'une pensée, le travail du cinéaste, il fallait bien voir un jour ce cinéaste au travail (devenu film).
Et si ses créations sont écritures, on ne sera pas surpris de le voir taper à la machine à écrire (Histoire(s) du cinéma, 1988-1998). Godard écrivain écrit et Godard monteur monte (il monte d'ailleurs seul ses films depuis les années 1980).
C'est très explicitement un montage devenu écriture que nous montre ce film. Il adopte la composition d'un livre (quatre chapitres de deux parties chacun), ainsi que son thème (l'Histoire a toujours été essentiellement traitée sous forme de texte). Mais il s'agit ici d'une double histoire (celle du cinéma et celle du XXe siècle), et son organisation n'est ni chronologique, ni narrative : elle repose avant tout sur un montage discursif. Godard sélectionne des images (extraits de cinéma, d'actualités, de tableaux, etc.) et crée des réseaux de signification très denses. Il parvient à penser le cinéma (des images de cinéma) par le cinéma (le montage discursif ou des correspondances, notamment).
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