Désurbanisme : nostalgie ou seule utopie valable ?
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Entre 1915 et 1922, il eut l'occasion de mettre en pratique certaines de ses théories aux Indes, reconstruisant, restaurant ou protégeant de la destruction des villes indigènes, afin de relancer la vie locale, plutôt que d'en créer une nouvelle.
Geddes désirait rendre à l'homme la place centrale qui lui revenait. Ses méthodes d'analyse et de diagnostic des différents quartiers s'appliquèrent tant à sa ville natale d'Edimbourg qu'à d'autres cités de Grande-Bretagne, où elles eurent un certain succès comme préalable à tout travail d'urbanisation.
Geddes se cantonna à améliorer les conditions de vie sans chercher à les bouleverser de fond en comble. Il s'inscrivait pourtant dans un courant plus vaste qui, de l'urbaniste Ebenezer Howard à l'architecte Frank L. Wright, tentait d'apporter des réponses alternatives à l'urbanisation de la société industrielle et aux tentatives « progressistes » de la réguler.
Au 19e siècle, les Anglais John Ruskin (1819-1900) et William Morris (1834-1896) s'étaient proposés de délivrer l'homme de la dictature de la machine et de le rendre à la nature, les dégâts d'une urbanisation chaotique due à l'industrialisation se faisant déjà cruellement sentir. Avant Howard, avant Geddes, ils s'étaient souvenus avec une certaine nostalgie des cités médiévales autonomes, les préférant au modèle romain de la métropole centralisatrice.
Il s'agissait en fait de créer en pleine campagne de petites villes de moins de 30 000 habitants, dont l'extension serait limitée par la création d'une ceinture agricole une fois la première ville arrivée à saturation, une autre ville du même type serait créée, et ainsi de suite, toutes les cités étant reliées entre elles par des voies rapides. Les industries, installées à leur périphérie, auraient fourni du travail pour tous.
Surtout, Howard souhaitait systématiser l'organisation concentrique, la ville étant planifiée en anneaux reliés par des avenues qui rayonneraient depuis un centre réunissant édifices culturels, commerces et administrations, permettant aussi de limiter les temps de déplacement entre les différents quartiers. Des ceintures vertes alterneraient avec les habitations basses, individuelles, chacune étant construite, comme les écoles, dans un jardin.
Howard pensa aussi à réduire la pollution par l'utilisation de l'électricité, par le recyclage des déchets pour l'agriculture, par la limitation de la circulation dans la ville grâce à la construction d'un chemin de fer circulaire reliant directement entre elles les usines périphériques.
Finalement, le but ultime était de créer en pleine nature une ville autonome moderne, assurant sa propre production tout en étant reliée à d'autres cités semblables.
Mais il faut tout de même mettre au crédit de Howard certains progrès, en particulier le fait que Letchworth eut, de par sa salubrité exemplaire, le taux de mortalité le plus bas au monde.
En Europe, le courant progressiste était trop puissamment ancré dans l'esprit des urbanistes pour qu'une telle utopie puisse les séduire véritablement. En revanche, le courant désurbaniste eut une certaine postérité aux Etats-Unis.
Il n'existait pas d'immeuble d'habitation dans le projet de Wright, ni d'appartement. Les maisons individuelles, les bâtiments administratifs et commerciaux, les unités sociales, les centres culturels et hospitaliers devaient être très espacés les uns des autres et noyés dans la nature. Seuls quelques immeubles de bureaux pourraient atteindre une certaine hauteur, jusqu'à cinquante étages, mais ils devaient être très éloignés les uns des autres et disposés en des points stratégiques.
Tout le système s'appuyait, comme chez Howard, et à l'encontre des théoriciens historiques du désurbanisme Ruskin et Morris, sur certains aspects du progrès technique : les longues distances entre les différentes unités étaient couvertes grâce à un réseau de voies terrestres et aériennes, la voiture ayant à Broadacre City une fonction primordiale.
Les puissantes métropoles américaines résistèrent pourtant à l'utopie décentralisatrice de Wright, mais la spécificité de la banlieue résidentielle américaine telle qu'elle s'est développée après-guerre, horizontale, étalée à l'extrême, où il est difficile de se déplacer sans voiture et où chaque maison possède son jardin, pourrait être une version tronquée de l'utopie de Broadacre City.
L'urbanisme scientifique et les utopies désurbanistes sont nés dès le 19e siècle du constat que le développement incontrôlé des villes conduisait à l'asservissement des hommes par leur environnement.
Au début du 20e siècle, l'urbaniste écossais Patrick Geddes tenta d'y remédier par la manière douce, en posant comme préalable à toute nouvelle urbanisation l'analyse des conditions de vie des citadins et la réhabilitation de leur habitat. Il fut lui-même séduit par les idées de Ebenezer Howard, qui proposa la création de cités-jardins à développement maîtrisé et autonome, serties en pleine campagne. Sur le même principe d'un retour à la terre, l'Américain Frank Lloyd Wright formula un projet plus radical encore, jouant sur l'éloignement des bâtiments les uns des autres afin que la ville « disparaisse » littéralement dans la nature.
Les urbanistes progressistes trouvèrent ces projets passéistes et à contre-courant de la marche de l'Histoire, qui devait leur donner raison. Cependant, la faillite qu'ont connu la plupart des réalisations urbanistiques ultérieures redonnent une certaine crédibilité à l'idée alternative de désurbanisme.
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