Bonheur et liberté
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Comprendre le lien entre bonheur et liberté
- Le bonheur et la liberté sont deux concepts qui peuvent être définis soit objectivement soit subjectivement.
- La liberté aurait davantage de valeur que le bonheur.
- L'homme prend conscience de sa liberté lorsqu'il en est privé et dans son rapport avec la mort.
On ne peut pas, selon Kant (1724-1804), définir le bonheur d’un point de vue objectif :
(Fondements de la métaphysique des mœurs, II)
Seul a valeur d’objectivité, ou d’universalité, le fait que tout homme désire le bonheur. Apprécier le bonheur, c’est donc l’apprécier de manière subjective : nous sommes tous différents, et il existe autant de conceptions du bonheur qu’il existe d’individus. Ceux-ci n’ont pas les mêmes goûts, les mêmes désirs ou les mêmes aspirations. Ce qui rendra les uns heureux rendra les autres malheureux. Certains critères objectifs peuvent néanmoins être retenus : nous désirerions tous, aujourd’hui, les mêmes choses. Certains dénoncent en effet l’uniformisation des désirs qu’aurait générée la société de consommation. Pour être heureux, il existe certains ingrédients. En témoigne le succès, dans nos librairies, des ouvrages proposant des « recettes » pour être heureux, pour être épanouis, ou éviter les pièges de la « dépression » (être dépressif, c’est être malheureux). Les philosophes contemporains eux-mêmes rencontrent beaucoup de succès en faisant l’inventaire, dans des ouvrages conçus dans cette optique, des ingrédients susceptibles d’apporter le bonheur et d’éviter le malheur.
De la même manière, chacun apprécie
selon son propre point de vue l’idée de
liberté. La liberté correspond soit au
sentiment que nous en avons (est-ce que je me
considère comme libre ?), soit à une
réalité plus
générale : est libre ce lui qui
n’est pas prisonnier ou esclave, celui qui peut
sans contrainte aller et venir, ou encore celui qui
dans son pays peut s’exprimer, alors que dans
d’autres pays il n’est pas possible de le
faire.
Opposer une liberté subjective à une
liberté objective correspond à opposer
une liberté intérieure (on peut se
sentir libre même en prison) à une
liberté extérieure (on peut se
sentir esclave d’une situation donnée,
même étant libre d’un point de
objectif : l’homme
« libre » doit travailler, payer
des impôts ; il est soumis, sur le plan
professionnel, à sa hiérarchie).
L’idée même, énoncée
par Rousseau (1712-1778) et reprise par Kant, selon
laquelle on doit obliger l’homme à
être libre, peut paraître saugrenue :
comment peut-on imposer, par la force, la
liberté ? Cette liberté ne
relève-t-elle pas, par définition,
d’un choix propre ? Comment la
liberté pourrait-elle naître d’une
contrainte ?
Dans un autre registre, Rousseau lui-même
établit, dans Le Contrat social, cet amer
constat : « L’homme est né
libre, et partout il est dans les fers ». En
expliquant que l’homme est
« né » libre, Rousseau
signifie qu’il est dans son essence de
l’être. À ce titre, la
liberté est conçue de manière
objective et universelle.
On peut considérer que la liberté a davantage de valeur que le bonheur, ou encore qu’il ne peut exister d’homme qui soit à la fois assujetti à un autre en se satisfaisant de cet état. En privant l’homme de sa liberté, on le prive d’une partie de son humanité, d’une partie de son essence. On peut rappeler la devise des castristes au moment de la révolution cubaine, en 1959 (correspondant à la chute de la dictature militaire du général Batista) : « La Liberté, ou la mort ». Sans liberté, il est préférable de mourir. C’est ce que semble signifier, d’une toute autre manière, les suicides des détenus dans les prisons.
Hegel (1770-1831), dans ce passage de La Phénoménologie de l’esprit que l’on a coutume d’appeler la « dialectique du maître et de l’esclave », montre que la figure symbolique du « maître » représente celui qui préfère la vie à la servitude ; c’est d’ailleurs a ce titre que celui-ci est considéré comme le « dominant ». Le « dominé » en revanche préfère la vie, même misérable (sa vie sera forcément misérable puisqu’il sera assujetti au maître) à la mort. La crainte de perdre la vie est plus forte que celle de perdre la liberté. C’est pourquoi il est représenté par la figure de l’« esclave ».
Peut-on concevoir ces deux idées sous cette
alternative ? On peut admettre, en effet,
qu’il est utopique de désirer
être libre, tandis qu’il serait
raisonnable de désirer être
heureux.
Nous pourrions en outre être libres sous
n’importe quel régime politique et dans
n’importe quelles circonstances.
À quoi bon, dans certaines circonstances,
être libres ? Cela nous rend-il plus
heureux ? Que peut faire de sa liberté
celui qui, dans une société
principalement régulée par la
consommation, ne peut pas consommer, ne peut pas se
nourrir, se vêtir correctement, payer son loyer,
celui qui ne peut pas partir en vacances ? Le
bonheur des individus des sociétés
modernes semble bien être lié à
tous ces éléments.
Mais l’homme toutefois ne prendrait vraiment
conscience de la valeur de la liberté que
lorsqu’il en est privé (mais on pourrait
faire la même remarque concernant
l’idée de bonheur). C’est
probablement ce que Sartre (1905-1980) voulait
signifier lorsqu’il a affirmé :
« Nous n’avons jamais
été aussi libres que sous
l’occupation allemande ». Certains ont
pu dire, dans une perspective similaire, que les plus
belles pages de la littérature ont
été écrites en captivité.
C’est en faisant l’expérience de
la servitude que l’homme sait ce que la
liberté représente. On peut dire alors
qu’elle est liée à un sentiment de
profond bonheur.
Sartre affirme également, dans les Cahiers
pour une morale (1983), que la liberté est
liée à la mort, et à ce
risque de mourir que nous courons en permanence ;
c’est à travers la perspective de la mort
(mort susceptible d’interrompre nos projets) que
nous appréhendons l’idée même
de liberté. La liberté est
interrogation, incertitude quant aux
conséquences de nos actes. Nous ne savons jamais
ce qu’entraînera telle ou telle
décision. C’est parce que nous ne savons
pas, de manière plus générale, ce
qui arrivera demain que nous sommes libres.
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