Faut-il imposer des limites à l'expérimentation sur le vivant ?- Terminale- Philosophie
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Savoir s'il faut imposer des limites à l'expérimentation sur le vivant
- Les progrès des sciences biomédicales, rendus possibles par l’expérimentation sur le vivant, ne justifient évidemment pas toutes les expériences.
- Aujourd’hui, la manipulation du vivant pose des problèmes éthiques à tous les niveaux.
L’apparition d’une nouvelle discipline, le
« génie
génétique », liée
aux découvertes de la génétique
contemporaine, a considérablement modifié
notre représentation du vivant. Ces
découvertes débouchent en outre sur les
biotechnologies, sans lesquelles
désormais il ne semble pas y avoir de vraie
« science médicale ». Le
progrès de ces techniques du vivant a
considérablement accru les possibilités
d’intervention de la science biologique.
Cependant, les spécialistes
d’éthique médicale
s’interrogent sur les dangers que
représente cette technicité
excessive. De nouvelles questions se posent,
concernant le clonage, la procréation
médicalement assistée (la
fécondation in vitro,
l’insémination artificielle, le diagnostic
préimplantatoire), les dons
d’organes, la manipulation du génome
humain. Se posent également, dans une
perspective différente, des questions relatives
à la fin de la vie : quels sont les
critères de la mort ? Doit-on faire cesser
l’acharnement thérapeutique ? Peut-on
aider une personne en fin de vie à mourir (c'est
l'« euthanasie ») ?
Sur le plan de l’environnement, cette fois,
doit-on autoriser les OGM (organismes
génétiquement modifiés) ?
Peuvent-ils être nuisibles à la
santé humaine ? Toutes ces questions se
trouvent désormais encadrées par une
discipline elle aussi nouvelle, la
bioéthique.
Un comité consultatif national
d’éthique a été
créé en France (1983). Il fût
présidé par Jean Bernard,
hématologue et cancérologue, membre de
l’Académie française (1907-2006).
En 1994, sont apparues les premières lois de
bioéthique, révisées en 2004. Ces
lois, au regard des progrès continuels
réalisés, sont, de toute manière,
en chantier permanent, puisque beaucoup de questions
restent sans réponse ; les principes
éthiques auxquels on se réfère
sont souvent contradictoires entre eux.
De plus, la société évolue, les
mentalités changent. Lorsqu’est né
en France le premier
« bébé-éprouvette »
(nommé ainsi parce qu’il avait
été conçu in vitro,
c’est-à-dire en laboratoire, et non in
vivo, dans le ventre maternel), certaines
réactions, au sein de la société,
ont été très violentes
– comme d’autres l’avaient
été lorsque l’interruption
volontaire de grossesse a été
légalisée (1975) – :
parce que cette conception n’était pas
naturelle, mais artificielle, elle relevait pour un
grand nombre de citoyens d’une
expérimentation sauvage et immorale, parce que
contre-nature.
Aujourd’hui, certains problèmes demeurent,
mais la conception in vitro est tout à
fait acceptée. On a reconnu que les avantages
qu’elle procurait (permettre à un couple
infertile de donner naissance à des enfants)
comportait plus d’avantages que
d’inconvénients. Il est toutefois
impossible de négliger les conséquences
que certaines découvertes peuvent avoir sur les
sociétés humaines. La science ne peut
plus se retrancher sur elle-même, en estimant que
la régulation des recherches incombe à
elle seule. Dans cette optique, la science a un nouveau
devoir : celui de communiquer les résultats
de ses recherches en mettant en évidence les
nouveaux enjeux auxquels ces recherches aboutissent. Il
s’agit désormais d’informer
les citoyens.
L’instauration de limites à ce qui est
techniquement possible doit se faire de façon
démocratique : c’est ce que
reconnaissent une grande majorité de chercheurs,
à l’intérieur de la
communauté scientifique. Sont encouragées
à ce titre, à travers la création
de comités d’éthique, les
procédures délibératives, à
l’issue desquelles on doit pouvoir cerner ce
qu’il raisonnable de faire ou de ne pas faire. Le
« rationnel », en effet,
ne contient pas toujours le « raisonnable
». Les choix sont raisonnables lorsqu’ils
paraissent sensés, et susceptibles de susciter
un certain consensus. À travers le
progrès des techniques du vivant, que
l’expérimentation rend possible,
l’avenir des sociétés
démocratiques est en jeu.
Un organisme génétiquement modifié
est un organisme (végétal
essentiellement, mais il pourrait être
également animal ou humain) dont on a
modifié le code génétique pour lui
conférer une caractéristique
nouvelle. Mais lorsque nous parlons
aujourd’hui d’OGM, nous parlons
essentiellement de la modification des
végétaux, et principalement des
espèces de cultures destinées à
l’alimentation humaine (maïs, riz, ou soja,
par exemple).
Le processus de transgenèse
s’inspire des techniques de sélection et
de mutation qui existent déjà dans le
monde agricole. Les techniques actuelles permettent en
effet d’isoler un gène pour en
étudier la structure, afin de le modifier pour
le réintroduire dans un organisme vivant. Ce que
l’on nomme
« transgenèse » consiste
donc à ajouter un nouveau gène à
un organisme entier (plante ou animal), voire à
remplacer un gène par un autre. Ainsi, certaines
plantes génétiquement modifiées
peuvent résister à certaines maladies, se
trouver protégées de certains insectes,
se développer dans des conditions de
sécheresse ou de froid, ou améliorer le
rendement des cultures sans avoir recours à des
produits chimiques. Les plantes
génétiquement modifiées pourraient
jouer un rôle majeur dans le domaine
médical (obtention de molécules
thérapeutiques).
Les OGM sont très mal acceptés dans la
plupart des pays occidentaux, et principalement dans
les pays européens. La plupart des biologistes
sont surpris, et ont peine à faire admettre que
la transgenèse appliquée à
l’alimentation est une technique qui ne
présente aucun danger. Certains soulignent
même que les condamnations ou réticences
actuelles ressemblent en tout point à celles que
le vaccin, au XIXe et au
XXe siècle, avaient pu susciter.
Kant, par exemple, estimait que le vaccin devrait
être interdit, puisque celui qui se fait vacciner
« s’attire lui-même la maladie
qui le met en danger de mort »
(Métaphysique des mœurs,
« Doctrine de la vertu »,
1796).
La toxicité des OGM n’a pas encore
été démontrée. Les risques
pour l’environnement (modification
d’écosystèmes) paraissent plus
réels. Il faut également tenir compte du
fait que les pays qui souffrent de pénuries
alimentaires ne partagent pas les réticences des
pays européens. La Chine, par exemple, mais
aussi le Brésil, ont massivement recours
à la culture des OGM.
Jean-Paul Oury, philosophe, spécialisé en
épistémologie, estime par exemple que
« la position qui consiste à se
définir comme anti-OGM » correspond
à une vision conservatrice du vivant. Il
estime que cette position est « issue
d’une philosophie naturaliste qui voit la nature
comme un patrimoine à conserver, et auquel
l’homme resterait soumis ». Dans cette
optique, toute manipulation est suspecte, et les
produits considérés comme
« naturels » échappent
à cette suspicion, ce qui n’est pas
toujours justifié.
Une autre position, qualifiée de
« progressiste », part du
principe que « l’homme a depuis
toujours modifié le vivant et son environnement,
et que cette capacité de modification est la
condition même de sa survie »
(Jean-Paul Oury, La querelle des OGM,
2006). La querelle des OGM ne fait que commencer.
Cloner des animaux ne semble pas soulever de
problèmes éthiques particuliers, dans la
mesure où ne se posent pas les questions
habituelles relatives à la protection de
l’environnement ou à celui de
l’alimentation humaine. Seuls, évidemment,
s’y opposent, peut-être à juste
titre, les défenseurs des animaux, qui estiment
que nous n’avons pas à dresser de
barrière entre l’espèce animale et
l’espèce humaine. Nous sommes, animaux et
hommes, des êtres vivants et les animaux peuvent
prétendre à être traités
à égalité avec les humains.
C’est abusivement, par conséquent, selon
ceux qui dénoncent le
« spécisme » (attitude qui
consiste à croire que l’espèce
humaine est supérieure à
l’espèce animale), que nous classons les
êtres vivants en
« espèces », dont
l’une serait soumise à l’autre. De
même que l’humanité a longtemps
été partagée en deux (les hommes
libres et les esclaves, les uns faits pour dominer et
les autres pour être asservis),
l’espèce vivante serait elle aussi
injustement divisée entre une espèce
soumise, celle des animaux, et une espèce
maîtresse, celle des hommes.
Recourir au clonage animal pourrait être
intéressant pour les rendements d’un
élevage ; il permettrait de fabriquer des
animaux pourvus d’un gène produisant des
substances thérapeutiques. Certains imaginent
avoir recours au clonage pour préserver les
espèces en voie de disparition.
Mais pour le moment, la technique est peu
efficace ; les animaux obtenus par clonage meurent
prématurément, leur système
immunitaire semble déficient. C’est
à ce titre principalement qu’il faille
devoir interdire impérativement le clonage
humain. Le clonage demeure une technique
expérimentale : il semble hors de
question, pour cette raison mais aussi pour bien
d’autres, de vouloir chercher à cloner des
êtres humains (se conférer au dossier sur
la bioéthique : le clonage reproductif et
le clonage thérapeutique).
Le code de Nuremberg, établi en 1947 suite aux
expérimentations sur les juifs,
pratiquées par des dirigeants nazis pendant la
Seconde Guerre mondiale, interdit formellement toute
expérimentation sur les êtres
humains ; il identifie le
« consentement
éclairé » comme
préalable absolu ; est stipulé que
« l’expérience doit avoir des
résultats pratiques pour le bien de la
société impossibles à obtenir par
d’autres moyens ». Il est encore
spécifié qu’antérieurement,
des expériences doivent avoir été
tentées sur les animaux (ce qui pose, encore une
fois, la question du statut de l’animal). Les
expérimentations sur l’homme sont donc,
normalement, soigneusement encadrées.
Celles-ci paraissent nécessaires,
néanmoins, aux progrès de la recherche
médicale. En 1964, une conférence
médicale mondiale, réunissant tous les
conseils de l’ordre nationaux, aboutit à
la Déclaration d’Helsinki, laquelle
rappelle les principes éthiques fondamentaux
auxquels les médecins doivent se conformer. Elle
encadre à ce titre
l’expérimentation sur l’homme, dont
le bien-être doit être
préservé.
Les États-Unis sont le premier pays à
avoir créé des
« comités d’éthique de
la recherche », liés à
l’expérimentation sur l’homme, suite
à des scandales relatifs à certaines
pratiques en recherche biomédicale. Le rapport
Belmont, en 1978, édicte trois principes repris
aujourd’hui par la plupart des comités
d’éthique relatifs à la
recherche ; certains courants philosophiques
précis les sous-tendent, que nous allons tenter
de définir.
Le second impératif catégorique de
Kant, selon lequel l’être humain ne doit
jamais être utilisé comme un moyen, mais
toujours comme une fin (« Agis de
façon telle que tu traites
l’humanité, aussi bien dans ta personne
que dans celle de tout autre, toujours comme une fin,
et jamais simplement comme un moyen »,
Fondements de la métaphysique des
mœurs, 1785) est à l’origine de
la morale
« déontologique »
(de deon, en grec, qui signifie :
« le devoir »). Ainsi,
l’homme ne peut être utilisé comme
un simple moyen (on l’utilise pour faire des
expériences) ; il est à
lui-même sa propre fin (c’est pourquoi il
doit être respecté, au nom de la
dignité inhérente à tout
être humain).
Le premier impératif avait
énoncé : « Agis
uniquement d’après la maxime qui fait que
tu peux vouloir en même temps qu’elle
devienne une loi universelle ». Il se
réfère à l’idée que
nous devons juger nos actes en fonction de leur
universalisation, ou de leur
généralisation. Nous jugeons qu’un
acte est éthiquement mauvais, par exemple,
lorsque nous constatons qu’on ne peut pas vouloir
que tout le monde agisse de la même
manière.
Le principe de bienfaisance, ou de
non-malfaisance, se rattache à la tradition des
morales utilitaristes, dites parfois
conséquentialistes, dans la mesure où
leur finalité est le bien-être ou le
bonheur des individus. Jérémy Bentham
(1748-1832), puis John Stuart Mill (1806-1873) en sont
les principaux fondateurs. Une action est dite
« morale », selon les
utilitaristes, lorsque ses conséquences sont
utiles pour l’homme (et non nuisibles).
Bentham, dans son Introduction aux principes de la
morale et de la législation (1789), pose les
bases du principe d’utilité : le
bonheur est la fin dernière de l’homme, et
en ce sens la recherche du plaisir et
l’évitement de la douleur doivent
être considérés comme les
véritables mobiles des actions humaines. Est
utile, en substance, ce qui contribue au bonheur
humain. Le principe d’utilité est donc ce
qui permet de « maximiser les
plaisirs » et de « minimiser les
peines ».
Bentham a beau être l’auteur d’un
ouvrage intitulé Déontologie (ou
Science de la morale, 1834), c’est
aujourd’hui à la morale kantienne que
l’on se réfère lorsqu’on
parle de « morale
déontologique ».
D’une manière plus générale, les scientifiques se réfèrent au principe d’utilité – qui est un principe moral – pour montrer que les progrès de la science accroissent le bonheur de l’homme, en lui évitant la souffrance et en lui procurant un bien-être auquel il n’avait auparavant pas accès. Ainsi, les avancées réalisées en matière de procréation assistée, permettant à certains couples stériles de devenir parents, leur ôte un malheur et leur procure un bonheur.
Le principe de justice est formulé à travers celui d’équité : il s’agit moins d’édicter des règles morales que de corriger celles-ci si elles s’avèrent inégalitaires. Les individus doivent être traités de la même manière, par exemple, quelles que soient leurs croyances ou leur culture. Face à la perte des repères ou des normes permettant de guider nos actions, Anne Fagot Largeault, médecin, spécialisée en philosophie des sciences biologiques et médicales, préconise une éthique « pratique », qui permet de s’adapter aux situations particulières et de corriger la réalité, notamment face aux situations nouvelles qu’engendrent les évolutions techniques et scientifiques.
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